La Cour de cassation corrige un problème de procédure dans le cadre de l’opération dite « calice » (12 octobre 2010)

par Amandine Philippart de Foy - 23 octobre 2010

Le 12 octobre dernier, la Cour de cassation a annulé les deux arrêts de la chambre des mises en accusation de Bruxelles rendus respectivement les 13 août et 9 septembre 2010 dans le cadre de l’opération « calice ». Reprenons rapidement les événements qui ont conduit à ces arrêts.

En avril 2010, le scandale de la pédophilie au sein de l’Eglise belge éclate au grand jour. Au mois de juin, le juge Wim De Troy est chargé de mener l’instruction dans cette affaire. A cette fin, il a ordonné des perquisitions dans les locaux de l’Archevêché de Bruxelles-Malines d’une part, et au domicile du Cardinal Danneels, d’autre part. Lors de ces perquisitions (datant du 24 juin 2010), de très nombreux documents ont été emportés, dont les dossiers de la Commission Adriaenssens et du matériel de l’Evêché, ainsi que l’ordinateur du Cardinal Danneels. Ces perquisitions et saisies controversées ont suscité beaucoup de réactions, tant au sein de l’Eglise que dans la population en général. Pour mémoire, les perquisitions du palais épiscopal ont eu lieu alors que les évêques belges y tenaient leur conférence mensuelle et en présence du nonce apostolique (ambassadeur du Saint-Siège). Les enquêteurs ont été jusqu’à faire ouvrir des tombes dans la cathédrale de Malines.

A deux reprises, la chambre des mises en accusation de Bruxelles a reçu l’occasion de se prononcer sur la régularité des perquisitions et saisies ainsi pratiquées : une première fois à la demande du procureur général, et une seconde fois suite à la demande particulière du Cardinal et de l’Archevêché. Pour rappel, la chambre des mises en accusation, qui siège au niveau de la cour d’appel, est une juridiction d’instruction. Elle contrôle le bon déroulement des instructions et la régularité de la procédure. De plus, elle connait de l’appel des décisions prises par le juge d’instruction et par la chambre du conseil, constituée au sein du tribunal de première instance.

Dans un premier temps, c’est le parquet général de Bruxelles qui a invité la chambre des mises en accusation de Bruxelles à se prononcer sur la régularité des perquisitions ordonnées par le juge d’instruction De Troy (base légale : article 136bis du Code d’instruction criminelle). Comme l’a déjà fait remarquer Me Pierre Monville dans un précédent article, le fait pour le ministère public de solliciter un tel contrôle de la chambre des mises en accusation est quelque peu exceptionnel, a fortiori à un stade aussi précoce de l’enquête. La plupart du temps, c’est en effet la défense qui soulève de telles questions. Ainsi, le 13 août 2010, la chambre des mises en accusation a rendu un premier arrêt. Le contenu de cet arrêt n’a pas été rendu public. Néanmoins, il semble que la chambre des mises en accusation ait jugé que les perquisitions et saisies des documents de la Commission Adriaenssens étaient irrégulières et donc nulles. Par conséquent, les dossiers emportés de la Commission devaient lui être restitués.

Ensuite, ce sont le Cardinal Danneels et l’Archevêché qui ont saisi la chambre des mises en accusation de Bruxelles. En effet, lorsque des actes d’instruction sont réalisés, les personnes lésées par ces actes peuvent en demander la levée au juge d’instruction (base légale : article 61quater du Code d’instruction criminelle). Ainsi, le 15 juillet 2010, le Cardinal et l’Archevêché ont demandé la levée des saisies pratiquées sur leurs biens. A la suite du refus du juge d’instruction de faire droit à leur demande, ils ont interjeté appel devant la chambre des mises en accusation de Bruxelles. Ceci a donné l’occasion à la chambre la possibilité de vérifier la régularité des perquisitions et saisies des biens de l’Archevêché et du Cardinal. Le 9 septembre dernier, la chambre des mises en accusation a donc rendu un second arrêt. Le contenu de cet arrêt n’a, lui non plus, pas été rendu public. Cependant, on en connait aujourd’hui la substance : l’arrêt a ordonné la levée des saisies opérées le 24 juin 2010 et a prononcé la nullité d’actes d’instruction et de tous les autres actes qui en découlaient. Il a également ordonné que les pièces déclarées nulles soient écartées du dossier et déposées au greffe du tribunal de première instance.

Dans chacun des deux arrêts, la chambre des mises en accusation a contrôlé la régularité de l’instruction : dans le premier, à la requête du ministère public et, dans le second, à la suite d’une initiative de personnes privées (le Cardinal et l’Archevêché). Ces deux hypothèses ont été expressément prévues par la loi (article 235bis du Code d’instruction criminelle). Celle-ci a prévu qu’en pareil cas la chambre des mises en accusation devait entendre les observations du procureur général, de la partie civile et de l’inculpé.

Quand on parle de partie civile, on vise les victimes ou les personnes lésées qui agissent activement dans le procès pénal. La partie civile s’adresse au juge pour demander qu’une réparation ou une indemnisation lui soit accordée. Dans l’affaire qui nous intéresse, certaines victimes se sont constituées partie civile entre les mains du juge d’instruction le 3 août 2010, soit avant que les deux arrêts de la chambre des mises en accusation n’aient été rendus. Par conséquent, les parties civiles auraient dû être entendues par la chambre des mises en accusation de Bruxelles. Or, dans l’arrêt du 13 août 2010, la chambre des mises en accusation a refusé d’entendre les parties civiles, au motif que cela risquerait de porter atteinte au secret de l’instruction. Pourtant, si le secret de l’instruction ne s’impose pas au sens strict du terme aux parties civiles, il n’en demeure pas moins que celles-ci sont tenues au respect de certaines règles, notamment le respect de la présomption d’innocence et des droits de la défense. Elles ne peuvent donc pas utiliser à tout venant les informations obtenues par la consultation du dossier de l’instruction. Une autre justification alléguée par la chambre des mises en accusation était de considérer que les intérêts des parties civiles ne pouvaient être lésés par une demande du procureur général, tendant à la surveillance de la régularité de la procédure. Il est vrai qu’en matière pénale, c’est le parquet qui recherche les infractions et apprécie l’opportunité des poursuites. Cependant, les magistrats du parquet agissent dans l’intérêt général ; ils ne représentent aucune partie au procès. Par conséquent l’intérêt des parties civiles peut être ne pas être identique à celui du parquet. De plus, le droit des parties civiles d’être entendues leur est reconnu par l’article 235bis du Code d’instruction criminelle et doit leur être accordé, quelle que soit l’appréciation de la chambre. Dans la procédure ayant mené à l’arrêt du 9 septembre 2010, les parties civiles n’auraient pas été appelées. Elles n’étaient en tous les cas, ni présentes, ni représentées devant la chambre des mises en accusation. Le droit des parties civiles d’être entendues n’a donc été respecté dans aucune des deux procédures. Les parties civiles ont alors introduit un recours en cassation contre chacun des arrêts rendus par la chambre des mises en accusation. Par deux arrêts du 12 octobre 2010, la Cour de cassation leur a donné raison et a cassé les deux arrêts contestés.

Ce faisant, la Cour n’a pas remis en question le bien-fondé des décisions prises par la chambre des mises en accusation. Elle a uniquement constaté que ladite chambre n’avait pas respecté la procédure contradictoire prévue par l’article 235bis du Code d’instruction criminelle. Dès lors, le dossier est retourné entre les mains du juge d’instruction De Troy et l’enquête peut se poursuivre, toujours sous le contrôle de la chambre des mises en accusation. Néanmoins, il est préférable que le juge De Troy reste prudent quant à l’exploitation des documents saisis puisque chacune des affaires a été renvoyée devant la chambre des mises en accusation de Bruxelles, autrement composée. Sur le fond, il est fort probable que la nouvelle chambre se prononce de la même manière que la précédente. Néanmoins, elle ne pourra le faire qu’après avoir entendu les éventuelles observations des parties civiles. Ce faisant, les règles de procédure et, en particulier, le principe du contradictoire, seront respectés. Les deux arrêts de la Cour de cassation ont donc uniquement permis de corriger des accidents de stricte procédure.

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Amandine Philippart de Foy


Auteur

Avocate au barreau de Bruxelles

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