Les victimes de l’amiante face à la prescription

par Bérénice Fosséprez - 7 mai 2024

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Par un arrêt du 13 février 2024, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Suisse pour avoir privé des victimes de l’amiante du droit d’accès à un tribunal inscrit à l’article 6, § 1er, de la Convention européenne des droits de l’homme, aux termes duquel « [t]oute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial ».
Éclairage par Bérénice Fosséprez, avocate au barreau de Bruxelles et maître de Conférences à l’Université de Namur.

1. Dans le courant de l’année 2009, la veuve et le fils d’une personne décédée des suites d’un cancer de la plèvre causé par une exposition à l’amiante avaient introduit devant le Tribunal cantonal de Glaris, en Suisse, une action en responsabilité à l’encontre notamment de la société Eternit (Schweiz) AG.
Cette action fut jugée prescrite au regard de l’article 60 du Code des obligations suisse, qui prévoyait à l’époque que « [l]e droit de réclamer des dommages-intérêts se prescrit par trois ans à compter du jour où la personne lésée a eu connaissance du dommage ainsi que de l’identité du responsable » et « en tout état de cause par dix ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé ».
Or, la victime avait été exposée à l’amiante de 1961 à 1972 lorsqu’elle vivait à Niederurnen dans une maison à proximité immédiate de l’une des usines de la société Eternit.
Le délai de dix ans était donc écoulé lors de l’introduction de la procédure.

2. La décision du Tribunal cantonal de Glaris a été confirmée en appel par le Tribunal supérieur du canton de Glaris, mais également par le Tribunal fédéral suisse.
Devant celui-ci, la procédure avait été suspendue durant le débat parlementaire sur la réforme du droit de la prescription, laquelle a porté le délai de dix ans prévu par l’article 60 du Code des obligations suisse à vingt ans en cas de mort d’homme ou de lésions corporelles. L’allongement du délai n’a pas suffi pour éviter la prescription de l’action.

3. Dans son arrêt Jann-Zwicker et Jann c. Suisse du 13 février 2024, la Cour européenne des droits de l’homme a, quant à elle, observé qu’il n’existe pas de période de latence maximale scientifiquement reconnue entre l’exposition à l’amiante et l’apparition d’un cancer de la plèvre. Les périodes de latence varient en effet entre quinze et quarante-cinq ans après l’exposition, voire plus. La Cour a ensuite considéré que, lorsqu’il est scientifiquement prouvé qu’une personne est dans l’impossibilité de savoir qu’elle souffre d’une certaine maladie, une telle circonstance devrait être prise en compte pour le calcul du délai de prescription.
La Cour a dès lors estimé que les tribunaux suisses avaient limité le droit d’accès à un tribunal de la veuve et de son fils.
La Suisse a donc été condamnée à leur verser 20 800 € pour le préjudice moral subi et 14 000 € pour les frais et dépens, c’est-à-dire les coûts exposés dans le cadre de la procédure. À l’heure d’écrire ces lignes, l’arrêt est cependant provisoire. Chaque partie peut en effet demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour dans un délai de trois mois à dater de son prononcé.

4. En Belgique, l’article 2262bis de l’ancien Code civil prévoit que « l’action en réparation d’un dommage fondée sur une responsabilité extracontractuelle se prescrit par cinq ans à partir du jour qui suit celui où la personne lésée a eu connaissance du dommage ou de son aggravation et de l’identité de la personne responsable » et « en tout cas par vingt ans à partir du jour qui suit celui où s’est produit le fait qui a provoqué le dommage ».
Cette disposition est cependant en discussion dans le cadre de la réforme du Code civil. Une éventuelle modification ne pourra intervenir que dans le respect de la jurisprudence européenne afin de préserver la Belgique d’une condamnation similaire à celle prononcée à l’encontre de la Suisse.

5. Justice-en-ligne a publié précédemment les trois articles suivants sur des mises en cause judiciaires d’Eternit :

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Bérénice Fosséprez


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avocate au barreau de Bruxelles,maître de Conférences à l’Université de Namur

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