Quelle justice pour les crimes de guerre et contre l’humanité en Centrafrique ?

par Vinciane Boon - 28 août 2024

Photo @ PxHere

Dans un pays, la République centrafricaine, ravagé par la guerre depuis plusieurs décennies, une Cour pénale spéciale a été créée en 2018 pour juger les auteurs des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui y ont été et y sont encore commis.
Vinciane Boon, juge au Tribunal de première instance de Bruxelles et juge à la Cour pénale spéciale pour la République centrafricaine, nous livre son expérience et les leçons tirées du fonctionnement de cette juridiction.

1. Située au nord de la République démocratique du Congo, la République centrafricaine est un pays enclavé, grand comme la France, et densément boisé. Bien qu’ayant de nombreuses richesses (or, diamants, terres rares, bois), elle figure parmi pays les plus pauvres du monde, l’espérance de vie ne dépassant pas cinquante ans.
En effet, depuis plusieurs décennies, ce pays connait un conflit sanglant entre des groupes rebelles et les forces gouvernementales ou entre des groupes armés entre eux. Les massacres sont courants et l’impunité règne.
L’État étant fragile, le Gouvernement a fait appel aux milices Wagner pour assoir son pouvoir et c’est ainsi que le groupe Wagner a commencé à s’implanter en Afrique.
Par ailleurs depuis 2015, une force de maintien de la paix des Nations Unies (Minusca), forte de plus de 17.500 hommes, composantes civiles, militaires et policières confondues, y a été déployée.

2. À l’initiative de l’État centrafricain et des Nations Unies, une Cour pénale spéciale a été créée en 2018 pour juger les auteurs des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité qui ont été et sont encore toujours commis dans ce pays : il s’agit de la Cour pénale spéciale pour la République centrafricaine. En raison de ce que le cadre de cette Cour est resté incomplètement pourvu, elle n’a en pratique été pleinement opérationnelle qu’en 2021.
Elle a les des compétences analogues à celles de la Cour pénale internationale, s’agissant de la poursuite et du jugement des génocides, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

3. Il s’agit d’une première mondiale à un double titre.
En effet, d’une part, la Minusca est la seule mission de maintien de la paix des Nations unies dont le mandat comprend l’appui à une Cour.
D’autre part, il s’agit de la première fois qu’une cour internationalisée est créée pour juger des crimes dans le pays même et alors que les conflits sont encore en cours. En effet, précédemment, les cours pénales internationales ou internationalisées ont jugé les crimes hors du pays et après l’arrêt du conflit (par exemple, Arusha pour le Rwanda, La Haye pour l’ex Yougoslavie).

4. La Cour pénale spéciale a est composée de magistrats nationaux et internationaux mis à la disposition par leurs États, ainsi que de personnel d’appui employé par les Nations Unies et par l’État centrafricain également mis à la disposition de la Cour. Les bailleurs de fonds sont les Nations Unies (Minusca), les États-Unis et l’Union européenne, sans oublier les pays qui envoient des magistrats, dont la Belgique.
Plus précisément, la Cour proprement dite compte une cinquantaine de personnes dont dix magistrats nationaux (deux Suisses et deux Burkinabés, une Belge, un Congolais de la République démocratique du Congo, un Egyptien, un Malgache et deux Allemands) et onze magistrats internationaux. Elle dispose également d’une unité de protection des témoins et victimes, d’un corps spécial d’avocats (nationaux et internationaux) et d’une unité spéciale de police judicaire de vingt-cinq enquêteurs, dont sept officiers de police des Nations Unies (UNPOL).

5. Le nombre de dossiers ouvert est de vingt-trois, dont dix-sept ouverts sur réquisitoire introductif et six sur plainte avec constitution de partie civile. La Cour pénale spéciale a inculpé et placé en détention deux personnes. Trente-cinq mandats d’arrêt sont également en cours à l’instruction. Un mandat d’arrêt international contre l’ex-Président Bozize a été lancé et un actuel ministre qui avait été placé en détention par la Cour est en fuite.

6. Un dossier concernant trois accusés a été jugé (dossier dit « Paoua »). Le premier a été condamné pour crime de guerre et crime contre l’humanité à une peine d’emprisonnement à perpétuité et les deux autres à vingt ans d’emprisonnement. Ce dossier concernait l’attaque de plusieurs villages par un groupe rebelle (3R) selon un modus operandi similaire à d’autres dossiers : rassemblement et exécution des hommes au centre du village suivi par le pillage et l’incendie de leur maison ainsi que viols des femmes.
Le procès dans ce dossier a été filmé et retransmis dans les villages concernés, ce qui a été très apprécié par la population. L’arrêt sur les intérêts civils prévoit également, outre le paiement de dommages aux victimes, la construction d’un mémorial à titre de réparation.

7. Un autre dossier a été clôturé et, dans un autre, l’instruction est terminée.
Enfin, un quatrième dossier concernant une attaque dans un autre village est actuellement en train d’être jugé par la Cour d’assises.

8. Le travail de la Cour est extrêmement complexe en raison de plusieurs facteurs tenant notamment au fait que le pays est encore en conflit : il n’est par exemple pas possible pour les enquêteurs de se rendre dans certaines zones trop dangereuses, il est difficile de trouver les victimes ou les témoins qui ont fui ou ont été déplacés ailleurs, parfois dans des pays limitrophes, ou qui ont peur de parler par crainte de représailles des groupes armés.
Par ailleurs le budget de la Cour est très réduit et sans commune mesure par exemple avec celui de la Cour pénale internationale. Le manque d’argent ralentit ainsi souvent les enquêtes.

9. Nonobstant ces difficultés, la Cour présente des avantages que ne présentent pas la Cour pénale internationale, dont notamment le fait qu’elle est basée dans le pays et comporte des magistrats et des enquêteurs nationaux, qui connaissent bien le terrain, les groupes armées et les dynamiques locales. Le fait que la Cour soit hybride permet aussi de former les juges centrafricains et de laisser ainsi un héritage, l’objectif étant que des juges exclusivement nationaux prennent à terme le relais.

10. Le bilan de la Cour est actuellement positif puisqu’elle a réussi à boucler des dossiers et juger des responsables plus rapidement que d’autres cours internationales. Enfin, il s’agit de la seule institution qui a permis de juger un massacre car il n’y a pas d’autres institutions de justice transitionnelle dans ce pays, la Commission vérité justice qui a été créée n’étant pas opérationnelle.

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Vinciane Boon


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Juge au Tribunal de première instance de Bruxelles et juge à la Cour pénale spéciale pour la République centrafricaine

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