Après la suspension, la Cour constitutionnelle annule l’ordonnance reportant de deux ans l’entrée en vigueur de l’ordonnance bruxelloise « LEZ » de lutte contre la pollution de l’air

par Nicolas de Sadeleer - 23 décembre 2025

Une ordonnance (l’équivalent d’une loi) bruxelloise du 2 mai 2013 a créé des zones de basses émissions (dites « LEZ ») pour lutter contre la pollution de l’air. Prévue pour le début 2025, l’entrée en vigueur de cette nouvelle législation a été reportée de deux ans par une ordonnance du 21 mars 2025.
Par un arrêt n° 115/2025 du 11 septembre 2025, la Cour constitutionnelle a suspendu ce report ; dans un récent article, Nicolas de Sadeleer, professeur ordinaire à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles (Chaire Jean Monnet), a présenté cet arrêt sur Justice-en-ligne.
Ce 11 décembre 2025, par son arrêt n° 174/2025, la Cour a à présent annulé cette ordonnance du 21 mars 2025 et donc le report qu’elle contient. Le même auteur nous présente cet arrêt ci-dessous.

1. L’ordonnance modificative du 21 mars 2025 avait pour objet de prolonger de deux années la mise en place d’une zone de basse émission (« LEZ », pour « low emission zone ») dans la Région bruxelloise en vue d’y restreindre l’accès de certains véhicules.
Ainsi, grâce à cette prolongation, certains véhicules qui n’étaient plus autorisés à circuler, à partir du 1er janvier 2025, y étaient désormais à nouveau autorisés jusqu’au 31 décembre 2026. Il s’agissait notamment des véhicules à motorisation diesel Euro 5 et des véhicules à motorisation essence, LPG et CNG Euro 2.

2. Dans son arrêt n° 115/2025 du 11 septembre 2025, la Cour avait jugé que les conditions de la suspension de cette ordonnance du 21 mars 2025 étaient remplies dans la mesure où le moyen unique des requérants (c’est-à-dire le motif avancé pour obtenir la suspension de cette ordonnance) était sérieux et que ces derniers étaient susceptibles de souffrir d’un risque d’un préjudice grave et difficilement réparable (B.5.1 à B.6). Cet arrêt a été présenté sur Justice-en-ligne le 3 décembre dernier (N. de Sadeleer, « La Cour constitutionnelle suspend l’ordonnance reportant de deux ans l’entrée en vigueur de l’ordonnance bruxelloise ‘LEZ’ de lutte contre la pollution de l’air »)

3. Aussi, ainsi que la fin de ce dernier article le précisait en son point 12, la Cour était-elle tenue de statuer sur le recours en annulation dans les trois mois à compter de l’arrêt de suspension.
Comme on pouvait s’y attendre, elle a largement suivi, avec quelques nuances, le raisonnement qu’elle avait développée en reconnaissant le caractère sérieux du moyen unique avancé par les requérants.

4. Elle ne reproduit pas un passage du point B.9.1 de son arrêt de suspension, où elle soulignait que la « LEZ » et l’échéancier de réduction d’accès aux véhicules polluants contribuaient à « la réduction des émissions de gaz à effet de serre, qui contribue à assurer une protection efficace de l’environnement et du climat ».
Si, sur un plan scientifique, cette affirmation n’est pas erronée, l’impact environnemental des différents gaz à effet de serre (GES) est assurément complexe.
La mesure régionale créant la « LEZ » a pour objet, conformément à la directive 2008/50/CE du 21 mai 2008 de l’Union européenne ‘concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe’, la protection de la santé des personnes contre des polluants émis par des véhicules automobiles, tels que les particules fines, le dioxyde d’azote (NO2), et le monoxyde de carbone (CO). On le sait, le CO2, émis par les véhicules automobiles, n’est pas un gaz polluant, même si son excès perturbe l’effet de serre naturel. En revanche, le CO, qui résulte notamment de la combustion incomplète de l’essence, constitue un gaz extrêmement toxique, invisible, inodore et potentiellement mortel. Il en va de même d’un autre gaz à effet de serre, le NO2 qui présente des dangers significatifs pour la santé respiratoire.

5. Dans le prolongement de son arrêt de suspension du 11 septembre 2025, la Cour constitutionnelle s’appuie à nouveau sur la littérature scientifique produite par l’institution publique Sciensano pour mettre en exergue l’impact « grave » que le report d’une mesure d’amélioration de la qualité de l’air est susceptible d’avoir sur de personnes déjà sérieusement affectées par cette pollution (B.7.5 de l’arrêt du 11 décembre 2025).
En se référant à des études scientifiques impartiales et rigoureuses, la Cour constitutionnelle cherche, à l’instar d’autres juridictions suprêmes (par exemple le Hoge Raad des Pays-Bas dans l’affaire Urgenda) à objectiver la problématique (N. de Sadeleer, « Pour le Hoge Raad des Pays-Bas, une politique trop frileuse de réduction des émissions de gaz à effet de serre viole la Convention européenne des droits de l’homme »).
La dégradation sanitaire qui résulte du report de deux ans de l’entrée en vigueur de la « LEZ » corrobore le recul significatif du droit à un environnement sain consacré par l’article 23 de la Constitution.

6. Au point B.8.2 de son arrêt du 11 décembre 2025, la Cour cite aussi, les conclusions du rapport de l’Observatoire de la santé et du social de Bruxelles-Capitale (Vivalis Bruxelles, Tableau de bord de la santé en Région bruxelloise, 2024), selon lequel il n’est pas démontré que la majorité des véhicules anciens appartienne à une catégorie défavorisée de la population bruxelloise. Aussi, le report de la mise en place de la « LEZ » ne permet-elle pas nécessairement de répondre aux besoins économiques des personnes les plus défavorisées.

7. Enfin, la Cour rejette l’argument avancé par la Région selon lequel le moyen unique était dirigé contre l’absence de mesures qui auraient dû entourer la préparation de l’ordonnance prévoyant le report de deux ans de la « LEZ ».
Elle rappelle qu’elle n’est pas compétente pour juger que l’adoption d’« une norme législative aurait dû être précédée de consultations, d’études ou d’expertises », mais qu’elle peut tenir compte de telles informations dans son examen de l’ordonnance attaquée au regard de l’article 23 de la Constitution (B.8.2).
Ainsi, l’absence d’une étude d’impact non seulement socioéconomique mais aussi environnemental peut-elle être prise en compte dans le cadre de la vérification d’un recul significatif du niveau de protection.

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professeur ordinaire à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles (Chaire Jean Monnet)

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