1. Dans la foulée de la crise financière qui frappe l’Europe depuis 2008, les pouvoirs publics sont intervenus à l’automne 2011 pour sauver une deuxième fois la banque Dexia, qui faisait face à d’importantes difficultés de financement. Le récit de ce sauvetage et du démantèlement du groupe Dexia consécutif (avec, entre autres, le rachat de Dexia Banque Belgique par l’État belge), a récemment fait l’objet d’un rapport de la Chambre des représentants, publiquement accessible (« Examen des circonstances qui ont contraint au démantèlement de la Dexia SA », cliquer ici).
L’État belge a, dans le cadre de cette opération de sauvetage, notamment adopté l’arrêté royal du 18 octobre 2011 octroyant une garantie d’État à certains emprunts de Dexia SA et Dexia Crédit Local SA. Cet arrêté royal a été adopté sur la base d’une disposition introduite en droit belge par un arrêté royal de pouvoirs spéciaux du 3 mars 2011. Aux termes de l’arrêté royal du 18 octobre 2011, la Belgique accepte plus particulièrement de garantir, moyennant rémunération et à concurrence d’un maximum de 54,45 milliards d’euros, certains des emprunts contractés avant le 31 décembre 2021 par Dexia SA et sa filiale Dexia Crédit Local envers, notamment, d’autres établissements de crédit. L’octroi d’une telle garantie oblige donc la Belgique, en cas de défaut de Dexia SA ou de sa filiale Dexia Crédit Local relativement aux emprunts garantis, à intervenir pour rembourser les créanciers qui ne seraient pas payés. La mise en œuvre de cette garantie est cependant conditionnée à la conclusion d’une ou plusieurs conventions, par le Ministre des Finances, précisant les modalités des garanties octroyées. Le Ministre des Finances est également chargé de déterminer la rémunération due à l’État pour la garantie en question.
2. L’octroi par l’État belge d’une garantie sur les emprunts contractés par la Dexia SA et Dexia Crédit Local et, surtout, l’ampleur de cette garantie (54,45 milliards d’euros, soit environ 15 % du PIB belge) ont suscité de nombreuses critiques. C’est ainsi que plusieurs associations et plusieurs députés ont décidé d’introduire un recours en annulation au Conseil d’État contre l’arrêté royal du 18 octobre 2011 octroyant la garantie d’État en cause.
Pour espérer obtenir l’annulation par le Conseil d’État de cet arrêté royal qu’elles contestent, les parties ayant introduit un recours en annulation doivent cependant démontrer que cet arrêté est illégal et non pas seulement que celui-ci est, selon elles, inopportun. Le Conseil d’État ne peut en effet substituer son appréciation de l’opportunité d’une mesure à celle de l’autorité qui l’a adoptée et qui en supporte politiquement la responsabilité.
3. Dans le cas de l’arrêté royal du 18 octobre 2011, il semble, suivant les informations parues dans la presse, que les parties requérantes critiqueraient principalement, d’une part, la circonstance suivant laquelle la garantie concernée a été octroyée par arrêté royal en période d’affaires courantes et sans que le Parlement ne se soit expressément prononcé quant à celle-ci, et, d’autre part, la circonstance suivant laquelle le ministre des Finances s’est vu confier par l’arrêté royal des pouvoirs étendus portant notamment sur la conclusion des différentes conventions permettant de mettre en œuvre la garantie octroyée et sur la détermination de la rémunération due à l’État belge pour la garantie.
Or, sans préjuger aucunement de l’issue du recours en annulation ayant été introduit, on se rappellera que, en droit belge, c’est le législateur et donc le Parlement qui dispose de la plénitude des compétences et que le Roi ne dispose que des pouvoirs qui lui sont expressément attribués par la Constitution ou par la loi. Quand il est question ici du Roi, il s’agit en réalité des pouvoirs qu’Il exerce avec au moins un ministre, en l’espèce celui des Finances, lequel, en contresignant l’arrêté, en assume la responsabilité politique devant la Chambre des représentants. En outre, lorsque la loi ou la Constitution confient au Roi un pouvoir, Il doit, en règle, l’exercer Lui-même, avec le contreseing dont il vient d’être question, et ne peut normalement pas en déléguer l’exercice à l’un de Ses ministres, sauf lorsque cette délégation, toujours révocable, ne porte que sur des mesures de détail et revêtant un caractère accessoire.
Le Conseil d’État devra dès lors sans doute, pour apprécier le fondement du recours introduit contre l’arrêté royal du 18 octobre 2011, notamment déterminer si, en période d’affaires courantes, le Roi (c’est-à-dire en réalité, sur le plan politique, le Gouvernement ou à tout le moins le ministre qui a contresigné l’arrêté) pouvait trouver dans la loi une base suffisante pour prendre la décision d’octroyer une garantie d’État pour certains emprunts de Dexia SA et Dexia Crédit Local SA, sans que le Parlement ne doive se prononcer expressément quant à celle-ci, et s’Il pouvait, pour la mise en œuvre de l’arrêté royal en question, déléguer les pouvoirs qu’Il a délégués à Son ministre des Finances.