On dit qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent jamais d’avis. Dès lors, il n’est pas anormal que les juges changent de position sur des questions juridiques importantes, donnant lieu ainsi à ce qu’on appelle un revirement de jurisprudence. Il est d’ailleurs sain que les juges se remettent perpétuellement en question et abordent les nouvelles affaires avec un certain esprit vierge de préjugés. Mais quelle est la portée d’un tel revirement en matière pénale lorsqu’il s’opère en défaveur d’un accusé ou d’un condamné ? Faut-il qu’il s’applique aux situations antérieures ou ne vaut-il que pour le futur ?
En cas de changement de la loi (pénale), la situation est relativement claire : l’article 2 du Code pénal consacre le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale avec une exception importante, celle de la rétroactivité des lois plus douces. Ainsi, une loi plus sévère ne peut que s’appliquer aux situations futures tandis que la loi nouvelle plus favorable à l’accusé s’appliquera aux faits commis antérieurement qui n’auraient pas encore été jugés.
A propos des changements dans la jurisprudence, la question est plus complexe. Le juge ne peut modifier la loi, il est tenu de l’appliquer, mais, lorsque celle-ci n’est pas claire, il doit l’interpréter. Or, quand il interprète une loi, le juge donne rétroactivement à la loi le sens qu’elle est censée toujours avoir eu.
Les circonstances de la cause qui était soumise à la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Del Rio Prada c. Espagne démontraient que l’application « rétroactive » d’une nouvelle jurisprudence pouvait avoir des conséquences fort graves pour un accusé ou un condamné.
Madame Del Rio Prada avait été condamnée en Espagne, pour plusieurs délits liés à des attentats terroristes, à plusieurs peines de prison, dont le total s’élevait à plus de 3000 ans (!) (à la différence du droit belge, le droit espagnol permet que les peines soient indéfiniment cumulées) ; ce total avait toutefois été ramené à 30 ans par une décision du 30 novembre 2000. Se fiant à la méthode de calcul jusque là appliquée, l’administration pensait pouvoir libérer l’intéressée le 2 juillet 2008 mais, en février 2006, un revirement de jurisprudence du Tribunal suprême espagnol a modifié les règles relatives à la prise en compte des remises de peine, avec comme conséquence, pour Madame Del Rio Prada, une prolongation de la peine d’emprisonnement effectif de presque neuf ans.
Dans son arrêt du 10 juillet 2012, la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’article 7 de la Convention européenne du même nom, qui consacre le principe de la légalité des délits et des peines et qui interdit que le droit pénal soit interprété de façon extensive au détriment de l’accusé, ne permet pas d’appliquer de façon rétroactive un revirement jurisprudentiel qui a pour effet d’allonger substantiellement la durée d’une peine d’emprisonnement.
Cette solution me paraît devoir être approuvée dans la mesure où il apparaît arbitraire que les règles du jeu soient modifiées de façon substantielle au cours de l’exécution de la peine avec comme conséquence une prolongation significative de la peine.
C’est une réalité : les revirements de jurisprudence, même s’ils sont souvent salués comme une évolution attendue, ont toujours égratigné le principe de sécurité juridique lorsqu’ils sont appliqués de façon rétroactive.
La Cour européenne elle-même n’échappe pas à cette difficulté. Ainsi, alors que, durant des décennies, elle avait toléré que les décisions de cour d’assises ne soient pas motivées et n’avait pas exigé que le suspect soit assisté d’un avocat durant la période de garde à vue, les arrêts Taxquet et Salduz sont venus bouleverser la donne (il est renvoyé aux articles publiés dans Justice-en-ligne sur ces arrêts) : l’application rétroactive de ces nouvelles jurisprudences aux situations antérieures a placé les autorités judiciaires des Etats concernés dans un embarras certain. En effet, il était difficile, voire impossible, pour elles d’anticiper de telles évolutions (voire de tels revirements). Une solution pourrait pourtant être trouvée en permettant à la juridiction qui change sa jurisprudence de limiter les effets de ce changement aux situations futures (notre Cour constitutionnelle dispose déjà à l’heure actuelle de cette faculté puisqu’en cas d’annulation d’une loi, elle peut postposer dans le temps les effets d’une telle décision).
Une dernière réflexion encore. Le revirement de jurisprudence dont question dans l’arrêt de la Cour européenne du 10 juillet 2012 est intervenu dans une cause qui concernait une personne condamnée du chef de terrorisme. On peut se demander si cet élément n’a pas joué dans la décision de revirement. Or il ne peut être admis, sauf si c’est prévu par la loi, d’appliquer les règles de droit différemment en fonction du profil du justiciable. Le combat contre le terrorisme n’autorise pas à mettre le droit entre parenthèses. Faut-il le rappeler, la fin ne justifie pas tous les moyens et c’est un pari de nos sociétés démocratiques que de combattre avec le droit ces phénomènes extrêmes.
Votre point de vue
Justice-en-ligne.be Le 26 décembre 2014 à 12:57
En réponse au message de Mattav, il est confirmé que Code pénal belge comprend bien un article 2 qui, comme l’article 2 de son Code civil, identique sur ce point au Code civil français, consacre le principe de non-rétroactivité des lois. L’article 2 du Code pénal belge est rédigé comme suit : « Nulle infraction ne peut être punie de peines qui n’étaient pas portées par la loi avant que l’infraction fût commise. Si la peine établie au temps du jugement diffère de celle qui était portée au temps de l’infraction, la peine la moins forte sera appliquée »
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Mattav Le 28 novembre 2014 à 11:08
"l’article 2 du Code pénal consacre le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale" Ce n’est pas l’article 2 du code pénal mais l’article 2 du code civil qui dispose que :
"La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif."
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juju Le 22 août 2012 à 11:39
Bonjour, J’estime avoir été victime d’une erreur judiciaire dans la mesure où en 2011, j’ai été privé de liberté et n’ai pas pu bénéficier de la présence d’un avocat lors des auditions devant les forces de police.
Sur votre site se trouve l’information :La Cour des Droits de l’Homme est censée offrir un dernier recours. La Cour ne traite une requête que si les voies de recours nationales ont été épuisées.
Pouvez-vous me dire s’il est possible pour un citoyen jugé en première instance de demander au juge de poser une question préjudicielle à la CEDH, en référence à l’arrêt Salduz.
Pouvez-vous aussi me dire s’il y a eu ne Belgique des procédures qui ont été jugées iirecevables dans la mesure où le prévenu, privé de liberté, n’avait pu bénéficier de la présence d’un avocat lors des premières auditions.
Si ce n’est pas le cas, veuillez m’indiquer comment réaliser une recherche et où
Pourriez-vous également m’indiquer si comme le pense néanmoins, l’arrêt Salduz doit impérativement s’appliqué à mon cas ( je n’ai pas encore été jugé), même si la loi a été promulgué après les faits que j’ai commis.
Merci pour votre réponse aussi à l’addresse : affairepenale@gmail.com
D’avance merci
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