Le contexte – rappel
1. En 2010, le scandale des abus sexuels commis au sein de l’Eglise belge éclatait au grand jour et une instruction fut entamée. Le juge d’instruction désigné dans cette affaire a procédé à de nombreuses perquisitions. Celles qui ont été menées le 24 juin 2010 au palais épiscopal de Malines-Bruxelles et au domicile et dans les bureaux du Cardinal Danneels sont au centre de la polémique qui a conduit au dernier arrêt de la chambre des mises en accusation de Bruxelles, daté du 18 décembre 2012.
Une première demande visant à obtenir la mainlevée des saisies - rejet
2. Le 15 juillet 2010, le Cardinal Danneels et l’archevêché de Malines-Bruxelles ont introduit une requête auprès du juge d’instruction, visant à obtenir la mainlevée des saisies effectuées lors des perquisitions du 24 juin 2010. Cette requête est rejetée par une ordonnance du 30 juillet 2010.
L’appel devant la chambre des mises en accusation – mainlevée des saisies, nullité des perquisitions et des actes d’instruction effectués sur la base des éléments obtenus ensuite des perquisitions déclarées nulles et écartement des pièces déclarées nulles
3. Le Cardinal Danneels et l’archevêché de Malines-Bruxelles ont interjeté appel de cette ordonnance devant la chambre des mises en accusation.
Par un premier arrêt du 9 septembre 2010, la chambre des mises en accusation a ordonné la mainlevée des saisies effectuées le 24 juin 2010 au sein du palais épiscopal de Malines et au domicile et dans les bureaux du Cardinal Danneels. Elle a prononcé la nullité des perquisitions et de tous les devoirs d’instruction accomplis jusqu’au jour du jugement sur la base des éléments obtenus suite aux perquisitions déclarées nulles. La chambre des mises en accusation a également ordonné que les pièces déclarées nulles soient écartées du dossier et déposées au greffe du Tribunal de première instance.
Cassation de l’arrêt de la chambre des mises en accusation
4. Saisie d’un pourvoi introduit contre cette décision, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 12 octobre 2010, cassé l’arrêt de la chambre des mises en accusation en ce qu’il ordonnait (1) la mainlevée des saisies du 24 juin 2010, (2) la nullité de ces actes d’instruction et des actes d’instruction qui en résultent et accomplis jusqu’au jour de la décision et (3) l’écartement du dossier des pièces déclarées nulles. L’affaire a été renvoyée devant la chambre des mises en accusation de Bruxelles autrement composée, afin qu’elle réexamine ces trois points.
Renvoi devant la chambre des mises en accusation - régularité des perquisitions
5. Par un deuxième arrêt du 22 décembre 2010, la chambre des mises en accusation a conclu à la régularité des perquisitions et des saisies pratiquées dans les locaux du palais épiscopal et au domicile privé et dans les bureaux du Cardinal Danneels.
Cassation de l’arrêt de la chambre des mises en accusation en ce qu’il déclare les perquisitions régulières
6. Le Cardinal et l’archevêché ont introduit un pourvoi en cassation contre cette décision au motif que la chambre des mises en accusation n’avait pas correctement motivé sa décision concernant la régularité des perquisitions effectuées. En effet, la chambre avait jugé que les perquisitions et saisies étaient régulières, sans avoir constaté l’existence d’indices que des documents ou objets pouvant être utiles à la manifestation de la vérité se trouvaient au palais épiscopal et au domicile et dans les bureaux du Cardinal.
Sur la base de ces motifs, la Cour de cassation a cassé l’arrêt de la chambre des mises en accusation, par un arrêt du 5 avril 2011. La Cour a, une nouvelle fois, ordonné que l’affaire soit renvoyée devant la chambre des mises en accusation de Bruxelles, différemment composée.
Renvoi devant la chambre des mises en accusation – mainlevée des saisies, nullité des perquisitions et des actes d’instruction effectués sur base des éléments obtenus ensuite des perquisitions déclarées nulles et écartement des pièces déclarées nulles
7. Par un troisième arrêt du 29 novembre 2011, la chambre des mises en accusation a prononcé la mainlevée des saisies et la nullité des perquisitions effectuées au palais épiscopal et au domicile et dans les bureaux du Cardinal Danneels. Elle a également prononcé la nullité des actes d’instruction subséquents accomplis jusqu’au jour du jugement. Enfin, elle a ordonné que toutes les pièces déclarées nulles soient écartées du dossier et déposées au greffe du Tribunal de première instance de Bruxelles.
Cassation de l’arrêt de la chambre des mises en accusation en ce qu’il ordonne l’écartement des pièces et en ce qu’il règle le sort des actes d’instruction fondés sur les éléments obtenus ensuite des perquisitions déclarées nulles
8. Certaines des parties civiles ont introduit un pourvoi en cassation contre cette décision, au motif que la chambre des mises en accusation avait mal motivé sa décision d’écartement des pièces déclarées nulles. En effet, suivant la jurisprudence dite « Antigone », une preuve irrégulière ou irrégulièrement obtenue ne peut être écartée par le juge que dans trois hypothèses : (1) si l’irrégularité viole une règle de forme prescrite à peine de nullité ; (2) si l’irrégularité entache la fiabilité de la preuve ; (3) si l’irrégularité compromet le droit à un procès équitable.
Cette jurisprudence s’applique également aux juridictions d’instruction.
Celles-ci ne peuvent cependant écarter une pièce irrégulière ou irrégulièrement obtenue que si elles constatent que l’irrégularité s’inscrit dans l’hypothèse (1) ou (3) exposées ci-dessus (elles ne peuvent examiner la fiabilité de la preuve, cette question relevant de la compétence du juge du fond). En d’autres termes, lorsqu’une juridiction d’instruction constate une irrégularité affectant un acte d’instruction (par exemple, une perquisition), elle prononce la nullité de cet acte mais la pièce irrégulière (par exemple, une pièce saisie lors de la perquisition) ne peut être écartée du dossier que si l’on se trouve dans l’une des deux hypothèses susmentionnées.
En l’espèce, la Cour de cassation a constaté que la chambre des mises en accusation avait écarté les pièces irrégulièrement obtenues sans avoir préalablement vérifié si l’on se trouvait dans l’une des deux hypothèses. Par un arrêt du 3 avril 2012, la Cour a donc cassé l’arrêt de la chambre des mises en accusation, en ce qu’il ordonnait l’écartement et le dépôt au greffe des pièces saisies lors des perquisitions du 24 juin 2010 effectuées au palais épiscopal de Malines et au domicile et dans les bureaux du Cardinal Danneels. La Cour a renvoyé la cause (limitée à la question de l’écartement des pièces litigieuses) à la chambre des mises en accusation de Bruxelles autrement composée que pour les arrêts rendus les 9 septembre 2010, 22 décembre 2010 et 29 novembre 2011.
La Cour a également cassé la décision de la chambre des mises en accusation concernant le sort à réserver aux actes d’instruction effectués jusqu’au jour de l’arrêt attaqué et fondés sur les éléments obtenus ensuite des perquisitions déclarées nulles. En effet, la chambre des mises en accusation avait déjà définitivement tranché cette question dans son arrêt du 22 décembre 2010. Elle avait décidé que ces actes d’instruction étaient réguliers et cette décision ne faisait pas l’objet du pourvoi en cassation qui avait été introduit à l’époque. La chambre des mises en accusation ne devait (et ne doit) donc plus se prononcer sur cette question : les devoirs d’instruction réalisés sur base des éléments irrégulièrement saisis sont réguliers et ne doivent dès lors pas être écartés du dossier.
Renvoi devant la chambre des mises en accusation - écartement des pièces déclarées nulles (arrêt du 18 décembre 2012)
9. Le 18 décembre 2012, la chambre des mises en accusation a donc rendu un ultime arrêt, suite au renvoi ordonné par la Cour de cassation. La chambre aurait ordonné l’écartement des pièces litigieuses (c’est-à-dire les documents et le matériel saisis irrégulièrement) et leur dépôt au greffe du Tribunal de première instance. L’écartement de ces pièces aurait été justifié par la chambre au motif que les irrégularités qui les entachent compromettent le droit à un procès équitable. Comme l’a rappelé la Cour dans son arrêt du 3 avril dernier, les devoirs d’instruction réalisés sur base des éléments irrégulièrement saisis (et qui auraient donc été définitivement écartés du dossier) sont, quant à eux, réguliers et ne doivent dès lors pas être écartés du dossier.
Les suites de l’arrêt du 18 décembre 2012
10. On aurait pu espérer que cet arrêt clôture le feuilleton des incidents de procédure qui affectent cette affaire depuis plus de deux ans. On peut cependant douter que l’instruction reprenne rapidement son cours puisqu’il semble que certaines parties civiles aient demandé la récusation de l’un des magistrats de la chambre des mises en accusation, au motif que ce magistrat aurait déjà préalablement siégé dans cette affaire.
Une fois que cette question sera tranchée, la chambre des mises en accusation devra examiner un autre incident survenu dans le courant du mois d’octobre 2012, à savoir les conséquences relatives à la disparition d’un certain nombre de procès verbaux figurant dans le dossier.
Cette affaire ne touche donc pas encore à sa fin et risque de faire couler encore beaucoup d’encre...
Votre point de vue
Alain Colignon Le 31 mai 2014 à 11:53
Que redoute donc Godfried Danneels de la saisie de pièces qui - s’il n’a rien à se reprocher - ne peuvent que faire éclater son innocence au grand jour ?
Cet acharnement à se soustraire à la justice par des facéties juridiques ne démontre-t-il pas - de facto - sa culpabilité ?
Ma réponse est claire sur ce point.
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Gisèle Tordoir Le 30 janvier 2013 à 13:24
Je suis totalement opposée, et cela quelle qu’en soit la matière, au principe de la prescription. En faisant usage de cette prescription, le monde judiciaire se permet d’empêcher le droit de poursuivre après un certain laps de temps...Quand on connaît tous les procédés dilatoires que les avocats et magistrats sont capables d’utiliser, et je parle ici par expérience vécue, c’est révoltant. Il faut interdire et donc retirer la prescrition du modus operandi et ne plus la garder que pour acheter les médicaments...
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Dr Louant Le 30 janvier 2013 à 11:40
Ces incidents démontrent la finesse et la subtilité de notre système judiciaire mais également le manque de rigueur dans l’exercice de leur pouvoir, dont font preuve certains magistrats.Cela nuit à l’image de la Justice et donne l’occasion aux journalistes de faire des commentaires aussi gratuits que non fondés.Il faut respecter scrupuleusement les règles de la procédure par respect de notre civilisation...ils le font bien déjà dans les tribunaux de républiques bananières.Commençons par le respect des règles de procédure afin d’assurer l’égalité de tous les citoyens face à la Justice, et de ne pas se laisser glisser vers la dictature et l’arbitraire.
Que les journalistes fassent attention aussi à ne pas "faire du papier" avec n’importe quoi et n’importe comment.Quand on sape la réputation de l’Autorité on fini par subir l’assaut de la bêtise humaine qui, selon Einstein, est la seconde chose incommensurable après les dimensions de l’Univers.
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skoby Le 30 janvier 2013 à 09:34
Ce qui me gêne dans cette Justice, c’est que pendant 2 ans de nombreuses personnes liées à la Justice perdent leur précieux temps dans des discussions et contestations de procédures régulières, légales, illégales etc... souvent pour des futilités.... et pendant ce temps les nombreux pédophiles, souvent couverts par les autorités religieuses, restent impunis, car vient alors l’injustice du jugement qui dit que les faits sont prescrits.
Mon commentaire est également valable pour toutes les soi-disant irrégularités des procédures lorsqu’on juge un assassin, qui profite de toutes ces discussions et les ficelles utilisées par les avocats pour gagner du temps.
On oublie les faits délictueux au profit des discussions de procédure
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