Le licenciement des fonctionnaires des administrations locales en Flandre : vers l’assimilation aux règles applicables aux travailleurs sous contrat
1. La stabilité d’emploi, traditionnellement reconnue aux fonctionnaires nommés à titre définitif, ne semble plus dans l’air du temps. Pour preuve de cette évolution, on peut citer le décret du Parlement flamand du 16 juin 2023 ‘modifiant le décret provincial du 9 décembre 2005 et le décret du 22 décembre 2017 sur l’administration locale, en ce qui concerne la cessation de la qualité d’agent statutaire’.
Ce décret prévoit que les agents statutaires nommés au sein des administrations provinciales et locales flamandes peuvent être licenciés dans les mêmes conditions que les travailleurs sous contrat de travail. Au passage, ce décret a enlevé au Conseil d’État le pouvoir de trancher les litiges en lien avec la fin de l’occupation de ces agents statutaires pour confier ce contentieux aux juridictions du travail.
L’arrêt n° 85/2025 du 5 juin 2025 de la Cour constitutionnelle
2. Le décret du 16 juin 2023 a été contesté devant la Cour constitutionnelle par différentes parties intéressées et notamment par les organisations syndicales.
La Cour s’est prononcée sur ces recours dans un arrêt n° 85/2025 du 5 juin 2025.
Si elle a annulé le décret, elle en a aussi, au passage, validé quelques points importants, ce qui permet de suggérer que la possibilité d’aligner le régime de « licenciement » des fonctionnaires sur celui des travailleurs sous contrat de travail n’est pas définitivement enterrée.
La répartition des compétences entre l’autorité fédérale et les entités fédérées
3. La Cour s’est tout d’abord prononcée sur la répartition des compétences entre les entités fédérées et l’État fédéral.
La cessation de l’emploi des agents statutaires des administrations provinciales et locales relève de la compétence des régions ou, en ce qui concerne les agents des CPAS, des communautés. Le droit du travail (c’est-à-dire l’ensemble des règles applicables aux travailleurs sous contrat de travail) est une compétence de l’État fédéral et ne peut être modifié que par ce dernier.
4. La Région et la Communauté flamandes pouvaient-elles donc rendre les règles de droit du travail concernant le licenciement applicables aux agents statutaires des administrations provinciales et locales alors que ces règles dépendent de l’État fédéral ?
La Cour répond affirmativement à cette question, considérant que la Région et la Communauté conservent la possibilité, en cas de changement décidé au niveau fédéral, de ne plus faire référence aux règles de droit du travail et d’édicter leur propre régime de licenciement.
5. Deuxième question : le décret pouvait-il rendre les juridictions du travail compétentes pour le contentieux du « licenciement » des agents statutaires des administrations provinciales et locales ?
Selon la Cour, ce contentieux pouvait être soustrait des compétences du Conseil d’État pour être confié aux juridictions du travail : en effet, ce transfert permet, notamment, d’assurer une certaine uniformité dans l’application des règles en matière de licenciement.
Le principe de standstill
5. La Cour était ensuite saisie de plusieurs questions en lien avec le principe de standstill qui découle de l’article 23 de la Constitution. Ce principe implique que, lorsqu’en matière sociale, le législateur modifie les règles en vigueur, il ne peut le faire qu’avec une certaine prudence : le législateur ne peut réduire significativement, sans justification raisonnable, le degré de protection offert par la législation applicable.
L’élargissement des motifs de cessation de la relation de travail
6. La première interrogation en lien avec le respect du standstill concerne les motifs pour lesquels une rupture est possible.
La Cour a, tout d’abord, procédé à une comparaison des possibilités de rupture de la relation statutaire qui existaient avant l’entrée en vigueur du décret et celles que l’application du régime de licenciement autorise. Elle conclut qu’en substance, la seule hypothèse nouvelle concerne la possibilité d’un licenciement « fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’administration ».
Sans s’arrêter à la question de savoir si cette extension des possibilités de rupture entraine une régression significative de la protection des agents statutaires, la Cour conclut que s’il y a recul significatif, « ce recul est, en toute hypothèse, raisonnablement justifié » par l’objectif de « moderniser et à flexibiliser la cessation de l’emploi statutaire ».
Ce point est lourd d’enseignement car il indique que rendre la rupture de l’emploi statutaire plus flexible peut raisonnablement justifier d’élargir les possibilités de mettre fin à une relation de travail statuaire.
Les conséquences d’un « licenciement » irrégulier
7. La seconde interrogation en lien avec le respect du standstill concerne les conséquences d’un « licenciement » irrégulier.
Sous le régime antérieur, la rupture irrégulière était susceptible d’être annulée par le Conseil d’État et de donner lieu à la réintégration de l’agent dans son emploi. Or, le décret du 16 juin 2023 semble exclure que les juridictions du travail puissent prononcer l’annulation d’un licenciement irrégulier et ordonner la réintégration de l’agent statutaire irrégulièrement licencié. Il en résulte, à l’estime de la Cour constitutionnelle, une régression significative de la protection de l’agent statutaire irrégulièrement écarté qui ne peut donc obtenir sa réintégration.
La Cour décide que l’objectif du législateur de moderniser et de flexibiliser la cessation de l’emploi statutaire ne suffit pas à raisonnablement justifier une telle régression. Elle décide dès lors que le décret viole l’article 23 de la Constitution et le principe de standstill.
En ne permettant pas la réintégration de l’agent statutaire irrégulièrement licencié, le décret a été « un pas trop loin » dans la remise en cause de la stabilité d’emploi des agents statutaires.
La portée et les suites de l’annulation
8. Relevons enfin que la Cour estime que le décret constitue un tout indivisible de sorte que l’inconstitutionnalité relevée à propos du défaut de réintégration justifie l’annulation du décret dans son intégralité.
Mais, encouragé par la validation de plusieurs points du décret, le Parlement flamand pourrait revoir sa copie, en n’excluant pas cette fois la possibilité d’une réintégration.