1. Deux lois, respectivement des 4 mai 1999 et 2 juin 2013, s’étaient déjà attaquées à la problématique des mariages et des cohabitations légales de complaisance.
Depuis lors, les officiers de l’état civil doivent refuser de célébrer un mariage ou d’acter une déclaration de cohabitation légale s’il ressort d’une combinaison de circonstances que l’intention d’au moins une des parties vise « manifestement uniquement » à l’obtention d’un avantage en matière de séjour de Belgique.
2. Plus récemment, une loi du 19 septembre 2017 a modifié le Code civil en matière de reconnaissance d’enfant.
Désormais, les officiers de l’état civil doivent également refuser l’établissement d’un acte de reconnaissance lorsqu’il ressort d’une combinaison de circonstances que l’intention de l’auteur de la reconnaissance vise « manifestement uniquement » l’obtention d’un avantage en matière de séjour, pour lui-même, pour l’enfant ou pour la personne qui doit donner son consentement préalable à la reconnaissance.
3. Il ressort du texte légal que, s’il constate la fraude établie, il ne revient pas à l’officier de l’état civil de prendre en compte l’intérêt de l’enfant.
4. D’autre part, alors que la loi prévoit un recours spécifique devant le président du tribunal de la famille contre le refus de l’officier de l’état civil en matière de mariage et de cohabitation légale, un tel recours n’est pas prévu contre le refus d’acter la reconnaissance d’un enfant.
En matière de refus de reconnaissance, la loi mentionne que la personne qui veut faire établir le lien de filiation peut introduire une action en recherche de maternité, de paternité ou de comaternité devant le tribunal de la famille, procédures qui existaient déjà précédemment.
5. La Cour constitutionnelle a rendu le 7 mai 2020 un arrêt n° 58/2020 par lequel elle annule certaines dispositions introduites par la loi du 19 septembre 2017.
6. En un premier temps, la Cour s’est penchée sur la problématique de la prise en compte de l’intérêt de l’enfant.
Il ressort en effet de l’article 22bis de la Constitution, ainsi que de l’article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant que toutes les institutions prenant des mesures vis-à-vis des enfants doivent prendre leur intérêt en compte, et ce de manière primordiale.
La Cour rappelle que, dans la mise en balance des différents intérêts en jeu, l’intérêt supérieur de l’enfant occupe en effet une place particulière, du fait qu’il représente la partie faible dans la relation familiale.
Toutefois, le contrôle préventif confié à l’officier de l’état civil pour prévenir la fraude à l’obtention d’un droit de séjour n’a pas été jugé par la Cour comme étant contraire à ces dispositions, dès lors qu’il s’agit de la phase administrative de l’examen.
Un examen approfondi, nécessaire car le lien de filiation concerne le droit essentiel à une identité, sera quant à lui du ressort du juge, organe indépendant et impartial, disposant de pouvoirs d’instruction et dès lors à même de disposer de tous les éléments utiles.
7. La Cour enchaîne ainsi sur la question du recours, qui ne peut être l’exercice d’une action en recherche de maternité, de paternité ou de comaternité : il s’agit là en effet d’actions distinctes, qui ne constituent pas à proprement parler un recours contre le refus de l’officier de l’état civil.
Ces actions sont soumises à des conditions différentes, impliquant notamment que le tribunal rejette en toute hypothèse la demande s’il est prouvé que celui ou celle dont la filiation est recherchée n’est pas le père ou la mère biologique de l’enfant.
Or, l’existence d’un lien biologique n’est pas exigé pour reconnaître un enfant, et l’exposé des motifs de la loi attaquée mentionne expressément qu’il n’est « pas dans les intentions du législateur de sanctionner les pères socio-affectifs ».
La Cour constitutionnelle a jugé qu’il est dès lors porté atteinte par la loi du 19 septembre 2017 au droit d’accès au juge, garanti notamment par l’article 13 de la Constitution et par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
8. Les alinéas 5 et 6 de l’article 330/2 du Code civil, qui traitent de l’action susceptible d’être introduite lorsque l’officier de l’état civil refuse d’acter la reconnaissance, sont dès lors annulés, et il appartient à présent au législateur d’organiser un recours spécifique.
Ce droit d’accès au juge n’est pas absolu mais les limitations susceptibles de lui être apportées ne peuvent constituer une barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché par le tribunal compétent.
La jurisprudence de la Cour constitutionnelle avait déjà fondé d’autres décisions importantes sur le droit d’accès au juge, par exemple dans l’affaire de Delphine Boël (aujourd’hui de Saxe-Cobourg) contre le Roi Albert II ; il est renvoyé sur ce point à l’article de Marie Toussaint publié sur Justice-en-ligne, « Comment s’établit, comment se conteste devant les tribunaux la filiation paternelle ? » .