Le Tribunal de l’Union européenne confirme l’amende record infligée à Google pour abus de position dominante

par Enguerrand Marique - 29 novembre 2022

Le Tribunal de l’Union européenne vient de confirmer, tout en la réduisant quelque peu, l’amende record infligée par la Commission européenne à Google en raison notamment du fait qu’elle impose aux producteurs de smartphones, via son système Android, l’installation d’importantes applications tout en leur interdisant d’en placer d’autres pouvant entrer en concurrence.
Enguerrand Marique, maître de conférences invité à l’Université catholique de Louvain et Universitair Docent à l’université Radboud de Nimègue (Pays-Bas), nous rappelle ci-dessous les faits et résume les traits essentiels de cette décision de la Justice européenne.

1. Google (Alphabet) est une entreprise américaine active mondialement dans le secteur des nouvelles technologies. Cette entreprise fournit, outre le célèbre moteur de recherche éponyme, le système d’exploitation Android (qui permet de faire fonctionner les smartphones), mais également certaines applications pour les smartphones équipés d’Android, comme la plateforme d’achat et de téléchargement d’applications PlayStore, mais également le navigateur Chrome.

2. De 2011 à 2018, Google a imposé aux producteurs de smartphones qui souhaitaient faire usage du système Android d’également installer certaines applications comme Chrome, PlayStore ainsi que l’application du moteur de recherche Google. La firme interdisait par ailleurs aux producteurs de smartphones d’installer des applications concurrentes s’ils souhaitaient tirer des revenus des publicités sur les applications des smartphones vendus.

3. La Commission européenne a qualifié cette pratique comme un abus de position dominante, interdit par le droit européen de la concurrence.
En vue de parvenir à cette qualification, la Commission a dû établir que Google était dominante sur le marché concerné, avant de montrer en quoi les pratiques de Google sont constitutives d’abus.

4. Concernant le définition du marché, une première difficulté résidait dans le caractère « gratuit » des services offerts par Google aux utilisateurs finaux.
Cette gratuité signifie que les tests économiques classiques qui visent à établir et quantifier les effets d’une modification du prix sur la demande pour le produit ne peuvent pas être mis en œuvre.
La Commission a alors dû recourir à des tests visant à établir l’influence d’une modification de la qualité du service sur la demande (test dit « SSNDQ »). Elle a conclu par son analyse que des système d’exploitation intégrés (comme iOS sur Apple, ou Blackberry), qui ne sont pas ouverts à installation sur des téléphones d’une fabricant tiers, ne participent pas au même marché.

5. Concernant le caractère abusif des pratiques, la Commission a considéré que la pré-installation de certaines applications conduisait les utilisateurs à utiliser ces applications, plutôt qu’à chercher des alternatives, ce qui accroit l’utilisation des services de Google de façon durable.
La Commission a également examiné les accords d’exclusivité en vue de partager les revenus publicitaires des applications préinstallées.
La Commission, en vue de conclure au caractère abusif de ces accords, a vérifié qu’un « concurrent aussi efficace » aurait pu restreindre la concurrence sur la base des mérites du produit, en lieu et place d’une interdiction contractuelle justifiée exclusivement par une position dominante.

6. La Commission a conclu en 2018 que Google était dans une position d’abus de position dominante et lui a infligé une amende record de plus de 4 milliards d’euros.
Google a bien entendu contesté cette sanction, et a introduit un recours en annulation devant le Tribunal de l’Union européenne.
Aux termes d’une décision extrêmement longue (près de 168 pages) examinant les griefs soulevés par Google, le Tribunal a tranché le 14 septembre 2022 en faveur du maintien global de l’amende.

7. Parmi les arguments soulevés par Google, il faut noter la contestation de l’usage du test « SSNDQ », qui n’est pas un test traditionnel. Le Tribunal a confirmé que la Commission pouvait à juste titre faire usage de ce test.
Google a contesté d’autres éléments, relatifs notamment à des justifications de certaines pratiques – en ce qu’elles auraient un effet pro-concurrentiel – mais le Tribunal a confirmé les conclusions de la Commission européenne.
Par ailleurs, Google a contesté la méthodologie mise en œuvre pour le test du « concurrent aussi efficace » par la Commission européenne. À cet égard, le Tribunal a donné raison à Google. Au terme de l’arrêt, le Tribunal a toutefois maintenu l’amende pour l’infraction établie au droit de la concurrence, mais qu’elle a réduit de 220 millions d’euros.

8. Cette décision a déjà fait, et fera encore, couler beaucoup d’encre.
Premièrement, le montant colossal de l’amende attire certainement l’attention du public.
Deuxièmement, cette décision risque de confirmer les tensions existantes entre les États-Unis et l’Union européenne sur la réglementation des acteurs du numérique. En effet, les plateformes actives au sein de l’Union sont essentiellement américaines et voient souvent ce type de décision comme du protectionnisme déguisé.
Troisièmement, l’Union européenne vient d’adopter, et de publier, le « digital markets act » ou « règlement sur les marchés numériques », dont l’objectif est de réglementer les pratiques concurrentielles des plus grandes plateformes numériques, dont Google, et d’éviter que de nouveaux acteurs ne puissent se positionner aussi facilement de manière dominante sur les marchés. Son entrée en vigueur est prévue pour le 2 mai 2023.

Mots-clés associés à cet article : Amende, Concurrence, Google, Android,

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maître de conférences invité à l’Université catholique de Louvain et Universitair Docent à l’université Radboud de Nimègue (Pays-Bas)

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