Voici quelques mois, la Cour de cassation a refusé de récuser la juge d’instruction Aurélie Dejaiffe, en charge du dossier du Qatargate.
Ceci donne l’occasion à Lucie Breyer, assistante à l’UCLouvain et membre du Centre de recherche interdisciplinaire sur la déviance et la pénalité (CRID&P) d’expliquer cet aspect du contrôle juridictionnel exercé dans le courant d’une instruction judiciaire que constitue la possibilité de récusation des juges d’instruction et les conditions y applicables.

Les contrôles sur le déroulement des instructions judiciaires

1. Dans une précédente contribution sur Justice-en-ligne, nous avons détaillé le contrôle de la régularité de l’instruction par la chambre des mises en accusation qui a été opéré dans l’affaire dite du Qatargate.
Il s’agit cette fois d’exposer une autre forme de « contrôle » envisageable dans le cadre d’une instruction, à savoir les possibilités de récusation des juges d’instruction. À cet égard, un arrêt de non-révocation de la Cour de cassation qui concernait la juge d’instruction du Qatargate, Aurélie Dejaiffe, est intervenu en aout 2024. Cet évènement est l’occasion de revenir brièvement sur le rôle du juge d’instruction avant de décrire ensuite les possibilités de récusation de ce juge et la procédure à suivre dans ce cadre.

Le juge d’instruction

2. Le juge d’instruction est un juge du tribunal de première instance qui, saisi dans le cadre d’une instruction, a pour mission de rechercher les éléments de preuve relatifs à une infraction déterminée à charge et à décharge de l’inculpé. Il se caractérise notamment par son indépendance et son impartialité ; il n’est pas partie dans l’affaire. Il est le seul à pouvoir se servir de certains pouvoirs mobilisant la contrainte ou portant atteinte à certains droits individuels dans le cadre de son enquête – à la différence du ministère public lors de l’enquête menée à l’occasion d’une information judiciaire.

La récusation

3. Comme les autres juges, le juge d’instruction peut faire l’objet d’une récusation.
Celle-ci peut être qualifiée comme « le droit d’obtenir le remplacement du magistrat qui, pour un des motifs énumérés par l’article 828 du Code judiciaire, ne parait pas à même d’opiner sur le différend avec l’indépendance et l’impartialité requises » (M.-A. BEERNAERT, M. GIACOMETTI et D. VANDERMEERSCH, Droit de la procédure pénale, 10e édition, Bruges, La Charte, 2025, p. 2211).
Les juges doivent en effet respecter le principe d’impartialité. Ce principe consiste, d’une part, à ce que l’apparence du juge ne suscite aucun doute quant à son impartialité (impartialité objective) et, d’autre part, à ce que la conduite personnelle du juge soit exempte de tout préjugé, garantissant son indépendance (impartialité subjective).

4. C’est l’article 828 du Code judiciaire qui prévoit les hypothèses dans lesquelles un juge peut être récusé (suspicion légitime, intérêt personnel du juge ou de l’un de ses proches dans l’affaire, lien familial entre le juge et l’une des parties, inimitié capitale pour une des parties, etc.).
Dans le cas d’un juge d’instruction, il peut par exemple s’agir d’une suspicion légitime lorsque ce dernier associe le ministère public à des réunions de travail avec des enquêteurs, sans qu’un procès-verbal détaillé ne soit dressé, ce qui laisse penser que le juge d’instruction donne à la partie poursuivante – le ministère public – une position privilégiée dans l’affaire et ne peut donc instruire avec l’indépendance et l’impartialité requises (Cour d’appel de Bruxelles, 7 juin 2010, Revue de droit pénal et de criminologie, 2011, p. 908, note J. DE CODT, « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage »). Le principe d’impartialité impose au juge d’instruction une indépendance totale à l’égard des parties. Il ne doit à aucun moment générer une impression de partialité dans le chef des parties ou de l’opinion publique.

5. Lorsqu’un juge sait qu’il fait l’objet d’une cause de récusation, il doit se déporter (article 831 du Code judiciaire).
Mais s’il ne se retire pas de lui-même, la partie qui estime qu’une cause de récusation existe peut suivre la procédure en la matière. Il n’existe pas de règles spécifiques relatives à la récusation des juges d’instruction ; ce sont donc les articles 828 à 842 du Code judiciaire qui sont applicables en la matière (par l’effet de l’article 2 du Code judiciaire).

6. La demande en récusation peut être introduite par toute partie, y compris le ministère public, et doit être introduite avant le début des plaidoiries, même en ce qui concerne des actes de procédure, sauf si les motifs de récusation sont apparus ultérieurement (article 833 du Code judiciaire). Elle doit, en outre, être signée par un avocat inscrit au barreau depuis plus de dix ans.
Une fois établi, l’acte de récusation est alors transmis au juge concerné dans les vingt-quatre heures et celui-ci dispose de deux jours pour accepter de se retirer ou pour le refuser (article 836 du Code judiciaire).
À partir du moment où l’acte a été transmis au juge, la procédure est normalement suspendue, excepté dans les cas urgents ou lorsque la demande en récusation n’émane pas d’une des parties. Notons aussi qu’une nouvelle date d’audience peut tout de même être fixée (article 837, alinéa 1er, du Code judiciaire).

7. Dans les cas où l’acte de récusation concerne un juge d’instruction, à la demande du ministère public, le premier président ou le président du tribunal ordonne qu’un autre juge soit désigné pour poursuivre l’instruction sans que ses pouvoirs ne soient restreints ou limités à des actes urgents (article 837, alinéa 3, in fine, du Code judiciaire). De plus, il est généralement admis que les actes ou ordonnances régulièrement délivrées par le juge d’instruction avant l’introduction de la demande en récusation peuvent être exécutés ; tel est le cas par exemple d’un mandat d’arrêt régulièrement délivré avant la demande en récusation – ceci, bien entendu, au regard du respect du principe de la présomption d’innocence, des droits de la défense et du droit à un procès équitable.

8. Si le juge – ici le juge d’instruction – refuse la récusation ou s’il ne répond pas dans le délai prévu par la loi, la procédure est transmise au ministère public et ce dernier saisit la juridiction supérieure de celle à laquelle appartient le juge – ici la cour d’appel.
Cette juridiction va, après avoir convoqué et entendu les parties, statuer dans les huit jours sur la récusation, et cela « en dernier ressort » – c’est-à-dire que la décision prise par la juridiction n’est pas susceptible d’appel (article 838, alinéas 1er et 2, du Code judiciaire). Les arrêts relatifs à la récusation peuvent toutefois faire l’objet d’un pourvoi en cassation, sauf si la décision sur la récusation émane de la Cour de cassation elle-même.

9. Si les faits qui motivent la récusation sont prouvés, le juge devra donc s’abstenir (article 841 du Code judiciaire).
Précisons toutefois qu’en ce qui concerne le juge d’instruction, il est admis qu’on ne peut déduire d’une demande de récusation fondée, que les actes d’instruction et les décisions judiciaires prises avant la demande en récusation sont irréguliers.

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