Qu’est-ce qu’une directive de politique criminelle ?

par Marie Jadoul - 30 août 2024

Dans une récente interview pour Justice-en-ligne et sa journaliste Thérèse Jeunejean, Ingrid Godart, Procureure générale de Mons nous a présenté le Collège des procureurs généraux.
Un des rôles de ce Collège est de préparer avec le ministre de la Justice des directives de politique criminelle.
Marie Jadoul, doctorante à l’UCLouvain, nous donne davantage d’explications au sujet de ces directives.

1. Les articles 12 et 14 de la Constitution belge consacrent un principe fondamental en droit pénal : le principe de légalité. En vertu de celui-ci, nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi et dans la forme qu’elle prescrit (article 12). De la même manière, aucune peine ne peut être établie ou appliquée à un justiciable qu’en vertu de la loi (article 14).
Par conséquent, au regard de ce principe, le droit pénal trouve sa source dans la loi.

2. Qui peut élaborer la loi ?
En vertu du principe de la séparation des pouvoirs consacré par la Constitution belge dès 1831, le pouvoir législatif – par l’intermédiaire d’une assemblée parlementaire – est en principe la seule autorité à pouvoir adopter des lois, qui, comme sources premières du droit interne (subordonnées toutefois à la Constitution), sont à la base du système normatif. Ainsi, sauf cas particuliers et strictement circonscrits, le pouvoir exécutif ne peut intervenir dans l’élaboration de la loi.

3. Toutefois, l’un des cas où, précisément, le pouvoir exécutif a été autorisé à pouvoir adopter des directives contraignantes opérant en tant que règles de droit en matière pénale, est celui des « directives de politique criminelle » dont il est question dans cet article (voir notamment Chr. GUILLAIN, « Les directives de politique criminelle comme source du droit », dans l’ouvrage suivant : Y. Cartuyvels, H. Dumont, Ph. Gérard, I. Hachez, Fr. Ost et M. van de Kerchove, Les sources du droit revisitées. Normes internes infraconstitutionnelles, Université Saint-Louis / Anthemis, Bruxelles-Louvain, 2012, pp. 347 à 381 http://hdl.handle.net/2078.3/159633).

4. Le Ministère public, en tant qu’organe du pouvoir judiciaire, n’est-il pas indépendant dans l’exercice de ses fonctions vis-à-vis des autres pouvoirs ?
L’article 151, § 1er, alinéa 1er, de la Constitution prévoit notamment que « le ministère public est indépendant dans l’exercice des recherches et poursuites individuelles, sans préjudice du droit du Ministre compétent d’ordonner des poursuites et d’arrêter des directives contraignantes de politique criminelle, y compris en matière de politique de recherche et de poursuite ».
De cette disposition, il faut retenir deux éléments importants :

  1. Le Ministère public (ou « Parquet », dirigé dans chaque arrondissement par le Procureur du Roi), en tant qu’organe du pouvoir judiciaire, est indépendant vis-à-vis des autres pouvoirs (législatif et exécutif) dans l’exercice de ses fonctions. En matière pénale, celles-ci consistent essentiellement dans le fait de rechercher et de poursuivre des auteurs d’infractions, ainsi que dans le fait d’exercer l’action publique par le biais d’une intervention au procès pénal (pour y proposer une solution de justice au juge et y représenter les intérêts de la société) (M.-A. BEERNAERT, H. BOSLY, D. VANDERMEERSCH, Droit de la procédure pénale, Bruges, La Charte, 2021, 9e éd., pp. 163 et s.). Ainsi, dans le cadre de ses fonctions, le Ministère public apprécie, de façon autonome, l’opportunité de poursuivre une infraction ou de la classer sans suite (et de ne pas poursuivre son auteur).
  2. Toutefois, l’indépendance du Ministère public à l’égard du ministre de la Justice concernant la recherche et la poursuite des infractions n’est pas sans limites. Le pouvoir d’appréciation du procureur du Roi en matière d’opportunité des poursuites connait en effet trois exceptions (voir le même extrait de l’ouvrage précité). Premièrement, le procureur général et le ministre de la Justice peuvent lui enjoindre de poursuivre un supposé auteur. Deuxièmement, la victime qui s’estime lésée par des faits peut elle-même décider de mettre l’action publique en mouvement par l’intermédiaire d’une constitution de partie civile. Troisièmement, le procureur du Roi est tenu de respecter les « directives générales de politique criminelle » telles qu’établies selon le prescrit de l’article 143quater du Code judiciaire.

5. Qu’est-ce qu’une « directive de politique criminelle » ?
La loi ne donne aucune définition de cette notion, contrairement aux travaux parlementaires.
Selon ceux-ci, en résumé, il s’agit d’un ensemble de « mesures qui ont pour but de réprimer les infractions, sanctionner leurs auteurs et assister les victimes […]. La politique de recherche et de poursuite des infractions est incluse dans ce concept de politique criminelle et doit être déterminée par le ministre de la Justice en concertation avec le collège des procureurs généraux. La politique criminelle telle qu’elle est visée ici ne comprend ni la politique préventive ni la politique pénitentiaire » (projet devenu la loi du 4 mars 1997 loi ‘instituant le collège des procureurs généraux et créant la fonction de magistrat fédéral’, Doc. parl., Sénat, 1996-1997, n° 1 447/1, p. 2).
En d’autres termes, les directives de politique criminelle consistent en un ensemble de mesures établies par le ministre de la Justice, en concertation avec le Collège des procureurs généraux, qui donnent les orientations prioritaires que les parquets doivent suivre quant à la politique de recherche et de poursuite des infractions : en vertu de l’article 143quater du Code judiciaire, « [l]e ministre de la Justice arrête les directives de politique criminelle, y compris en matière de politique de recherche et de poursuite après avoir pris l’avis du Collège des procureurs généraux. Ces directives sont contraignantes pour tous les membres du Ministère public. Les procureurs généraux près les cours d’appel veillent à l’exécution de ces directives au sein de leur ressort ».
Le Collège des procureurs généraux est un organe composé par les procureurs généraux issus des cinq cours d’appel et cours du travail du pays. Ce collège donne des avis au ministre de la Justice sur les projets de directives de politique criminelle que le ministre lui soumet ; il est chargé du développement et de la coordination de la politique des recherches et poursuites des infractions. Il est renvoyé sur ce point à l’article suivant publié sur Justice-en-ligne : Th. Jeunejean, « Qu’est-ce que le Collège des procureurs généraux ? ».
En vertu de ces directives, le ou la ministre de la justice peut ainsi décider d’accorder la priorité à la répression de certains phénomènes criminels plutôt qu’à d’autres, en fonction de l’évolution de la société. Les directives de politique criminelle sont contraignantes et s’imposent donc aux parquets.

6. Concernant l’une des autres exceptions au principe de l’opportunité des poursuites du parquet visées ci-avant (selon laquelle le procureur général et le ministre de la justice peuvent ordonner au parquet de poursuivre un supposé auteur par un droit d’injonction positive), précisons encore qu’une directive qui interdirait aux parquets de poursuivre certaines infractions serait contraire à la loi et à l’article 151, § 1er, de la Constitution (rapport de la Commission de la Justice sur un projet devenu la loi du 12 mars 1998 ‘relative à l’amélioration de la procédure pénale au stade de l’information et de l’instruction’, Doc. parl., Sénat, 1997-1998, n° 1 704/4, p. 149).
Par conséquent, si un droit d’injonction positive existe en matière de poursuites de la part du ministre de la justice à l’égard du parquet, il y a, par contre, une interdiction de principe, dans le chef du pouvoir exécutif, de délivrer des injonctions négatives de poursuites pénales au Ministère public.

Votre point de vue

  • Miège
    Miège Le 1er septembre à 07:29

    Dommage qu’il n’y ait pas plus d’articles aussi intéressants publiés par Justice en ligne concernant l’application de la justice en Belgique.

    Répondre à ce message

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