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L’actualité regorge de cas médiatiques dans lesquels des non-lieux ont été prononcés par la chambre du conseil, comme tel fut le cas récemment à l’égard des quatre policiers impliqués dans le décès de Mehdi Bouda à Bruxelles en 2019. Ce type de décision émeut souvent la chronique et peut laisser un sentiment d’incompréhension au sein du public. Toutefois, il est important de comprendre ce qui se joue réellement au stade de la chambre du conseil. Il n’est pas encore question de culpabilité ou d’acquittement. Le juge de la chambre du conseil se concentre sur une question fondamentale : celle des charges.
Explication par Pauline Leloup, avocate au barreau de Bruxelles.

I. L’audience en chambre du conseil

1. Lorsque le juge d’instruction considère que son instruction est terminée, il renvoie le dossier au procureur du Roi.
Il appartient ensuite à ce dernier de rédiger son réquisitoire. Dans ce document, il sollicite de la chambre du conseil le renvoi de l’inculpé devant une juridiction de fond ou, dans de plus rares cas, un non-lieu.
Il existe par ailleurs d’autres types de demandes qui peuvent être formulées par le procureur du Roi à la chambre du conseil mais elles ne seront pas abordées dans le présent article.

2. Le procureur du Roi fait donc fixer une audience devant la chambre du conseil, qui statue sur le règlement de la procédure, c’est-à-dire sur la suite à réserver au dossier sur la base du rapport du juge d’instruction.
L’audience se tient à huis clos, elle n’est pas publique. Ne seront présents que le juge d’instruction, le procureur du Roi, le président de la chambre du conseil, son greffier, l’inculpé et son conseil, ainsi que les éventuelles (futures) parties civiles et leur conseil. À l’audience, le juge d’instruction est le premier à prendre la parole. Il retrace l’enquête qu’il a accomplie et tous les actes qu’il a posés. Ensuite, l’avocat de la partie civile prend la parole. Le procureur du Roi requiert le renvoi, ou non, de l’inculpé. Enfin, l’avocat de l’inculpé plaide.

3. La chambre du conseil peut rendre différents types d’ordonnance :

  • l’ordonnance de renvoi :
  • l’ordonnance de non-lieu ;
  • l’ordonnance d’internement ;
  • l’ordonnance accordant une suspension du prononcé de la condamnation ;
  • l’ordonnance de plus ample informé ;
  • l’ordonnance de dessaisissement ;
  • l’ordonnance d’extinction de l’action publique.

II. Le rôle fondamental de la chambre du conseil : l’appréciation des charges

4. Lorsque la chambre du conseil considère que l’enquête est parfaitement complète, il lui faut décider de renvoyer ou non l’inculpé devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police. Ce sont ces juridictions, et non la chambre du conseil, qui analyseront le dossier pour décider de l’éventuelle culpabilité du prévenu et de la peine à laquelle il doit, le cas échéant, être condamné.

5. Pour renvoyer un dossier devant le tribunal, la chambre du conseil doit s’assurer qu’il existe des charges suffisantes.

6. D’après la jurisprudence de la Cour de cassation, les charges s’entendent comme « l’ensemble des éléments recueillis au terme de l’instruction. Elles sont suffisantes lorsqu’elles sont contrôlées et si sérieuses qu’au stade du règlement de la procédure, la condamnation des personnes poursuivies apparaisse comme vraisemblable » (arrêt de la Cour de cassation du 2 octobre 2019). La chambre du conseil devra apprécier, en fait, à la lecture du dossier, si ces charges existent ou non.

7. Le prévenu et la partie civile ont bien sûr l’occasion de déposer des conclusions à ce sujet. Ainsi, la chambre du conseil sera contrainte, dans son ordonnance, de détailler son raisonnement quant à l’existence ou non des charges suffisantes.

8. La notion de charge se distingue de celle de soupçon, d’indice et de preuve.
Les soupçons sont les éléments qui justifient les recherches menées, au stade de l’information judiciaire.
Les indices permettent, quant à eux, la saisine d’un juge d’instruction. Ce sont des éléments plus sérieux qui justifient dès lors l’accomplissement de devoirs d’enquête plus attentatoires aux droits fondamentaux (perquisitions, écoutes téléphoniques, mandat d’arrêt, etc.).
Les charges s’analysent ensuite au stade du règlement de procédure.
Enfin, les preuves consistent en la démonstration certaine d’un fait. Elles sont appréciées par le juge du fond. Les preuves sont les éléments que le juge du fond retient pour établir la culpabilité d’un prévenu, au-delà de tout doute raisonnable.

III. La possibilité d’appel

9. Lorsque la chambre du conseil considère qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments pour renvoyer l’inculpé devant une juridiction de fond, la partie civile, ainsi que le ministère public, peuvent faire appel de cette décision. L’appel saisit la chambre des mises en accusation.
Trois magistrats y siègeront et confirmeront, ou non, l’ordonnance prononcée par la chambre du conseil.

10. À noter qu’en cas de renvoi devant une juridiction de fond, l’inculpé, futur prévenu, ne bénéficie pas de cette possibilité de faire appel, sauf lorsqu’il y a un argument de procédure à faire valoir.

11. Le non-lieu prononcé pour insuffisance de charges est une décision définitive qui ne pourra être revue que si des charges nouvelles apparaissent (article 246 du Code d’instruction criminelle). Celles-ci doivent être révélées après la décision rendue par la chambre du conseil.
Par ailleurs, ces nouvelles charges doivent « fortifier les preuves que la (juridiction d’instruction) aurait trouvées trop faibles » ou donner de nouveaux développements possibles à la manifestation de la vérité (article 247 du Code d’instruction criminelle).

12. Lorsqu’une ordonnance de non-lieu est prononcée par une juridiction d’instruction, soit la chambre du conseil ou la chambre des mises en accusation, cela ne signifie donc pas que l’inculpé est innocent, mais que l’enquête n’a pas révélé suffisamment d’éléments à charge de l’inculpé.

13. Il est important de comprendre que les juridictions d’instruction servent en réalité de carrefour, permettant de faire le tri entre les dossiers dans lesquels un procès doit être organisé pour discuter d’une éventuelle condamnation, et les autres dans lesquels il est évident que les charges ne pourront pas se transformer en preuve.

Votre point de vue

  • Amandine
    Amandine Le 27 août à 20:08

    Le jeune homme avait été percuté, le 20 août 2019, vers 23 heures, par une voiture de police roulant à 98 km/h avec feux bleus sans sirène, alors qu’il traversait la rue à proximité de la gare centrale... un endroit fort fréquenté par les piétons rejoignant la gare, le métro ou les bus de la STIB, à cette heure.
    Selon la Ligue des Droits Humains, "Ce non-lieu confirme les difficultés pour ces affaires impliquant des policier•ères de faire l’objet de procès. Selon un rapport du Comité P, plus de la moitié des affaires (57 %) qui lui sont transmises s’arrêtent à l’étape du non-lieu. Ce chiffre, basé sur un échantillon partiel, en l’absence de statistiques systémiques, pourrait être plus élevé encore. Après le non-lieu dans l’affaire Adil, c’est une nouvelle décision de la justice qui prive une famille d’un procès public sur les causes du décès de leur proche alors que le dossier contient des éléments à charge des policiers."
    https://www.liguedh.be/non-lieu-de-la-chambre-du-conseil-dans-laffaire-mehdi-bouda-la-ldh-plaide-encore-pour-un-proces-public/}
    Ce qui émeut, dans ce type de cas, et laisse un sentiment d’incompréhension au sein du public, c’est la proportion élevée de non-lieu qui seraient prononcés lorsque les prévenus sont des policiers, qui a incité le Comité P à s’interroger sur ce qui se joue réellement au stade de la chambre du conseil.

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Pauline Leloup


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Avocate au barreau de Bruxelles

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