Depuis l’arrêt prononcé le 28 mars 2002 par la Cour constitutionnelle, la procédure de comparution immédiate (appelée souvent le « snelrecht »), mise à la disposition du ministère public en vue d’assurer une répression rapide des formes les moins graves et les moins organisées de la criminalité, a disparu des pratiques judiciaires. Les actuels négociateurs des partis politiques désireux de constituer la nouvelle coalition fédérale semblent envisager un réaménagement législatif de cette procédure. En quoi consistait-elle ? Quelles ont été les motifs de son annulation partielle en 2002 ?

Shelley Henrotte, avocat au barreau de Bruxelles, répond à ces questions.

1. La loi du 28 mars 2000 a inséré, par le biais, principalement, des articles 216quinquies à 216septies du Code d’instruction criminelle, une procédure dite de « comparution immédiate » en matière pénale, que les journalistes et les praticiens ont affublé du sobriquet de « snelrecht ».

Cette procédure mettait en place une possibilité pour les membres du ministère public de convoquer aux fins d’une comparution immédiate devant le tribunal correctionnel une personne suspectée d’avoir commis une infraction.

La procédure de comparution immédiate avant le 28 mars 2002

2. Originairement, cette procédure supposait la réunion des conditions suivantes :

 les faits reprochés devaient être punissables d’une peine minimale d’un an sans excéder dix ans, en ce compris les crimes correctionnalisés (c’est-à-dire ceux qui, en vertu de la loi, sont théoriquement punissables de plus de cinq ans de privation de liberté mais pour lesquels le juge reconnaît qu’il y a des circonstances atténuantes ayant pour effet de ne permettre qu’un maximum de peine à en principe cinq ans),

 le suspect devait être soit placé sous mandat d’arrêt, soit libéré sous conditions par le juge d’instruction : le placement sous mandat d’arrêt était requis par le procureur du Roi aux fins d’une comparution immédiate, laissant à l’appréciation du magistrat instructeur une éventuelle libération sous conditions en vue de cette comparution immédiate ;

 les faits devaient avoir été commis en état de flagrance ou, à défaut, des charges suffisantes devaient être réunies dans un délai d’un mois à dater de la commission de ceux-ci ; l’information menée par le ministère public devait donc être clôturée dans un délai d’un mois.

3. Lorsque ces conditions étaient réunies, le procureur du Roi disposait du choix de notifier au suspect une convocation aux fins de comparution immédiate, de le citer directement devant le tribunal correctionnel, de le convoquer par procès verbal ou encore de renvoyer l’affaire à l’instruction.

Dans l’hypothèse d’une audience aux fins de comparution immédiate, la victime était également avisée de la date de la comparution afin d’y faire valoir ses intérêts.

La comparution devant le tribunal correctionnel devait avoir lieu entre le cinquième et le septième jour à dater de la délivrance du mandat d’arrêt.

4. Le jugement était prononcé soit le jour de l’audience d’introduction, soit, au plus tard, dans les cinq jours suivants la prise en délibéré de l’affaire.

Le juge disposait également du droit de remettre l’examen de l’affaire à une date ultérieure en vue de procéder à l’audition de témoins ou de faire réaliser une enquête sociale. Dans cette hypothèse, l’affaire devait être prise en délibéré (c’est-à-dire examinée par le juge en vue du jugement, les débats étant alors clos) au plus tard quinze jours à compter de l’audience d’introduction.

5. Le tribunal pouvait également décider de renvoyer le dossier au procureur du Roi s’il estimait que des investigations supplémentaires étaient nécessaires. Dans cette hypothèse, le tribunal statuait sur le maintien en détention préventive de la personne détenue et ce, pour une durée maximale de vingt-quatre heures. La procédure de comparution prenait alors fin au profit d’une procédure de « droit commun ».

6. En toute circonstance, si la personne détenue ne comparaissait pas dans le délai de sept jours à dater de la délivrance du mandat d’arrêt ou si le jugement n’était pas prononcé dans ce même délai, la personne détenue était automatiquement remise en liberté.

7. Le prévenu condamné par défaut ne disposait pas du droit de former opposition à l’encontre du jugement prononcé à son encontre. Seul l’appel subsistait comme voie de recours.
L’arrêt prononcé le 28 mars 2002 par la Cour constitutionnelle

8. La Ligue belge des droits de l’homme a introduit un recours en annulation à l’encontre de la loi du 28 mars 2000 instaurant une procédure de comparution immédiate en matière pénale.

À la suite de ce recours, la Cour constitutionnelle a annulé plusieurs dispositions de cette loi en raison, notamment, de leur caractère discriminatoire.

9. Tout d’abord, la Cour constitutionnelle a estimé que la loi instaurait une différence de traitement injustifiée entre les personne placées sous mandat et celles remises en liberté dans la mesure où le sort des secondes en vue de leur comparution n’était pas précisément réglé par la loi.

Ladite Cour a donc annulé la possibilité pour le ministère public de recourir à la procédure de comparution immédiate pour les prévenus libérés sous conditions par le juge d’instruction en raison d’une « carence » du législateur quant à la procédure leur étant applicable (article 21quinquies, § 1er, du Code d’instruction criminelle).

10. En outre, la Cour a estimé que l’impossibilité pour le prévenu de solliciter des devoirs complémentaires et de faire contrôler l’instruction par les juridictions d’instructionsainsi que la réduction du délai de comparution et l’impossibilité de former opposition portaient atteinte aux droits de la défense dans un rapport déraisonnable eu égard aux objectifs poursuivis par le législateur.

Celui-ci laissait au prévenu, ainsi qu’à son conseil, un délai de maximum sept jours pour récolter les éléments utiles à la défense de ses intérêts sans que, d’office ou à sa demande, des devoirs d’enquête – autre que l’audition de témoins et l’enquête sociale – puissent être réalisés à sa décharge. Un prévenu, refusant de comparaître dans ces conditions, était condamné par défaut mais perdait une voie de recours dont bénéficie toute personne poursuivie dans le cadre d’une procédure de « droit commun ».

La Cour constitutionnelle a estimé que la loi n’accordait pas au prévenu le temps et les facilités nécessaires à la préparation de sa défense tels que garantis par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit le droit à un procès équitable.

En conséquence, la Cour a annulé les dispositions de la loi du 28 mars 2000 relatives au délai de comparution, au délai de délibération, à l’impossibilité de former opposition, ainsi que les dispositions limitant les devoirs supplémentaires pouvant être sollicités à l’audition de témoins et à l’enquête sociale (216quinquies, § 3, et 216septies, deuxième phrase, du Code d’instruction criminelle).

11. Enfin, la Cour constitutionnelle a été plus loin dans son arrêt, annihilant la possibilité même de recourir à cette procédure de comparution immédiate.

En effet, elle a estimé que le législateur, en accordant au ministère public le soin d’apprécier parmi les infractions – punissables d’un emprisonnement correctionnel d’un an à dix ans et commises en flagrant délit ou dont les charges sont réunies dans un délai d’un mois à partir de leur commission – celles qui pourraient conduire à une procédure de comparution immédiate, ne déterminait pas avec une précision suffisante les hypothèses où il pourrait être dérogé aux garanties offertes dans le cadre d’une procédure de « droit commun ».

La Cour constitutionnelle a donc annulé les dispositions conférant au ministère public le droit de requérir un mandat d’arrêt en vue de comparution immédiate dans la mesure le législateur méconnaissait les exigences de précision, de clarté et de prévisibilité auxquelles doivent satisfaire les lois en matière pénale conformément à l’article 12, alinéa 2, de la Constitution (article 20bis, § 1er, alinéa 1er, de la loi relative à la détention préventive).

12. Actuellement la procédure de comparution immédiate n’est plus d’application, en tant que telle, auprès des juridictions belges.

Cependant, le législateur pourrait prochainement, si telle est l’intention de la prochaine majorité politique, remodeler les dispositions annulées en tenant compte des enseignements apportés par la Cour constitutionnelle afin de donner à cette procédure toute son efficience…

Il sera toutefois nécessaire, pour le législateur, de veiller à ce que cette procédure ne porte pas atteinte aux droits de la défense en laissant, notamment, au prévenu et à son conseil, le temps nécessaire afin de prendre connaissance des éléments du dossier répressif, de s’entretenir, de récolter les preuves de son innocence ou tout élément à faire valoir devant le tribunal.

La mise en œuvre d’une nouvelle procédure de comparution immédiate pourrait s’avérer dès lors difficile au vu de ces différentes nécessités et ne pourrait être envisagée qu’à la condition d’y apporter des moyens humains et financiers suffisants.

Votre point de vue

  • Amandine
    Amandine Le 4 septembre 2014 à 20:52

    Merci beaucoup pour cet exposé de la motivation de la Cour.
    Il serait intéressant de savoir quels types de délits ont fait le plus souvent l’objet de cette procédure accélérée jusqu’ici. A-t-elle par exemple été appliquée en matière de criminalité financière ? Pour ce qui est du traitement des justiciables en matière pénale, le Monde Diplomatique d’août 2014 publie un intéressant article sur le sujet : "le récidiviste, voilà l’ennemi l", p. 3. Article qui renvoie au livre de Michel Foucault : "Surveiller et punir", chapitre "illégalismes et délinquance". Deux lectures utiles pour enrichir le débat.

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  • Gisèle Tordoir
    Gisèle Tordoir Le 28 août 2014 à 15:15

    Dans un registre, tout à la fois ressemblant et différent, nous sommes restés en justice de paix, dite justice de proximité (eh,oui...c’est osé...), pendant 3 ans...Depuis plus d’un an, l’affaire somnole...Du fait que nous allons en appel de la décision de la juge de paix en fonction dans notre dossier, malgré une demande de calendrier sérieux au tribunal de première instance, rien ne bouge...Tout est si lent...Tout est effectivement fait pour que plus personne ne sache de quoi il retourne...Et nous ne sommes pas à Bruxelles...Le problème que nous connaissons n’est en outre absolument pas compliqué à trancher : il s’agit de nuisances liées tant au non-respect des distances de plantations qu’à l’absence d’entretien avec dégâts en découlant bien sûr...Il existe le code rural, le règlement communal qui, s’ils étaient appliqués dans notre cas, éviteraient la situation des plus déplaisantes que nous connaissons depuis 2008 officiellement. Ce qui rend la prise de décision juste et logique difficile (si ce n’est impossible) jusqu’à présent est la fonction de la partie adverse, tous deux magistrats dans l’arrondissement dont nous dépendons tous...Nous devons également supporter l’incorrection de ces personnes. Si plus de magistrats fonctionnaient comme madame la juge sus-nommée cela ramènerait un peu de confiance envers le monde judiciaire... Quoi que...Pour moi, il en faudra davantage. Nous nous sommes vus condamnés à indemniser ces personnes, pour procédure téméraire et vexatoire...Nous sommes victimes et devons indemniser les personnes qui nous causent dommage. Et là, je peux vous dire, qu’au tribunal de police ils ont traité notre affaire très snel...(le "recht", on le cherche encore...). Je suis d’avis, dû à la traduction du néerlandais, que ces deux mots, snel et recht, sont totalement antagonistes...et incompatibles voire contradictoires. J’ai à ce point peu confiance en la "justice", du moins en ceux qui "la rendent" que je ne les pense en outre pas capables de rendre le droit vite et bien...Déjà lentement, ce n’est pas top alors vite, n’y pensons même pas...

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  • Georges-Pierre TONNELIER
    Georges-Pierre TONNELIER Le 27 août 2014 à 14:20

    Une justice rapide et efficace est la base d’un État de droit qui garantit à chacun de ses citoyens le bénéfice de la protection de celui-ci.

    Le dépassement, tout à fait surréaliste, du délai raisonnable pour juger une affaire, que l’on connaît à Bruxelles notamment, revient à un véritable déni de justice, tant il devient ridicule de juger des affaires relativement insignifiantes après tellement d’années que plus personne ne se rappelle même des faits en question.

    J’ai moi-même connu pareille expérience : accusé par un jeune étudiant juif, en février 2003, d’avoir tenu à son encontre des propos antisémites, j’ai été acquitté, sur réquisitions du Parquet général, par la Cour d’appel de Bruxelles, en février 2012 ! Il aura fallu pas moins de NEUF ANS aux juridictions répressives bruxelloises pour décider que je n’avais pas insulté ce jeune homme, quelque part aux alentours du mois de février 2003, à la pause entre deux cours de droit dispensés dans la Haute École où nous étions tous deux étudiants...

    Pendant ce temps-là, accusé mais non encore blanchi, j’ai dû supporter l’infamie d’une accusation d’antisémitisme, qui a gravement porté atteinte à ma réputation, tout en me causant un évident préjudice en termes de qualité de vie.

    J’ai, pour ma part, la plus totale admiration pour la juge Anne-Françoise de Laminne de Bex, qui a osé, cette année, et c’est une première, prolonger son audience correctionnelle, qui avait débuté à 14h00, jusque passé 21h30, afin d’éviter une remise et que l’affaire dont elle avait à connaître soit encore prise en délibéré le jour même.

    Si tous les magistrats agissaient comme elle, la justice fonctionnait beaucoup plus vite !

    Georges-Pierre TONNELIER
    Juriste spécialisé en droit des nouvelles technologies
    http://www.tonnelier.be

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