I. Une situation vieille comme le monde
1. Voilà un État qui veut juger devant ses propres tribunaux une personne accusée d’avoir commis diverses infractions et qui se trouve être dans un État étranger.
Voilà, alternativement, un État qui veut incarcérer dans ses prisons une personne qu’il a déjà condamnée pénalement et qui n’y parvient pas, précisément parce que ce condamné se trouve en fuite ou caché dans un pays étranger.
La solution juridique ne s’appelle pas l’enlèvement ou le kidnapping pour amener de force cette personne dans l’État qui veut le juger ou l’incarcérer mais répond au doux nom de la collaboration internationale en matière pénale.
2. Tantôt, cette situation est organisée par le mandat d’arrêt européen : il ne s’applique qu’aux demandes formulées entre les États membres de l’Union européenne et repose sur un mécanisme facilité et accéléré de remise de l’individu d’un État à l’autre : c’est que les États de l’Union européenne se font une confiance mutuelle et qu’il s’agit d’assurer la libre circulation des jugements ou des mandats d’arrêt.
La procédure est évidemment plus rapide et plus expéditive, vu cette confiance mutuelle, quand même soumise à quelques garde-fous.
3. Tantôt, cette situation est organisée par des traités internationaux, à savoir des conventions ou accords conclus entre deux États ou entre plusieurs États qui répondent à une même sensibilité : il s’agit des traités d’extradition bilatéraux ou multilatéraux. Citons les exemples du traité entre la Belgique et la Tunisie signé en 1990, entre la Belgique et les États-Unis signé en 1987 ou entre la Belgique et tous les autres États membres du Conseil de l’Europe signé en 1957 et qui fut même étendu à la Suisse ou Israël pour concerner, finalement, 50 États.
C’est de cette procédure d’extradition qu’il sera question dans le présent article, telle qu’elle est généralement organisée par ce type de traité.
II. Les principes de l’extradition protègent la personne recherchée
4. Le premier principe est le principe de réciprocité : c’est donnant donnant, chaque État ne peut concéder que ce qu’il peut lui-même obtenir dans le cadre de ce traité.
5. Le second principe est que l’infraction dont est accusé ou dont est coupable la personne recherchée doit constituer une infraction dans les deux États en question (ainsi, la Belgique n’accordera jamais une extradition pour un adultère puisque l’adultère n’est plus une infraction en droit pénal belge).
6. Le troisième principe est que la Belgique n’accordera pas l’extradition en cas de violation des droits fondamentaux de la personne recherchée : ainsi, la Belgique refuse d’extrader une personne vers un État dans lequel elle risque de manière effective la peine de mort, sauf à cet État requérant de donner des garanties réelles que la peine de mort ne sera pas appliquée. Il en va de même avec le risque de torture ou de traitements inhumains ou dégradants.
7. Un quatrième principe est que, sauf les pays anglo-saxons, aucun État n’extrade des personnes qui ont la nationalité de cet État : c’est la non-extradition des nationaux. Ce cadeau n’est qu’un demi-cadeau car, en réalité, cet État national s’oblige à juger son ressortissant.
8. Un cinquième principe veut que les États s’interdisent d’extrader pour des infractions politiques, avec, évidemment, des exceptions de plus en plus nombreuses ; ainsi, les infractions de terrorisme n’entrent pas dans cette exception.
9. Il faut donc comprendre de ces quelques principes que le traité d’extradition est protecteur de l’individu qui est recherché par un État requérant pour y être jugé ou incarcéré alors qu’il se trouve dans l’État requis.
III. Une prérogative du pouvoir exécutif mais sous le contrôle du pouvoir judiciaire
10. Si nous envisageons une demande d’extradition présentée par un État étranger (on l’appelle l’État requérant) à la Belgique (on l’appelle l’État requis), la personne recherchée peut, sur la base de cette demande acheminée par la voie diplomatique, être arrêtée et incarcérée en Belgique dans l’attente de sa remise de force aux autorités de l’État requérant.
Un juge d’instruction belge délivre un mandat d’arrêt provisoire contre la personne recherchée en Belgique et qui, par exemple à la faveur d’un contrôle, vient de se faire arrêter par un service belge de police qui met à exécution l’ordre de recherche et d’arrestation venu du pays étranger ou diffusé, par exemple, par la canal d’Interpol.
Un contrôle judiciaire de la détention est assuré par une juridiction indépendante (une chambre du conseil près le tribunal correctionnel de l’arrondissement dans lequel l’arrestation est intervenue) : elle pourrait ordonner par exemple la remise en liberté sous conditions en attendant la suite de la procédure. Ensuite, c’est encore une chambre du conseil qui doit ou non accorder l’exequatur de la demande étrangère et, ainsi, maintenir en détention l’intéressé sous le couvert de ce qui est appelé un mandat d’arrêt extraditionnel. L’exequatur est la décision par laquelle la Chambre du conseil accorde l’autorisation de faire exécuter, c’est-à-dire réaliser concrètement, l’extradition sollicitée.
Le Gouvernement doit ensuite prendre l’avis juridique, notamment quant au respect des principes déjà énoncés, d’un autre tribunal indépendant, la Chambre des mises en accusation (organisée au sein d’une cour d’appel), mais c’est, finalement, le Gouvernement qui décide ou non de la remise effective à l’État requérant de la personne recherchée et arrêtée.
C’est donc bien un acte de Gouvernement et, partant, un acte administratif et politique, qui peut être attaqué en suspension et/ou en annulation devant le Conseil d’État.
IV. Le principe de spécialité
11. Sous réserve d’une renonciation expresse à ce principe, l’accusé ou le condamné ainsi extradé vers l’État requérant a la certitude de ne pouvoir être jugé ou incarcéré dans cet État requérant que pour les infractions mentionnées dans la requête d’extradition. Il est hors de question d’y ajouter d’autres faits ou d’autres infractions ou d’autres charges.
Là encore, le traité d’extradition participe de la protection de l’individu recherché.
Votre point de vue
Pascal Vanlaer Le 29 février à 17:12
Bonjour,
Merci pour cet article. Je vous contacte après avoir vu le film "Ithaqa" sur le combat de la famille de Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks pour le faire libérer.
Vous dites plus haut que "Le second principe est que l’infraction dont est accusé ou dont est coupable la personne recherchée doit constituer une infraction dans les deux États en question".
Est-ce que le pays "hôte" doit évaluer le bien fondé de l’accusation ? Ou bien est-ce que le chef d’accusation doit seulement exister dans la loi du pays "hôte" ?
Bien à vous,
Pascal Vanlaer
Justice-en-Ligne Le 5 mars à 09:22
En réponse à la question posée ce 29 février 2024 par Pascal Vanlaer, Adrien Masset, auteur de l’article concerné, fournit la précision suivante :
« L’État requis de transférer le suspect ou le condamné n’est appelé qu’à un contrôle théorique relativement à la punissabilité dans l’État requis et dans l’État requérant du comportement reproché : il ne s’agit pas d’une appréciation sur le bien-fondé de l’accusation ou sur les mérites de l’accusation. Il s’agit plutôt de vérifier une correspondance théorique entre différents concepts (par exemple, le comportement est qualifié d’association de malfaiteurs dans l’État requis et d’organisation criminelle dans l’État requérant). Il ne s’agit donc pas, en quelque sorte, de ‘juger’ la personne dans l’État requis ni d’évaluer ses chances de condamnation ou d’acquittement dans l’État requérant ».
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