Un enfant procréé grâce à un don de sperme a le droit de bénéficier d’un lien de filiation à l’égard de son père intentionnel décédé

par Geoffrey Willems - 10 juin 2019

Dans un important arrêt rendu le 7 février 2019, portant le n° 19/2019, la Cour constitutionnelle a affirmé le principe fondamental suivant lequel un enfant né à la suite d’une procréation médicalement assistée (PMA) doit pouvoir bénéficier d’un lien de filiation avec chacun de ses parents intentionnels même lorsqu’ils ne sont pas ses parents biologiques.

Geoffrey Willems, professeur à l’Université catholique de Louvain, nous livre les tenants et les aboutissants de cette question et de la manière dont elle a été tranchée

1. Dans l’affaire soumise à la Cour, une femme avait été inséminée avec le sperme d’un donneur mais son compagnon était décédé avant la naissance de l’enfant.
Elle avait, après la naissance, demandé au Tribunal de la famille de Mons de désigner son partenaire défunt comme le père de cet enfant.

2. Suivant le Code civil belge, cependant, le juge ne peut établir la paternité d’un homme, vivant ou mort, que pour autant que cet homme soit le père biologique de l’enfant.
Or, dans le cas du recours au don de sperme, le partenaire de la mère n’est évidemment pas le père biologique puisque le sperme d’un tiers est utilisé.
Le tribunal devait donc a priori constater qu’il n’existait pas de lien biologique et rejeter la demande de la mère en privant – par voie de conséquence – l’enfant d’un lien de filiation paternelle à l’égard de son père intentionnel prématurément décédé.

3. Le Tribunal a toutefois saisi la Cour constitutionnelle de la question de savoir s’il était acceptable, au regard des droits garantis par la Constitution, de laisser cet enfant dans une situation « bancale » où il disposait d’un lien de filiation à l’égard de sa mère mais pas à l’égard de son père.

4. Dans son arrêt n° 19/2019 du 7 février 2019, la Cour a jugé que l’enfant procréé grâce à un don de sperme et dont le père est décédé avant sa naissance doit pouvoir jouir d’un lien de filiation à l’égard de ses deux parents intentionnels.
Elle a relevé que la règle suivant laquelle l’établissement judiciaire de la filiation paternelle n’est possible que si l’homme dont on cherche à établir la filiation est le père biologique est pleinement justifiée pour les enfants procréés naturellement, mais totalement inadéquate dans le cas des enfants procréés par PMA avec don de sperme.
Pour ces enfants, c’est la volonté de devenir parent grâce à la procréation artificielle et non les liens biologiques – par définition absents – qui devrait constituer le fondement de la filiation.

5. La Cour a rappelé que, suivant la Constitution et la Convention relative aux droits de l’enfant, l’intérêt de l’enfant devait être la considération primordiale pour toute question qui le concerne.
Or, sauf dans des circonstances exceptionnelles, il est dans l’intérêt de l’enfant de bénéficier d’un double lien de filiation, notamment pour la constitution de son identité. En privant l’enfant de la possibilité de voir établi un deuxième lien de filiation avec son père intentionnel défunt, l’exigence d’un lien biologique portait donc atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale et à son droit de voir pris en compte son intérêt supérieur.

6. En outre, les enfants procréés par PMA avec don de sperme au sein d’un couple hétérosexuel, comme dans le cas soumis à la Cour, étaient discriminés par rapport à deux autres catégories d’enfants.
D’un côté, en effet, les enfants nés d’une PMA réalisée avec le sperme du partenaire de la mère peuvent toujours voir leur double filiation établie, même en cas de décès prématuré, car il existe alors un lien biologique et le tribunal peut, dès lors, accueillir la demande d’établissement judiciaire de la filiation.
De l’autre côté, les enfants nés d’une PMA avec don de sperme mise en œuvre au sein d’un couple de femmes peuvent, eux aussi, toujours voir leur double filiation établie, même en cas de décès prématuré, car la filiation de la coparente est fondée sur son consentement à la PMA et le tribunal peut dès lors accueillir la demande d’établissement de la filiation.
Pour la Cour, ces différenciations entre enfants tenant aux modalités de leur conception ou à l’orientation sexuelle de leurs parents ne sont pas raisonnablement justifiées.

7. La Cour ayant, pour ces différentes raisons, conclu à l’inconstitutionnalité de la règle litigieuse, le tribunal de Mons pourra finalement faire droit à la demande de la mère et désigner le père intentionnel décédé comme le père juridique de l’enfant.
Tout autre juge saisi d’une demande identique pourra d’ailleurs, de la même façon, passer outre l’exigence de vérification du lien biologique normalement prescrite par le Code civil.
Le raisonnement de la Cour pourra en outre probablement être étendu à d’autres situations où la filiation paternelle d’un enfant né grâce à un don de sperme ne peut être établie et, en particulier, à l’hypothèse d’une rupture entre les parents intentionnels avant ou peu après la naissance.

8. Toutefois, la solution la plus opportune consisterait probablement à modifier les règles relatives à la filiation et à affirmer désormais clairement que la filiation d’un enfant issu de la PMA est, dans tous les cas, fondée sur la volonté de devenir parent telle qu’elle résulte de la convention passée avec le centre de fécondation, indépendamment de l’absence de liens biologiques chaque fois qu’il est fait appel à un donneur.
L’on aurait probablement pu et du consacrer ce principe dès l’adoption de la loi relative à la PMA en 2007 ; il n’est, cependant, jamais trop tard pour bien faire…

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