L’internement à durée indéterminée n’existe plus (rencontre avec un assistant de justice)

par Thérèse Jeunejean - 19 février 2020

Un précédent article de Justice-en-ligne a évoqué l’internement et le rôle des Maisons de Justice dans le suivi de cette mesure. Rappelons que celle-ci concerne les personnes qui ont été déclarées irresponsables de leurs faits qualifiés infractions et qui doivent donc être soignées plutôt que condamnées.

Nous avons rencontré un assistant de Justice, collaborateur des Maisons de Justice, qui nous explique comment cela se passe concrètement.

« Actuellement, une mesure d’internement n’est plus à durée indéterminée », nous explique un assistant de justice mandaté pour intervenir dans le cadre du suivi d’un interné.

Il nous parle alors de sa mission, toujours, à la fois d’aide et de contrôle mais « nous devons maintenant ajouter une notion supplémentaire : le projet (trajet) de soin qui conduit à la construction d’un projet de vie ! »
Ce projet de soin doit permettre d’éviter la récidive : « Nous sommes acteurs de ce trajet de vie du justiciable et nous allons essayer de l’encourager à retrouver une place dans la société, à redevenir une personne comme tout le monde, avec ses forces et ses faiblesses pour arriver, à un certain moment, à demander sa libération définitive. Dans la société, des schizophrènes sont régulièrement suivis et ne dépendent pas de la justice ! ».

Justice-en-ligne (JeL) : En quoi consiste ce projet de soin ?

L’assistant de Justice (A.J.) : « Nous ne sommes pas dans le cadre d’une sanction judiciaire, comme pour un libéré conditionnel. Par contre une décision judiciaire intervient toujours à la suite d’un délit ou un crime qui présente un caractère de dangerosité pour lui-même ou pour la société.

Mais le suivi mis en place a pour ambition de privilégier le soin ; nous nous demandons ce qui peut être mis en place pour que, étant donné sa maladie mentale, cette personne internée puisse évoluer. Nous n’attendons plus seulement qu’elle aille mieux et nous ne nous contentons pas de consigner des faits dans des rapports. Dès que nous sommes mandatés, nous rencontrons le justiciable, son éventuel futur milieu de vie et les différents intervenants possibles. Nous examinons les perspectives de soin que nous pouvons suggérer à la Chambre de protection sociale (note de Questions-Justice : il s’agit de la juridiction créée au sein du tribunal de l’application des peines pour suivre les internés).

Nous élaborons donc un projet de soin et, quand le justiciable est mobilisé dans cette dynamique du projet de soin, nous savons que du lien est créé, qu’il est en relation avec un psychologue, un infirmier qui soutient la prise en charge médicale, un psychiatre qui chapeaute ce trajet de soins. S’il vit hors du monde hospitalier, il peut être suivi par une équipe mobile ».

JeL : Vous êtes régulièrement en rapport avec la Chambre de protection sociale …

A.J. : « Nous correspondons avec la Chambre de protection sociale via des rapports réguliers mais ceux-ci ne se limitent pas à un simple constat des faits, nous sommes acteurs de ce trajet de vie du justiciable.
Par exemple, dans nos rapports, nous pouvons aussi, au fil des mois, susciter des adaptations des décisions prises pour la personne internée, comme le passage de la section psychiatrique d’un hôpital à une communauté thérapeutique ou celui du domicile à un logement partagé.
Nous pouvons envisager ces adaptations quand nous estimons le moment opportun et, si nous parvenons à obtenir le soutien de l’avocat du justiciable, elles seront proposées à la Chambre de protection sociale. En effet, dès lors qu’outre le parquet, le directeur de l’établissement concerné et le responsable des soins, l’avocat peut faire une demande à la Chambre de protection sociale, nous lui partageons la proposition lorsque pareille demande est formulée par celui-ci. Nous proposons mais nous ne décidons pas. Par contre, nous pouvons expliquer nos propositions à la Chambre de protection sociale ».

JeL : Donc un interné ne se retrouve pas nécessairement dans un établissement de défense sociale ?

A.J. : « Avant la première audience de la Chambre de protection sociale, il existe deux cas de figure :
 ou bien, dans environ 60 % des cas, dès le prononcé d’internement et avant la décision de la Chambre de protection sociale, la personne est placée en annexe psychiatrique d’une prison : puisqu’il est décidé que cette personne représente un danger pour la société et pour elle-même, on protège la société ;
 ou bien il arrive que cette personne ne soit pas placée dans une annexe psychiatrique et soit laissée en liberté ».

Ensuite, la Chambre de protection sociale a différentes possibilités :
 elle place le justiciable dans un établissement de défense sociale (Paifve ou Les marronniers, à Tournai, pour les hommes, Le chêne aux haies, à Mons, pour les femmes) mais ces institutions sont remplies et ont d’énormes listes d’attente ;
 elle propose une libération à l’essai résidentielle : soit le placement dans un établissement hospitalier comme la Clinique de la Forêt de Soignes, agréée pour vingt-six lits d’internés en Brabant wallon ; les internés séjourneront là dans l’attente de la construction d’un projet de vie autre que l’hôpital ;
 elle décide une libération à l’essai non résidentielle c’est-à-dire dans le milieu de vie ; cela peut être chez les parents, dans un ancien logement, en maison d’accueil, en maison de soins psychiatriques, en habitation protégée… (cela demande aux assistants de justice de posséder une très bonne connaissance du réseau de soins puisque ce sont eux qui proposent, dans le cadre du trajet de soin, tel ou tel lieu de vie).

Les annexes psychiatriques des prisons sont cependant toujours remplies de très nombreuses personnes qui attendent qu’une place se libère quelque part ou qu’un projet s’organise. Les services psychosociaux des prisons manquent de moyens en personnel. Très souvent les internés n’ont plus de personnes ressources à l’extérieur (famille, proches) et les institutions qui pourraient les accueillir soit n’ontt pas de place rapidement accessibles, soit n’acceptent pas les personnes internées ».

JeL : Il y a donc bien d’autres solutions que l’établissement de défense sociale, l’hôpital ou l’annexe psychiatrique ?!

A.J. : « Si ça pouvait être vrai ! Nous n’avons pas beaucoup de solutions mais nous cherchons. Par exemple, les habitations protégées conviennent pour la plupart des justiciables. Nous savons qu’ils y auront un toit, un encadrement, un cadre plus ou moins important selon les endroits (une présence permanente, une présence par jour, une réunion par semaine, selon les endroits) et qu’ils pourront évoluer d’un endroit à l’autre. Ces habitations peuvent dépendre d’une clinique, d’une communauté thérapeutique subsidiée par l’Inami ou être totalement privées. Mais nous avons beaucoup de mal à faire entrer un interné dans ces habitations, qui ont des listes d’attente. Et puis, l’idée qu’un interné présente un danger est malheureusement encore fort répandue et certains faits (de mœurs, de toxicomanie, etc..) font peur.

Il existe aussi des « maisons pirates », anciennement des maisons pour personnes âgées qui ont perdu leur agrément et se sont reconverties : elles sont devenues des maisons d’accueil non subsidiées, avec un cadre minimum, où les habitants paient 800 euros par mois. Nous proposons parfois le placement de certains internés dans ces maisons parce que la prison n’est pas une solution pour eux. En réalité, nous devons composer avec un manque crucial de moyens et souvent, nous bricolons… ».

JeL : Vous êtes donc en contact régulier avec différents intervenants ?

A.J. : « Comme assistants de justice, nous avons vraiment un rôle triangulaire parce qu’à tous les moments d’interaction avec le justiciable, une troisième instance est présente : la Chambre de protection sociale ou le psychiatre ou la famille, ou l’équipe mobile…

Cela fait vingt ans que je travaille avec des internés et, depuis lors, avec des collègues, nous avons tenté de créer un climat de confiance avec tous les intervenants. Nous avons pu montrer que les Maisons de justice avaient un rôle actif et n’étaient pas là pour dénoncer la moindre petite incartade et renvoyer les gens en prison. (On peut vraiment parler de prison parce que dans les annexes psychiatriques, les soins sont extrêmement limités, la Belgique a d’ailleurs été condamnée plusieurs fois par la Cour européenne des droits de l’homme. On ne peut rêver vie plus terrible !).

Depuis peu, nous avons aussi les informations transmises par la police, utiles par rapport aux conditions d’interdiction (fréquenter tel quartier, tel débit de boisson, etc.) mais impossibles à contrôler nous-mêmes. Par contre, nous pouvons vérifier les conditions d’obligation, par exemple en demandant une attestation du psychiatre… Nous travaillons aussi de plus en plus avec le Parquet.
Et puis, il y a cette éternelle recherche de partenaires, d’extension du réseau, de connaissances d’initiatives locales et de la cartographie des établissements qui prennent en charge des patients atteints de maladie mentale, d’échanges avec des professionnels de la santé mentale, … Les colloques, les journées d’étude sont souvent propices à créer du lien et à établir des contacts ; ce sont des sources d’idées et de construction de projets adaptés.

JeL : Comment se termine votre travail ?

A.J. : « Trois ans après que la Chambre de protection sociale ait ordonné la libération à l’essai, nous nous posons la question : peut-on libérer définitivement cette personne ? Nous faisons un rapport « final » : après avoir interpelé le médecin, les différents intervenants et en ayant pris soin d’en parler avec le justiciable, nous donnons un avis à la Chambre de protection sociale. Celle-ci peut accepter, prolonger l’internement d’un an ou deux ou même davantage quand une situation n’a pas évolué ».

JeL : Comment vivez-vous votre métier ?

A.J. : « Nous travaillons dans un domaine très particulier, chaque cas est différent. Il s’agit toujours de l’humain mais la présence de la maladie mentale change la donne !

Il faut imaginer la maladie mentale, ce que c’est, par exemple, d’entendre tout le temps des voix qui vous disent de faire ceci ou ça. Nous sommes confrontés à des gens qui vivent cette souffrance. La schizophrénie, avec différentes tendances, est la maladie de la plupart des internés que nous suivons. D’autres affections mentales font aussi partie de notre quotidien.
Pour réagir le plus adéquatement possible à différentes situations, comme des menaces, du harcèlement, de l’agressivité, nous sommes formés à certaines techniques.

Cela n’empêche pas que l’on se sente parfois très mal parce qu’il y a des situations dures à vivre, des échecs avec des gens auxquels on avait cru, espéré reconstruire quelque chose et puis malheureusement, la plupart du temps parce qu’ils arrêtent la médication, c’est un échec.

Par exemple, une personne est placée en studio ; elle est accompagnée par un service de soin à domicile pour la médication et les injections, suivie par une équipe mobile qui vient régulièrement voir comment cela se passe, en relation avec le psychiatre et l’assistant de justice. Quand cette personne se sent mieux, malheureusement, souvent elle se dit : « Je n’ai plus besoin de cette médication ». Et elle commence à déraper, à consommer des substances ou de de l’alcool…
Ceci étant, nous avons un pouvoir énorme, le pouvoir du papier qui peut être lourd de sens et de contenu. Si mon rapport est toujours négatif, si je dis qu’il faut vraiment protéger la personne et la société, le Parquet, inévitablement, ne va pas hésiter à replacer cette personne en annexe psychiatrique. Parfois, ça m’empêchait de dormir et ça peut m’en m’empêcher encore : c’est moi qui induit de priver quelqu’un de liberté et la privation de liberté, pour moi, c’est la pire des choses que l’on puisse imposer à quelqu’un. D’autant que je sais comment cela se passe dans les annexes psychiatriques. Je sais que ce n’est pas une solution.
Malgré tout, avec ce métier, on a l’impression d’apporter une petite pierre en étant acteur, mandaté par la Justice, pour un mieux vivre avec des personnes qualifiées de dangereuses… Nous mettons tout en œuvre pour mobiliser l’interné dans sa reconstruction personnelle en prenant le temps de lui permettre de trouver les ressources en lui-même et autour de lui pour retrouver une place digne dans la société. Nous travaillons pour éviter toute récidive et réintégrer la personne dans la société ».

Votre point de vue

  • Sabbee
    Sabbee Le 13 mai 2021 à 15:38

    Bonjour,

    Le titre " L’internement à durée indéterminée n’existe plus" m’a interpeller, puisque mon compagnon est actuellement interné depuis plus d’un an et pour une durée indeterminée, ici en Belgique. Il recoit cette information sous forme de menace voir de pression de la part du personnel et n’a même accès à son dossier puisque l’avocat commis d’office travail pour l’organisme en question à savoir le Fpc de Gand donc il est comme pris au piège et condamné. Cordialement.

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Thérèse Jeunejean


Auteur

Diplômée en psycho-pédagogie et journaliste, elle a été la première plume en Belgique francophone à mettre l’actualité socio-économico-politique à la portée d’un jeune public. Sur Questions-Justice, elle décode aujourd’hui le fonctionnement de la justice.

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