Reconnaissance de la compétence de la Cour pénale internationale par l’Ukraine
1. La Cour pénale internationale est une juridiction internationale créée le 1er juillet 2002 lors de l’entrée en vigueur du Statut de Rome signé le 17 juillet 1998.
À ce jour, ce traité international a été ratifié par 124 États. Cependant, ni la Russie ni l’Ukraine ne sont actuellement partie au Statut de Rome de la CPI.
2. Avant même le déclenchement de « l’Opération militaire spéciale » russe en février 2022, le gouvernement ukrainien avait toutefois déposé deux déclarations d’acceptation de la compétence de la Cour pénale internationale pour les crimes commis sur son territoire :
- le 9 avril 2014, l’Ukraine a reconnu la compétence de la Cour pour les crimes commis sur son territoire du 21 novembre 2013 au 22 février 2014 ;
- le 8 septembre 2015, une seconde déclaration a étendu cette reconnaissance à l’ensemble des crimes commis à partir du 20 février 2014.
Malgré l’absence de ratification formelle du Statut de Rome par l’Ukraine et par la Russie, ces déclarations permettent donc à la Cour pénale internationale de poursuivre les auteurs des crimes commis en Ukraine ; il est renvoyé sur ce point à l’article d’Éric David, « La guerre en Ukraine et les recours juridictionnels en droit international ».
Enquête et mandats d’arrêt sur la situation en Ukraine
2. Grâce à cette double acceptation de la compétence de la Cour par l’Ukraine, la Cour pénale internationale a lancé une enquête concernant les crimes contre l’humanité et crimes de guerre qui auraient été commis en Ukraine depuis le 21 novembre 2013. Celle-ci a conduit à l’émission de mandats d’arrêt à l’encontre de six personnes, dont Vladimir Poutine.
Cette enquête couvre la totalité du territoire ukrainien et est susceptible de viser l’ensemble des auteurs des crimes, quelle que soit leur nationalité. En règle, la Cour pénale internationale peut en effet exercer son action si l’auteur présumé est un ressortissant d’un État ayant consenti à la compétence de la Cour ou si les faits ont été commis sur le territoire d’un tel État.
La volonté de ratification du Statut de Rome par l’Ukraine
3. En 2001, la Cour constitutionnelle ukrainienne avait considéré que la ratification du Statut de Rome par l’Ukraine eût été incompatible avec l’article 124 de la Constitution. Cette disposition a été modifiée en 2016, ouvrant ainsi la voie à une telle démarche.
Les conséquences d’une telle ratification
4. Jusqu’à présent, les déclarations d’acceptation de la compétence de la Cour par l’Ukraine concernaient uniquement les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre. En ratifiant le Statut de Rome et ses amendements, l’Ukraine reconnaîtrait également la compétence de la Cour pénale internationale en matière de crime de génocide et de crime d’agression.
Au niveau politique, les déclarations émises par l’Ukraine en 2014 et 2015 ne lui donnaient pas les mêmes droits que la qualité d’État Partie au Statut de Rome. Cette ratification lui permettrait donc, par exemple, de participer à l’élection des juges et du procureur ou de voter le budget annuel alloué à la Cour.
Certaines obligations découleraient par ailleurs de cette ratification, notamment des obligations de coopération avec la Cour pénale internationale.
Enfin, cela constitue un aspect central des démarches entreprises par l’Ukraine en vue de son éventuelle adhésion à l’Union européenne, pour laquelle elle est actuellement candidate.
L’invocation de l’article 124 du Statut de Rome par l’Ukraine
5. La loi ukrainienne destinée à ouvrir la voie à la ratification fait référence à l’article 124 du Statut de Rome. Cette disposition permet à un nouvel État partie d’exclure la compétence de la Cour s’agissant des crimes de guerre commis sur son territoire ou par ses ressortissants pour une période de sept ans à partir de l’entrée en vigueur du Statut à son égard.
Dans le passé, seules la France et la Colombie ont invoqué cet article. En 2015, l’Assemblée des États parties a engagé un processus d’amendement du Statut destiné à supprimer cet article mais cet amendement n’est pas encore entré en vigueur, faute d’avoir encore été ratifié par un nombre suffisant d’États membres.
Le texte de loi ukrainien tend à exclure la compétence de la Cour pénale internationale lorsque des crimes de guerre sont « probablement commis par ses ressortissants ». Mais l’article 124 du Statut de Rome fait également référence aux crimes de guerre « commis sur son territoire ». Ce recours « à la carte » à l’article 124 du Statut par l’Ukraine vise donc à limiter les risques de poursuite à l’encontre des membres des forces armées ukrainiennes tout en assurant que les crimes de guerre commis par des ressortissants russes, par exemple, puissent faire l’objet de poursuites.
6. Bien que l’Ukraine ait adopté une démarche sélective pour ratifier le Statut de Rome, cela ne modifie en rien la portée juridique de l’enquête en cours. Ainsi, pour la période du 21 novembre 2013 jusqu’à l’entrée en vigueur du Statut de Rome pour l’Ukraine, la Cour pénale internationale conserve sa compétence pour juger les crimes de guerre perpétrés sur le territoire ukrainien, qu’ils aient été commis par des ressortissants ukrainiens ou russes.
Toutefois, l’invocation de l’article 124 du Statut de Rome par l’Ukraine soulève des incertitudes pour l’avenir en raison, notamment, d’une potentielle incompatibilité avec les déclarations ukrainiennes de 2014 et 2015. La Cour sera peut-être amenée, dans le futur, à se prononcer sur cette incompatibilité inédite.