Le gouvernement Arizona : ses projets en matière de sécurité et de la lutte contre la criminalité organisée, les narco-trafiquants et le terrorisme

par Jean-Claude Matgen - Michel Claise - 28 février 2025

Photo @ PxHere.com

La récente déclaration gouvernementale de la coalition Arizona (qui regroupe les partis flamands N-VA, CD&V et Vooruit ainsi que les partis francophones MR et Les Engagés) comprend plusieurs volets consacrés à la Justice.
Dans ce premier article, Jean-Claude Matgen, journaliste, nous en résume plusieurs aspects, notamment ceux relatifs à la sécurité et à la lutte contre la criminalité organisé, les narco-trafiquants et le terrorisme, ainsi que des questions d’organisation. Sous cette présentation, Michel Claise, magistrat honoraire et enseignant, ancien juge d’instruction, nous propose son regard sur ces éléments de l’accord Arizona.
D’autres articles seront ultérieurement proposés sur Justice-en-ligne, portant sur d’autres chapitres du volet « Justice » de l’accord du nouveau gouvernement Arizona.
Précision importante : il ne s’agit au stade actuel que de premiers projets politiques, non encore traduits dans des textes juridiques (lois, règlements, etc.).

1. Les fusillades parfois mortelles qui ont perturbé les nuits bruxelloises ces dernières semaines illustrent de façon spectaculaire la violence de la criminalité exercée en Belgique par les « mafias » des narcotrafiquants.
Le gouvernement Arizona annonce des mesures pour tenter, s’il en est encore temps, de la juguler.
Plus généralement, la nouvelle coalition affirme sa volonté d’augmenter les moyens alloués à la Justice et annonce une série de mesures répressives susceptibles, espère-t-elle, d’améliorer la sécurité de la population.

2. La lutte contre le commerce et la consommation de stupéfiants constitue une priorité de la déclaration gouvernementale, qui parle de « guerre contre les drogues ».
L’Arizona entend renforcer les compétences du Commissaire national aux drogues, poste créé sous la législature précédente et occupé actuellement par Inès Van Wymersch, qui réclame depuis longtemps davantage de moyens.

3. À propos de moyens, le gouvernement dit vouloir renforcer ceux de la police fédérale d’Anvers, qui sera mise sans tarder au même niveau que celle de Bruxelles. On sait que le port d’Anvers est l’une des principales portes d’entrée européennes de la drogue venant du monde entier.
Par la suite, et sur la base d’une évaluation de la charge de travail, un financement supplémentaire sera prévu là où ce sera jugé nécessaire.
La majeure partie des enquêteurs sera affectée à la lutte contre la criminalité organisée, dit la déclaration, qui prévoit le renforcement des zones de police bruxelloises, via un nouveau « plan canal » fédéral.

4. Au sein du parquet fédéral, sera créée une section de criminalité financière chargée de se concentrer sur la fraude fiscale et la corruption.
L’arsenal juridique devrait être renforcé pour les faits de fraude fiscale et de blanchiment d’argent. Les membres de bandes criminelles utilisant des mineurs seront plus sévèrement punis.

5. Des peines plus sévères sont annoncées en matière de trafic de stupéfiants, de trafic d’armes et en cas de participation à une organisation criminelle. Les armes découvertes à l’occasion d’une enquête judiciaire seront enregistrées et les autorités chercheront à en établir l’origine.

6. Les juges seront autorisés à décider que les condamnés pour trafic de drogue, d’êtres humains ou de crimes organisés sont obligés de participer financièrement aux frais entrainés par leur détention.

7. Les modalités de déchéance de nationalité seront étendues. Le juge pourra prononcer une telle sanction si la personne est condamnée pour des faits de criminalité dans lesquels elle joue un rôle décisif ou pour homicide ou délit de mœurs, si la peine prononcée est supérieure à cinq ans d’emprisonnement et si la personne poursuivie a acquis la nationalité belge moins de quinze ans avant de commettre les faits sanctionnés ; ces trois conditions sont cumulatives.
En cas de condamnation pour fais de terrorisme, la déchéance de nationalité sera automatique.

8. L’Arizona veut aussi faire en sorte que les personnes radicalisées en séjour illégal en Belgique soient placées en centre fermé et renvoyées le plus vite possible dans leur pays d’origine. Le gouvernement entend que les terroristes étrangers soient jugés dans le pays où ils ont commis une infraction.
Un fonds de garantie pour les victimes d’actes de terrorisme sera mis en place. Il interviendra en première instance, avant intervention des compagnies d’assurances.

9. À propos de victimes de faits délictueux, l’Arizona a pour objectif de leur donner un accès plus facile et plus rapide à leur dossier. La volonté est de permettre aux victimes d’une agression de bénéficier d’une assistance juridique et psychologique gratuite, de recevoir des indemnisations financières garanties et d’avoir un accès simplifié aux assurances et aux indemnités médicales.

10. À plusieurs reprises, l’accord gouvernemental évoque le recours à l’intelligence artificielle pour faciliter le travail de surveillance et d’enquête de la police et des services de renseignement. Il envisage « l’utilisation de la technologie de reconnaissance faciale afin de détecter les condamnés et les suspects ». Il prévoit aussi des adaptations législatives afin d’étendre la surveillance par caméras.
Celles-ci ainsi que body-cams devraient pouvoir être utilisées « de façon élargie » par les urgentistes, les ambulanciers, les pompiers, les chauffeurs de bus, les accompagnateurs de train, les enseignants, autrement dit toute personne exerçant des fonctions sociales.
L’Arizona veut renforcer une politique de « tolérance zéro » à l’égard des auteurs d’actes de violence ou de menaces contre des membres de ces professions.

11. En matière de délinquance sexuelle, la déclaration gouvernementale dit vouloir renforcer le suivi des délinquants sexualité détenus en augmentant les effectifs chargés des affaires de mœurs, en collaboration avec les entités fédérées.

12. L’Arizona envisage encore une révision du système d’inscription au casier judiciaire, en y faisant éventuellement figurer des interdictions particulières.

13. Les juges pourraient associer au port du bracelet électronique un dispositif permettant le contrôle de la consommation éventuelle de drogues ou d’alcool par des personnes interdites d’en prendre.
Le fait de saboter un bracelet électronique deviendrait une infraction, tout comme l’évasion.

14. Enfin, l’Arizona veut réduire le parc immobilier dédié à la Justice. Et utiliser l’argent épargné pour rénover et moderniser les bâtiments existants.
Elle veut améliorer la synchronisation entre les services judiciaires, poursuivre les efforts de digitalisation, renforcer l’attractivité du métier de magistrat.

15. Elle entend finaliser le passage à l’autonomie de gestion du pouvoir judiciaire, renforcer le contrôle interne et externe de son fonctionnement avec l’aide du Conseil supérieur de la Justice.
Elle veut renforcer le droit disciplinaire des magistrats et revoir le système de leur évaluation et le barème des sanctions applicables.

Le regard de Michel Claise, magistrat honoraire et enseignant, ancien juge d’instruction

1. Presque chaque jour apporte son lot de faits divers dramatiques dans les quartiers de Bruxelles, entre tirs à l’arme de guerre dans les stations de métro et la constatation permanente de la présence en augmentation des dealeurs dans les rues de la Capitale.
Et les citoyens de s’en inquiéter – à juste titre – d’autant que plusieurs victimes sont à déplorer.
Tous les regards sont désormais tournés vers le monde politique. Que vont faire les nouveaux élus face à cette situation qui part en spirale incontrôlable quand les actions préconisées dans leur programme paraissent de plus en plus insuffisantes vu la montée de la gravité des faits d’agression ?
Il est évident qu’aujourd’hui, il faut « faire quelque chose », et ce, au-delà de tout effet d’annonce dont le citoyen ne peut plus se contenter. Et les réactions de s’enchainer avec des engagements verbaux dont on attend la suite avec impatience.

2. Et pourtant, rien de neuf.
Cela fait une bonne quinzaine d’années que les professionnels du monde judiciaire tirent sur la sonnette d’alarme dans l’indifférence la plus totale des dirigeants de notre pays.
La montée en puissance des organisations criminelles est devenue une évidence qui a toujours échappé aux gouvernants.
Et les narcotrafiquants ne sont qu’une partie du problème : il faut ajouter toutes les autres infractions qui génèrent un produit financier illicite déstabilisant l’économie : la cybercriminalité, le trafic d’armes et d’organes, les atteintes criminelles à l’environnement, la traite des êtres humains, les escroqueries, la fraude fiscale et sociale, etc. Des milliards qui échappent aux caisses des États européens et qui, par le blanchiment, font « des petits » chaque année.
Avec pour conséquence un renforcement des moyens dont disposent les criminels, doublé d’un sentiment d’impunité de la part des mafieux, qui coulent des jours heureux la plupart du temps en dehors de nos frontières.

3. Mais revenons au narcotrafic.
Cela fait des années que nous vivons la montée de ce phénomène sans qu’une action efficace ne soit menée en vue de l’éradiquer. L’affaire SKY-Ecc a porté à la connaissance du grand public l’existence de bandes organisées et des moyens dont ils disposent pour développer leur bizness, en ce compris la corruption de policiers. Et cela fait des années que cela dure.
Les saisies de tonne de cocaïne au port d’Anvers n’ont fait baisser ni l’offre ni les prix des pacsons. Et la violence de proliférer sans que l’on parvienne à la maitriser. Comment oublier les agressions violentes commises par la « mokromafia » aux Pays-Bas, les menaces sur la famille royale, l’assassinat de journaliste et d’avocat, le règlement de comptes dans les rues des communes avoisinantes d’Anvers, le décès par balles de cette fillette de onze ans à Merksem en janvier 2023, les magistrats placés sous haute protection, etc. ? Et aujourd’hui, les tirs à Forest, Saint-Gilles, Anderlecht, etc. Plus de 80 agressions en un an, conséquence sans doute d’une guerre de territoire entre factions concurrentes.

4. La sécurité est un droit démocratique mis en péril depuis tant d’années.
Alors, comment rencontrer cette situation, sachant que les policiers en charge de la protection des citoyens sont en nombre insuffisant, faute de moyens budgétaires, tout en ne disposant pas de l’armement qui permettrait de leur garantir une juste protection en cas d’affrontements avec des malfrats lourdement équipés.
Et, à Bruxelles, ce n’est pas la fusion des polices qui chamboulerait la donne. Que du contraire, en faisant perdre aux forces actuelles leur contact privilégié avec les citoyens de la commune qu’ils connaissent si bien tout en investissant dans des restructurations administratives alors que les patrouilles n’ont pas de gilet pare-balle permettant d’arrêter un projectile tiré par une kalachnikov.
Toute mesure sera bonne pour stopper ces actes criminels : renforcement des patrouilles, meilleur armement, utilisation de drones, enquêtes proactives par des infiltrations du milieu, utilisation des méthodes particulières de recherche, etc.
En poussant en même temps les investigations sur le terrain économique : « follow the money ». Il faut s’attaquer à la corruption et au blanchiment d’argent en créant les institutions destinées à cette mission, comme en France : parquet national financier, agence belge anticorruption. Créer un secrétariat d’État à la lutte contre la criminalité financière. Ceci mérite un plus long développement, bien sûr.

5. Alors, nous sommes loin des engagements de la formation Arizona, qui ne constituent qu’un début que nous espérons prometteur, mais qui apparait aux yeux des professionnels comme largement insuffisants pour éradiquer les organisations criminelles qui déstabilisent depuis tant d’années notre démocratie.
En espérant que le bien public ne sera pas sacrifié sur l’autel des négociations politiques, qui ne sont que des freins aux avancées rendues nécessaires.

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