Le tribunal de l’entreprise et les peines

par Bénédicte Inghels - 8 décembre 2022

Une internaute visiteuse de Justice-en-ligne nous a récemment demandé si le tribunal de l’entreprise peut prononcer des peines de prison.
Bénédicte Inghels, avocat général à la Cour de cassation et collaboratrice scientifique à l’Université catholique de Louvain, donne la réponse ci-dessous : non, le tribunal de l’entreprise est une juridiction civile, elle n’est pas une juridiction pénale. Elle évoque à cette occasion la compétence de cette juridiction pour ce qui concerne la sanction des interdictions professionnelles.
La distinction entre « civil » et « pénal » fait référence aux deux fonctions essentielles de la Justice : trancher les conflits, d’une part, sanctionner les infractions, d’autre part.

Le tribunal de l’entreprise et l’interdiction professionnelle

1. Juridiction civile, le tribunal de l’entreprise compte pourtant dans ses compétences certains aspects plus répressifs. Tel est le cas de la possibilité qui est la sienne de prononcer une interdiction professionnelle.
De quoi s’agit-il ?

Liberté d’entreprise vs. Interdiction professionnelle

2. Se voir interdire d’exercer sa profession, c’est un peu comme être dans une « prison économique ».
En effet, tout le Code de droit économique repose sur la liberté d’entreprendre. C’est un principe de base : chacun est en principe libre d’exercer l’activité économique de son choix ; ce principe est d’ailleurs consacré également par les règles supérieures du droit européen. Mais lorsque le comportement de cette personne est répréhensible au niveau économique, cette liberté peut lui être interdite.
Le tribunal de l’entreprise pourrait alors prononcer une mesure qui consiste à interdire à certaines personnes, généralement d’anciens faillis ou des mandataires de sociétés en faillite, d’encore exercer une activité en tant qu’entreprise, ou en tant que mandataire ou représentant de fait d’une société.

Un petit peu d’histoire

3. Ce régime est en réalité fort ancien. Déjà en 1934, le législateur a voulu interdire que l’administration, la surveillance et la gestion de sociétés commerciales soient confiées à des personnes indignes, qui ne sont pas honnêtes ou des personnes telles que les anciens faillis qui, s’étant montrés incapables de gérer leurs propres affaires, ne peuvent sans danger être appelés à gérer celles d’autrui.
Mais très vite il est apparu que ce régime pouvait être comparé à une peine, qu’il y avait un caractère pénal. Or, qui dit peine, dit qu’il faut que la sanction puisse être modalisée par le sursis ou la suspension du prononcé de la condamnation.
Et donc la Cour constitutionnelle est passée par là, et le législateur a dû revoir sa copie.

Un nouvel équilibre

4. Mais, surtout depuis l’introduction de la nouvelle législation sur l’insolvabilité, le régime semble s’être stabilisé et est d’ailleurs un des piliers de l’équilibre voulu par cette législation.
L’idée est d’une part d’accorder des mesures de faveur à l’entrepreneur peu chanceux, qui a le droit à une nouvelle chance de redémarrer et, d’autre part, de sanctionner plus efficacement l’entrepreneur qui abuse du système et constitue une menace pour ses créanciers, et donc pour toute notre économie.
On doit dès lors s’attendre à ce que le régime des interdictions professionnelles soit un peu plus utilisé à l’avenir.

Et une interdiction professionnelle, c’est quoi ?

5. La loi organise plusieurs cas, qui ne pas détaillées ici, mais il faut retenir l’idée que, s’il est établi qu’une faute grave et caractérisée du failli a contribué à la faillite, le tribunal de l’entreprise peut interdire à ce failli de reprendre une activité en son nom ou d’exploiter lui-même ou par interposition de personne, une entreprise.

Des fautes graves et caractérisées, quesako ?

6. La faute grave et caractérisée est celle qu’un dirigeant d’entreprise raisonnablement prudent et diligent n’aurait pas commise, c’est-à-dire que sa faute heurte les normes essentielles de la vie en société.
À titre d’exemple, on peut penser au dirigeant d’entreprise qui ne respecte jamais ses obligations légales (en matière de dépôt des comptes annuels par exemple), le fait qu’il omette systématiquement de payer certains créanciers publics ou privés (par exemple le non-paiement systématique des cotisations sociales ou de l’impôt), la hauteur du passif eu égard à la durée de vie de la société, l’existence d’infractions pénales dans le chef des dirigeants de fait ou de droit.
Il y a eu des exemples de condamnations de personnes qui se présentaient comme dirigeants d’une société pour cacher le fait qu’une autre personne était le véritable gérant. La jurisprudence des cours et tribunaux montre aussi que l’existence d’une ou plusieurs faillites antérieures est un indicateur.

Une interdiction professionnelle, pour combien de temps ?

7. Celle-ci pourra être prononcée pour un délai de maximum dix ans. La procédure ne comporte pas de délai minimum.
Par contre, étant donnée la similitude avec les interdictions découlant de condamnations pénales, il est possible de prononcer une interdiction avec un sursis. De même le tribunal peut accorder la suspension du prononcé de l’interdiction. Il est donc possible de moduler la sanction en fonction de toutes les circonstances.

En pratique, comment ça se passe ?

8. L’action en interdiction est ouverte à la demande du Ministère public ou de tout créancier resté impayé dans la faillite. L’action est traitée par le tribunal de l’entreprise.

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Bénédicte Inghels


Auteur

Avocat général à la Cour de cassation et collaboratrice scientifique à l’Université catholique de Louvain

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