Comprendre le cadre légal : entre obligation de coopération et immunité
1. La Cour pénale internationale est une juridiction créée pour juger les crimes les plus graves : crimes contre l’humanité, crimes de guerre, crimes de génocide et, plus récemment, crime d’agression.
Contrairement à une justice d’État, la Cour pénale internationale ne dispose pas de propres forces de l’ordre pour procéder aux arrestations des personnes qu’elle poursuit. Elle dépend donc entièrement de la coopération des États ayant adhéré au Statut de Rome, le traité fondateur de la Cour pénale internationale.
En pratique, cela signifie que ce sont les États eux-mêmes qui doivent arrêter les suspects présents sur leur territoire et les remettre à la Cour. L’article 86 du Statut de Rome impose donc aux États parties une obligation générale de coopération. Toutefois, cette obligation doit être mise en perspective avec un principe fondamental du droit international : l’immunité des chefs d’État.
2. À cet égard, l’article 27 du Statut prévoit que l’immunité liée à la fonction officielle (comme celle d’un président ou d’un premier ministre) ne protège pas contre les poursuites devant la Cour pénale internationale. En d’autres termes, être chef d’État n’empêche pas d’être poursuivi par la Cour pour des crimes internationaux graves.
Encore faut-il toutefois que la personne soit arrêtée et remise à la Cour par un État. Or, comme la Cour internationale de Justice l’a jugé (aux dépens de la Belgique) dans l’affaire Yerodia, les États doivent en principe respecter les immunités que le droit international coutumier attache à certains hauts représentants étrangers.
Dès lors, comment concilier l’obligation de coopération avec la Cour pénale internationale et le respect des immunités internationales ?
La prise de position de la Cour pénale internationale dans l’affaire Al-Bashir
3. Ce débat a particulièrement animé la communauté internationale dans le cadre de l’affaire Omar Al Bashir, du nom de l’ancien président soudanais.
Bien que la Cour pénale internationale ait émis un mandat d’arrêt contre lui pour génocide, plusieurs États parties, comme l’Afrique du Sud, ont refusé de l’arrêter au nom de la Cour, invoquant l’immunité internationale dont il bénéficiait à cette époque.
Dans un arrêt phare, la Cour pénale internationale a tranché la question : de son point de vue, les États parties doivent exécuter les mandats d’arrêt, même contre des chefs d’État en fonction, puisque l’immunité de ces derniers n’est pas opposable devant la Cour pénale internationale. Certes, l’article 98 du Statut semble suggérer que la Cour ne peut contraindre un État partie à se livrer à une mesure de coopération qui aurait pour effet de mettre cet État en porte à faux avec ses obligations internationales en matière d’immunités. Mais, selon la Cour, tel ne serait pas le cas en l’espèce puisque la non-pertinence des immunités devant la Cour (article 27 du Statut) doit nécessairement s’étendre aux mesures de contrainte posées par les États au nom de celle-ci.
Ainsi, du point de vue de la Cour pénale internationale, il est certain qu’un État qui refuse d’exécuter un mandat d’arrêt viole son obligation de coopération prévue par l’article 86 du Statut de Rome.
La position belge et l’importance de la cohérence
4. Dans ce contexte, les déclarations du Premier ministre Bart De Wever, laissant entendre que la Belgique n’exécuterait pas le mandat d’arrêt émis à l’encontre de Benjamin Netanyahu, soulèvent de nombreuses interrogations.
5. Certes, il n’est pas acquis que la Cour internationale de Justice, si elle était saisie de la question des immunités internationales, adopterait la même approche que la Cour pénale internationale. Elle pourrait considérer que les chefs d’État étrangers bénéficient d’une immunité absolue, y compris face à un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale.
Sur le fond, la Belgique pourrait donc éventuellement prétendre soutenir, comme d’autres États le font, que la prudence reste de mise et donc décider de ne pas procéder à l’arrestation des chefs d’état visés par un mandat d’arrêt international, au nom de leur immunité. Cette « prudence » serait, en tout état de cause, relative puisqu’elle reviendrait assurément, comme nous l’avons dit, à violer l’article 86 du Statut de Rome, du point de vue de la Cour pénale internationale.
6. Par ailleurs, même si le gouvernement belge entendait favoriser une telle position, il serait assurément utile que celle-ci fasse l’objet d’une décision cohérente et collective du gouvernement. D’ailleurs, juridiquement, ce n’est pas le Premier ministre qui a vocation à intervenir dans le cadre d’une demande d’arrestation et de remise adressée par la Cour, mais bien le ministre de la Justice. Ce dernier réceptionne la demande d’arrestation et effectue un premier filtrage sommaire. Ensuite, l’exécution proprement dite relève du pouvoir judiciaire, garantissant ainsi une séparation des pouvoirs et une certaine indépendance dans l’application du droit international.
Or, dans le cas présent, les propos du Premier ministre ne semblent pas refléter une position unanime. En l’occurrence, la ministre de la Justice, Annelies Verlinden, a elle-même réaffirmé l’attachement de la Belgique à la Cour pénale internationale et au principe d’une justice internationale indépendante.
7. Enfin, si la Belgique choisissait malgré tout de ne pas exécuter un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, elle devrait, à notre avis, impérativement faire preuve de cohérence sur cette question.
Cela impliquerait dès lors d’adopter une position uniforme vis-à-vis de tous les mandats, quels que soient l’identité ou le statut politique des suspects, qu’il s’agisse de Benjamin Netanyahu, de Vladimir Poutine ou de tout autre chef d’État. Toute distinction fondée sur des critères politiques ou diplomatiques pourrait paraitre contraire au principe d’égalité devant la justice et renforcerait l’accusation de deux poids, deux mesures.
Conclusion
8. Même si la situation politique ou diplomatique est parfois sensible, la Belgique, en tant qu’État membre de la Cour pénale internationale, a une obligation juridique claire : exécuter les mandats d’arrêt délivrés par la Cour. Refuser de le faire constituerait une violation manifeste du Statut de Rome.
Néanmoins, si la Belgique envisageait de s’opposer à la position de la Cour pénale internationale, elle devrait le faire de manière unifiée et cohérente, en s’exprimant d’une seule voix et en évitant de donner l’impression de principes à géométrie variable selon les personnes visées. C’est à ce prix que la Belgique pourra continuer de défendre, avec crédibilité, les valeurs de droit international qu’elle proclame.
Votre point de vue
Célestin Le 29 mai à 16:08
Le droit international comme les relations internationales sont caractérisés par le consensualisme étatique. Ce qui veut dire que le consentement des Etats est essentiel pour sa mise en marche, pour son existence. On ne peut, malheureusement exercer une contrainte contre un Etat qui refuse de collaborer. Force est de constater que la Belgique comme les autres pays comme la France, pour des raisons d’intérêts d’Etats, pratiquent une justice internationale à géométrie variable. En l’espèce la tentative d’arrestation du ministre congolais des affaires étrangères Abdoulay YERODIA NDOMBASI, l’arrestation et le transfert du Président Laurent GBAGO de la Côte d’Ivoire à la CPI. En revanche, les plaintes contre le Président américain Georges BUSCH et le premier ministre israélien et le Président russe ne seront jamais mises en exécution car la justice de ce monde te rendra noir ou blanc selon que tu es faible ou fort, pauvre ou riche, noir ou blanc.............................
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