Mariage homosexuel aux États-Unis : un parti-pris judiciaire peut-être dommageable…

par Blandine Chelini-Pont - 21 novembre 2015

Le feuilleton judiciaire du mariage homosexuel aux États-Unis s’est enrichi d’un nouvel épisode : l’arrêt du 26 juin 2015 de la Cour suprême des États-Unis, Obergefell v. Hodges.

Qu’en est-il en réalité ? Que signifie ce nouveau jalon ? Cache-t-il d’autres (r)évolutions des mœurs, que l’on ne soupçonne sans doute pas aujourd’hui ?

Réponse par Blandine Chelini-Pont, professeur à l’Université d’Aix-Marseille et chercheur associé au Groupe sociétés, religions et laïcités (GSRL-CNRS) de l’Ecole pratique des hautes études de Paris

1. Avec ses deux grands arrêts de juin 2013 (Windsor v. United States et Hollingsworth v. Perry) la Cour suprême des États-Unis a ouvert la voie à une protection de facto des mariages homosexuels dans toute l’Union, même si ces mariages n’étaient légaux que dans quatorze États. Justice-en-ligne y a fait écho en son temps (Blandine Chelini-Pont, « Deux arrêts du 26 juin 2013 de la Cour suprême des États-Unis alimentent le débat judiciaire sur le mariage homosexuel »).

2. Avec l’arrêt du 26 juin 2015, Obergefell v. Hodges, un pas a été franchi, qui a fait du mariage homosexuel une question de droit fondamental, à partir d’une interprétation extensive du 14ème amendement de la Constitution fédérale, réaffirmant le droit de tous les citoyens américains à l’égale protection de la loi.

La Cour devait répondre de la plainte de quatorze citoyens contre les lois de certains États américains sur le mariage qui réaffirmaient son caractère hétérosexuel. Les plaignants considéraient que ces lois constituaient une violation du 14e amendement fédéral. Et la Cour suprême leur a donné raison par cinq voix contre quatre. Ces lois vont désormais disparaître.

3. Deux chemins sont aujourd’hui possibles pour la reconnaissance des mariages homosexuels dans les systèmes démocratiques :

 soit la voie électorale, référendaire ou législative, qui fait appel au jeu politique et à une conception majoritaire de l’autorité populaire, s’estimant de fait légitime à fabriquer, à imposer si nécessaire ou au contraire à empêcher l’éclosion de normes nouvelles ;

 soit la voie judiciaire, qui, par sa logique d’appels, aborde la problématique homosexuelle du mariage par le biais de la discrimination ou de l’inégalité.

Même si ces deux voies sont également contestables pour les opposants à l’incorporation des couples homosexuels dans le mariage civil, parce qu’elles se mêleraient de toucher à un socle anthropologique qui leur échappe et qui ne serait pas de leur compétence, ces voies ont été utilisées dans la plupart des pays occidentaux avec une préférence américaine pour la solution judiciaire.

Mais, dans ce cas précis, la Cour suprême des États-Unis a développé une doctrine audacieuse du mariage, pensée presque ex nihilo à partir du 14ème amendement fédéral sur l’égale protection des lois.

4. Cette réécriture « magistérielle » du droit au mariage largue insidieusement les amarres avec la protection internationale du mariage comme droit universel.

Le mariage a été déterminé comme un droit de l’homme dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 (votée, pour rappel, par l’assemblée générale des Nations Unies) (article 16) avec la liberté du consentement comme condition dans la formation du lien (le mariage ne peut être conclu que par le libre et plein consentement des futurs époux).

Mais, aussi bien dans l’article 16 de la Déclaration universelle des droits de l’homme que dans l’article 12 de la Convention européenne des droits de l’homme qui en reprend les termes, les époux en question sont sexuellement différenciés comme homme et femme, et la Cour européenne des droits de l’homme a de son côté (arrêt Schalk et Kopf contre Autriche, 24 juin 2010) considéré que l’article 12 de la Convention n’imposait à aucun État partie l’obligation d’ouvrir le mariage civil aux homosexuels et que cela ne pouvait être considéré comme une violation du droit au respect de la vie privée et familiale (article 8) ou comme une discrimination (article 14). Bref, selon la Cour européenne, ce qui prime dans le mariage comme ‘droit de l’homme’ n’est pas tant la liberté de se choisir et de consentir, condition considérée comme absolument nécessaires pour protéger l’égalité des femmes dans la contraction du mariage, que le droit pour un homme et pour une femme « de se marier et de fonder une famille », ce qui n’est pas exactement la même chose.

La Cour suprême des États-Unis, qui n’est pas une Cour dédiée aux droits de l’homme mais au respect de la Constitution américaine, a délibérément confondu le droit de se marier avec la liberté (sacrée) de choix du conjoint, qui plus en déformant la condition de liberté (le consentement), en définition de sa cause.

La liberté de choix surplombe désormais toute causalité du mariage (abiding connection between mariage and liberty), transformant la tendance romantique et absolutisée de l’amour dans la culture occidentale en raison principielle du mariage.

5. Que répondre demain, avec ce type de logique, à ceux qui réclameront pour leurs mariages religieux ou coutumiers inégalitaires, leurs unions polygames, leurs relations adultères, ou leurs formes sectaires de vie commune, les mêmes exacts privilèges accordés par le mariage civil aux citoyens américains, au nom de leur égale liberté de choix, de leur égale liberté de consentement et de leur égale dignité ?

Votre point de vue

  • skoby
    skoby Le 22 novembre 2015 à 12:05

    A mon avis, tout dépend de la Loi. Les tribunaux doivent appliquer la loi du pays.
    Ensuite la loi peut-être critiquée par des organismes internationaux et
    le gouvernement pourrait éventuellement modifier cette loi.
    D’autre part, la Cour Internationale de Justice pourrait contraindre le pays
    de modifier sa loi.

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Auteur

Professeur à l’Université d’Aix-Marseille et chercheur associé au Groupe sociétés, religions et laïcités (GSRL-CNRS) de l’Ecole pratique des hautes études de Paris

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