1. Depuis des temps très anciens, la justice est rendue au travers d’une mise en scène qui obéit à des rites particuliers.
Ainsi, le mythe de Saint-Louis rendant la justice au XIIIe siècle sous un chêne a frappé les imaginations. Ce cérémonial est profondément enraciné dans l’idée que l’intervention formalisée du juge se justifie par la nécessité de purger l’émotion sociale.
C’est pourquoi les procès se déroulent dans un endroit particulier, le palais de justice, dans un temps particulier, celle d’une audience ritualisée, avec un costume particulier, la robe, avec des acteurs particuliers, les magistrats et les avocats, et, enfin, avec une gestuelle et une parole particulières, le juge restant assis, le procureur se levant quand il s’adresse à lui, de même que les parties et leurs avocats.
2. Ces prescriptions demeurent strictes : on requiert debout et on juge assis.
C’est tout simplement de là que viennent les expressions « magistrature debout » et « magistrature assise », celle-ci étant aussi appelée plus brièvement « le siège ».
On nomme encore communément la magistrature debout « parquet », expression dont l’origine ne renvoie toutefois pas, comme le terme le suggère, au plancher sur lequel les procureurs officient par rapport à l’estrade sur laquelle siègent les juges. Au Moyen Âge, lorsque la justice était rendue à ciel ouvert, avant de prendre la parole, les gens du roi (le ministère public au sens moderne n’existait pas encore) comme les avocats d’ailleurs, se tenaient dans un « petit parc », un enclos délimité par des barrières et des barreaux, d’où la naissance du vocable « parquet » pour désigner les personnes qui se réunissaient dans cet espace.
Tout cela a depuis belle lurette déserté la mémoire, mais le mot est resté.
3. Debout, assis, ces postures traduisent également les fonctions dont les acteurs judiciaires sont investis.
L’accusateur s’élève, se dresse, s’insurge, s’oppose ; il accuse, montre du doigt, crée une rupture corporelle et scénique. Le juge est assis, il écoute, pose une question, prend des avis, ses gestes sont moins visibles, moins spectaculaires, il ne bouge pas, il réfléchit.
L’image de l’homme ou de la femme debout évoque un affrontement et d’ailleurs l’avocat se lèvera à son tour pour défendre et répliquer.
L’homme assis évoque la tranquillité, la sérénité, la stabilité.
On se lève pour s’affronter, on s’assoit pour échanger. On s’assoit dans sa maison, on reste debout chez son hôte. Cette symbolique debout/assis indique que, dans l’espace judiciaire, le procureur (qui personnifie le parquet) ne peut se confondre avec le juge, ils exercent des fonctions distinctes, indépendantes l’une de l’autre tout en étant complémentaires, et signifie que c’est bien le juge le maitre de céans.
4. Ce rituel, l’expérience l’atteste, connaît quelques variations, voire des déformations caricaturales.
En principe, le ministère public ne se lève que pour requérir (c’est-à-dire pour demander au juge qu’il statue dans la direction considérée comme légale et juste par le procureur) et peut rester assis pour poser des questions. Lorsqu’il prend de brèves réquisitions ou se borne à demander l’application de la loi, on le voit parfois se limiter à se pencher en avant, se levant à demi pour se rassoir aussitôt.
Il arrive aussi – et ce n’est pas rare - que des substituts, oublieux de leur rôle et de leur effet sur le justiciable, ne prennent même pas la peine de se lever. Dans une matière où tout est symbole, cette manière d’agir donne du grain à moudre à ceux qui veulent renvoyer les traditions aux oubliettes de l’histoire, les ravalant au rang d’un folklore périmé, négligeant le fait que, loin d’apparaître comme le signe d’une justice naturelle, le rituel montre à l’inverse que l’institution est un « art », au sens où elle a été façonnée par les hommes.
5. Cela dit, il y a longtemps que la procédure inquisitoire (c’est-à-dire le système par lequel c’est au parquet qu’il appartient d’apporter la preuve de la culpabilité de la personne poursuivie, à défaut de quoi celle-ci doit être acquittée) n’attribue plus au parquet le rôle d’une machine de guerre pour protéger le Prince ou stigmatiser en public le coupable à ses yeux : s’il porte toujours l’accusation, le procureur a également une autre mission, celle d’intervenir pour proposer au juge une solution de justice. Un procès a pour raison d’être de contribuer à la paix entre les hommes et non à la victoire des uns et à la défaite des autres.
6. Ces brèves observations se rapportent à la partie visible de la justice.
Mais, de même que la partie immergée de l’iceberg est bien plus grande que celle qui émerge, la réalité du travail du parquet, comme du siège, est plus complexe que le laisse entendre la posture debout/assis, et s’effectue en dehors du prétoire.
Rechercher les infractions, identifier leurs auteurs et les poursuivre, cela représente un dur labeur en coulisses pour les magistrats du ministère public : étude des procès-verbaux, impulsions à donner aux enquêteurs, réunions avec les policiers, examen des dossiers, rencontres avec les avocats, préparation des réquisitions écrites, tels sont quelques exemples de la vie quotidienne du parquet.
Par ailleurs, le rôle de celui-ci ne se limite pas à l’alternative poursuivre devant le tribunal ou classer l’affaire sans suite. Dans le cadre de la politique criminelle, il lui revient de déterminer le type de réponse judiciaire à apporter, et qui n’est pas toujours la sanction prononcée par un tribunal au terme d’une mise en scène spectaculaire. Au risque d’une certaine confusion des genres, le parquet joue aussi aujourd’hui un rôle quasi-juridictionnel quand il décide de clore un litige par une médiation pénale, une transaction ou une probation dite prétorienne.
Votre point de vue
Justice-en-Ligne Le 27 septembre 2022 à 09:55
En effet, en matière civile, devant les juridictions de fond, la pratique du ministère public est de rester assis lorsqu’il formule un avis à l’audience. Toutefois, à la Cour de cassation, l’usage consistant à se lever lorsqu’il prend la parole, demeure.
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Jacques Fierens Le 20 septembre 2022 à 21:50
Et quand le ministère public donne un avis (au civil), convient-il qu’il se lève ou qu’il reste assis ? Il me semble qu’en pratique, la deuxième solution prévaut.
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