Les « Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens » (« CETC ») doivent rendre un important arrêt le 13 février 2012 dans l’affaire Duch, qui met en cause le directeur du centre de torture S21, ouvert pendant la dictature de Pol Pot. L’accusé a fait appel de sa condamnation en première instance à 35 années d’emprisonnement pour crimes contre l’humanité. Le second procès contre les principaux anciens dirigeants khmers rouges encore vivants, comme Nuon Chea, le bras droit de Pol Pot, a commencé fin novembre 2011. Ils sont principalement accusés de crimes de génocide.
Malgré des intrusions notoires du Gouvernement cambodgien, les Chambres extraordinaires sont donc effectives et impliquent beaucoup de victimes. En effet, les Chambres sont compétentes pour réprimer des crimes de masse ; on parle d’entre un et deux millions de morts. Elles doivent donc gérer la participation d’un nombre considérable de victimes. Celles-ci ont la possibilité de porter plainte, de se constituer partie civile et de demander réparation. Mais ce statut ne correspond pas étroitement au modèle belge.
Selon le droit des Chambres, la victime peut être une personne physique ou morale. Elle peut avoir directement subi un crime ou agir en raison du préjudice causé par la perte d’un proche. Tenant compte du fait qu’une partie des Cambodgiens a fui les massacres, les personnes peuvent se constituer parties civiles indépendamment de leur nationalité et de leur lieu de résidence. Elles doivent, entre autres, fournir un dossier médical attestant les séquelles physiques et morales des crimes. Toutefois, il s’agit d’une condition difficile à remplir car les faits datent des années 1970 et le Cambodge a mis du temps avant d’être un pays stable.
Les parties civiles forment des groupes et les Chambres encouragent leur représentation commune car, sinon, les procès seraient ingérable en pratique. Ainsi, des associations de victimes agrées par les Chambres peuvent représenter leurs membres qui se sont constitués parties civiles. Mais l’élément le plus original est que, depuis 2010, deux co-avocats principaux, un Cambodgien et un étranger, représentent les intérêts du collectif des parties civiles. Ils sont devenus les interlocuteurs privilégiés des juges. Toutefois, bon nombre de parties civiles désapprouvent ce système car elles ne choisissent pas ces co-avocats et la collaboration avec leurs propres représentants est difficile. En effet, il est laborieux de faire émerger un compromis satisfaisant entre plusieurs centaines de parties civiles.
Par ailleurs, le système des réparations prête aussi à commentaire. Conscientes des difficultés à offrir une réparation significative pour toutes les victimes, les Chambres ne permettaient qu’une réparation collective et morale à la charge du condamné.
Mais le jugement dans l’affaire Duch de juillet 2010 a fait apparaître des imperfections. Par exemple, il a principalement accordé une réparation symbolique par la diffusion des excuses du criminel sur le site internet des Chambres. Les parties civiles ont clairement jugé cette mesure insuffisante. Le droit applicable a donc été modifié, notamment pour permettre une réparation indépendante de la condamnation de l’accusé et autoriser l’indemnisation financière. Dorénavant, la Section en charge des victimes peut aussi organiser des projets collectifs en collaboration avec les co-avocats principaux, des organismes publics et des ONG. Mais, ces projets répondent à une demande unique de réparation, ne prenant donc pas en considération les demandes de victimes marginales.
En conclusion, les Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens ont l’attitude paradoxale suivante : elles permettent aux victimes de se constituer parties civiles tout en érigeant des barrières pour entraver cette participation.