La probation : comment cela se passe sur le terrain ? L’expérience des assistants de justice

par Thérèse Jeunejean - 9 décembre 2019

Un précédent article a expliqué en quoi consiste la probation, qui est soit une « mesure » (accompagnant alors le sursis ou la suspension du prononcé), soit une peine autonome.

Voici quelques échos du terrain sur le déroulement de cette mesure ou de cette peine, où l’assistant de justice, fonctionnaire à l’administration des Maisons de Justice, joue un rôle important.

1. Au départ, le travail de l’assistant de justice est différent selon qu’il s’agit d’une mesure ou d’une peine autonome de probation. En effet, dans la première situation, les conditions sont fixées par le juge tandis que, dans la seconde, elles doivent être élaborées et construites par l’assistant de justice avec le justiciable.
Nous avons demandé à deux assistants de justice de Namur de nous expliquer leur quotidien.

Une mesure

2. Dans la première situation, nous disent-ils,
« nous recevons la personne dès notre désignation après la réception de la décision judiciaire par la maison de justice.
Nous lui expliquons ce qu’est une mesure probatoire, ce dont elle n’est pas nécessairement consciente mais qu’elle peut avoir accepté sans trop en connaitre les tenants et aboutissants. Il y a donc d’abord tout un travail de ré-explication du cadre et des conditions. Conditions que nous reprenons une par une avec l’intéressé en voyant avec lui comment il s’imagine pouvoir les respecter.

Nous rédigeons un premier rapport, un rapport de prise en charge, à rendre à la Commission de probation dans le mois de notre intervention. Il précise les bases de la guidance, ce qui est respecté, ce qui ne l’est pas encore, ce que le justiciable compte mettre en place pour arriver au respect de toutes les conditions fixées.
Ensuite, nous voyons régulièrement la personne, au moins une fois par mois au départ.

Trois mois après le rapport de prise en charge, un deuxième rapport, appelé plan de guidance, reprend le parcours de la personne du point de vue familial, professionnel, vécu par rapport aux faits. Ensuite nous faisons le point du respect de chaque condition avec le justiciable, établissons les objectifs et relayons les difficultés rencontrées par le justiciable.
Tous les six mois, nous rendons ensuite un rapport d’évolution à la Commission de probation, avec copie au Parquet, rapport qui explique la manière dont la personne répond aux conditions et évolue dans la guidance. En cas de difficulté, nous envoyons un rapport de signalement à la Commission de probation qui peut, si elle le souhaite, entendre la personne et décider de la suite à donner au dossier ».

Une exception : les dossiers de roulage

3. De nombreux dossiers de roulage arrivent à la Maison de justice (67 % des délits pour lesquels une mesure probatoire est décidée).
Les Maisons de justice de Namur et Dinant les traitent différemment des autres dossiers.
Ces personnes sont reçues en groupe. La mesure probatoire consiste généralement en l’obligation de suivre une formation destinée aux contrevenants routiers et organisée par VIAS (anciennement l’Institut belge pour la sécurité routière). Le but de cette formation est de sensibiliser les contrevenants aux risques dans la circulation, de les confronter à leurs propres responsabilités et de rechercher avec eux des solutions pour corriger ce comportement.
Lorsque le justiciable aura suivi l’entièreté de la formation, un rapport sera adressé à la Commission de probation, qui pourra alors décider de suspendre l’intervention de l’assistant de justice jusqu’à la clôture du délai d’épreuve probatoire.

S’il s’agit d’une peine autonome

4. Dans le cas de la peine autonome, l’assistant de justice reçoit également la personne dans le mois de la réception du mandat.
Ici aussi, il explique ou réexplique ce qu’est la peine de probation autonome et le cadre dans lequel évoluer. Il a pu prendre connaissance du dossier aux greffes, ce qui est utile pour comprendre les explications non dites ou lacunaires du justiciable.

5. « Ensuite, explique notre interlocuteur, je l’amène à réfléchir : ‘Vous avez été jugé pour tel fait. Selon vous, qu’est-ce qui explique ce qui s’est passé ? Et quelles conditions, dès lors que vous les respecteriez, éviterait de récidiver ?’. En général, j’arrête là l’entretien, je propose à l’intéressé de réfléchir et je rédige un premier rapport d’information.

Pour le deuxième rendez-vous, je vais à domicile. Si cette démarche aura une plus-value, je rencontre aussi un conjoint, un proche. Certains ont réfléchi, font des propositions de conditions et nous les travaillons. D’autres n’ont pas d’idées, alors j’amène des propositions de conditions, sur base des éléments recueillis précédemment. J’explique leur pourquoi et nous examinons comment, concrètement, ces conditions pourront être respectées par le probationnaire.
Un exemple lorsque la condition proposée est de ne pas consommer de stupéfiants :
‘- Vous me dites que vous avez de gros problèmes de stupéfiants et vous vous engagez à ne plus consommer. Comment pensez-vous arriver à respecter cette condition et à en faire la preuve à l’autorité ?
 Ce sera d’aller voir mon médecin traitant, de faire des prises de sang, d’urine.
 D’accord. Tous les mois ? Toutes les semaines ? Est-ce que vous pensez que le traitement méthadone est suffisant ? Vous me dites que vous avez ce traitement depuis des années et il y a toujours des problèmes. Est-ce qu’un suivi psychologique ne pourrait pas vous aider ?... ‘ ».

6. Tout cela fait l’objet d’un travail de construction, de négociation jusqu’au moment où l’assistant de justice peut proposer un dispositif conditionnel à la Commission de probation. Une convention est alors signée par l’intéressé, obligatoirement présent devant la Commission.
Durant le reste de l’exécution de la peine, l’assistant de justice mettra en place une guidance quasi identique à celle d’une mesure probatoire.

Cela se termine

7. Quand le délai de probation arrive à échéance, un dernier rendez-vous est fixé avec le justiciable.
L’assistant de justice lui a demandé de réfléchir : Comment avez-vous vécu ces mois ou années ? Cela vous a-t-il apporté quelque chose ? Quelle prise de conscience avez-vous par rapport aux victimes ?

8. « En général, concluent les assistants de justice rencontrés, le retour est très succinct ». « Ce qui me touche le plus, explique l’un d’eux, c’est quand des gens suivis par différents services disent : ‘Vous savez, vous êtes une des rares personnes qui prenez le temps de m’écouter’, alors qu’à la base, nous ne sommes pas ici pour cela.
Sinon, c’est souvent : ‘Telle condition m’a aidé’ ou ‘Le fait de devoir rendre des comptes, c’est une piqûre de rappel’.
Parfois un jeune précise : ‘Le passage en prison (en détention préventive) m’a fait plus d’effet que tout le reste !’.

Toujours sur le fil

9. La guidance du justiciable en probation par l’assistant de justice est un savant mélange d’aide et de contrôle : « C’est sans doute l’aspect le plus compliqué de notre travail », soulignent les assistants de justice rencontrés à la Maison de justice de Namur.
« Établir un lien de confiance avec le justiciable est important, expliquent-ils, mais l’assistant de justice est aussi l’auteur de rapport complet, précis à la Commission de probation. Aussi devons-nous mettre en garde la personne : ‘Attention, c’est à votre assistant de justice que vous parlez, nous ne sommes pas ’neutres’, nous sommes mandatés par la Justice et tout ce que vous nous dites sera relaté dans nos rapports’. Paradoxalement, concluent nos interlocuteurs, c’est le fait de dire à la personne de ne pas nous faire confiance qui entraine, chez certains, la confiance : ‘Puisque la personne en face de moi a l’honnêteté de me dire que tout ce que je vais dire figurera dans le rapport, on peut lui faire confiance’.
Certains nous diront ainsi qu’ils ont rechuté, qu’ils se sont fait pincer… Il faut souligner que pour certaines personnes, très seules, nous sommes parfois les seuls à les écouter. Ils ne voient pas seulement en nous le côté contrôle mais aussi une possibilité de s’exprimer librement.
Nous devons faire preuve de cette même attention vis-à-vis de la famille, d’un proche du justiciable : ‘Attention, ce que vous allez nous dire figurera dans nos rapports’. À nous à garder notre casquette de professionnels ».

Pas question de juger

10. Nos interlocuteurs soulignent une autre difficulté du métier :
« Au début, il est difficile de ne pas s’arrêter aux faits commis par la personne. Nous savons pourquoi elle est devant nous mais, si nous nous arrêtons à ces faits, cela sera compliqué d’avoir une forme d’empathie pour elle, de pouvoir l’écouter parfois même se plaindre. Il s’agit donc ici aussi d’être professionnel, de mettre en avant la casquette d’assistant de justice. Parfois, il faut même mettre à l’aise le justiciable qui a conscience d’avoir fait quelque chose de grave : ‘Je ne suis pas là pour vous juger, le tribunal l’a fait. Ce que je pense par rapport aux faits commis ou au jugement, n’intervient pas dans mon travail’.
Cela ne veut pas dire que les faits ne nous touchent pas mais nous prenons distance. Nous y sommes aidés par le cadre très précis dans lequel doit se dérouler cette guidance, par notre déontologie, par les supervisions individuelles ou de groupe. Par les collègues aussi ».
Un travail de collaboration

11. Les assistants rencontrés ajoutent ceci :
« Nous travaillons à partir du lien en appliquant une méthodologie précise et notre travail va dans le même sens que celui du tribunal : il s’agit d’éviter la récidive. Nous collaborons aussi avec de multiples services : centres de planning ou de guidance, services de psychiatrie ou d’aide aux toxicos, services de formation, etc.

Nous donnons les coordonnées de ces centres (jamais d’une personne privée) aux justiciables, qui peuvent choisir de s’adresser à eux. Nous communiquons avec ces centres et services par courrier, par téléphone, toujours en tenant compte de leur secret professionnel. Ils peuvent seulement, par exemple, nous avertir qu’une personne n’est pas venue à un rendez-vous mais non nous livrer le contenu d’un entretien. Si contact il y a, c’est dans la transparence, par exemple nous pouvons contacter un service pour lui communiquer notre inquiétude par rapport à telle personne qui ne va pas bien. Et la personne concernée est informée de notre démarche.

Quel que soit le service avec lequel nous collaborons, nous avons tous le même objectif : éviter la récidive ».

Votre point de vue

  • Jurdan
    Jurdan Le 30 mars 2021 à 08:30

    "Eviter la récidive" Oui mais quand le condamné n’a pas commis les faits énoncé comment pourrait-il récidiver ? et surtout COMMENT est)il sensé réagir face à la répétition perpétuelle de l’injustice subie ?

    Répondre à ce message

  • skoby
    skoby Le 9 décembre 2019 à 11:24

    Voilà un message bien positif.

    Répondre à ce message

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Thérèse Jeunejean


Auteur

Diplômée en psycho-pédagogie et journaliste, elle a été la première plume en Belgique francophone à mettre l’actualité socio-économico-politique à la portée d’un jeune public. Sur Questions-Justice, elle décode aujourd’hui le fonctionnement de la justice.

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