1. La déclaration gouvernementale de la coalition Arizona dit prendre en compte la surpopulation carcérale.
Celle-ci est une réalité mathématique. À la date du 14 janvier 2025, on compte 12.724 personnes incarcérées, alors que la capacité réelle d’hébergement est de... 11.020 places (sans compter que cette capacité n’est pas clairement définie à ce jour).
Cette « surpopulation » est principalement concentrée dans les établissements pénitentiaires situés dans les grandes villes et accueillant notamment les personnes en détention préventive (en attente de leur procès) ; il s’agit de prisons très anciennes, souvent vétustes et aux conditions d’hygiène déplorables. Parce qu’elle dégrade les conditions de détention et les conditions de travail du personnel, la surpopulation entraîne une situation explosive à l’origine de divers mouvements de grève de la part des agents pénitentiaires.
2. La volonté de l’Arizona est cependant de durcir la réponse pénale en renforçant le recours à la prison plutôt qu’aux alternatives à celle-ci. La coalition entend en effet rendre plus difficile l’accès à certaines peines alternatives (comme la surveillance électronique) ou retarder le moment auquel une libération conditionnelle peut être octroyée aux condamnés purgeant leur peine en prison. Aujourd’hui, un condamné peut, en règle générale, demander une telle mesure après avoir purgé un tiers de sa peine (le délai est plus long pour certains condamnés à des longues peines).
Le gouvernement De Wever veut que ce délai soit porté respectivement à 3/5es et 3/4 de la peine prononcée et même à 4/5es pour les peines les plus lourdes ou pour certains types d’infractions, sans autre précision.
3. Par ailleurs, aujourd’hui, le juge ou le tribunal de l’application des peines (« JAP » ou « TAP ») accorde (ou non) une libération conditionnelle au bout d’un processus qui comprend des permissions de sortie de maximum 16 heures puis des congés pénitentiaires de maximum 36 heures, histoire de « tester » le comportement du candidat à une libération conditionnelle.
L’Arizona envisage de durcir les conditions d’octroi d’une sortie temporaire ou d’un congé pénitentiaire.
4. Comment, dans ce contexte, résoudre le problème de la surpopulation carcérale et, plus globalement, de l’inflation carcérale (le recours toujours plus important à la prison) ?
L’Arizona explique qu’elle ne mettra en œuvre ces mesures plus sévères que lorsqu’elle sera prête à appliquer ce qu’elle appelle son « Masterplan IV », autrement dit, la quatrième version du Masterplan-prisons concocté pour la première fois il y a une bonne décennie. Ce plan vise en substance à augmenter les capacités de détention, soit le nombre de places disponibles en prison.
À plus court terme, le gouvernement a pour objectif de construire des prisons modulaires et de louer des cellules à l’étranger, après conclusion d’accords avec les partenaires européens de la Belgique. L’ambition va même jusqu’à vouloir construire des établissements pénitentiaires à l’étranger. Il s’agirait d’envoyer dans ces infrastructures des individus en séjour illégal et condamnés définitivement pour des crimes et délits commis en Belgique. Avec le souci de les expulser vers leur pays d’origine une fois leur peine exécutée.
L’Arizona compte multiplier les initiatives diplomatiques en ce sens et précise que la condition de base pour conclure des accords avec des États étrangers passe par la garantie d’une détention effectuée dans un « environnement décent et humain ».
5. Par ailleurs, la coalition entend réduire le nombre de détenus préventifs par le biais d’une… accélération des enquêtes pénales.
6. Enfin, le gouvernement dit vouloir, à court terme, s’attaquer au problème du manque de personnel pénitentiaire et assurer les meilleures conditions de travail aux gardiens.
7. L’Arizona compte aussi assurer un statut spécifique aux internés et leur procurer les soins nécessaires.
Le regard d’Olivia Nederlandt, professeure à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles
8. Nous avons soumis les mesures annoncées par la coalition Arizona en matière de politique pénitentiaire à l’analyse d’Olivia Nederlandt, professeure de droit pénal et de procédure pénale à l’UCLouvain Saint-Louis-Bruxelles.
9. Selon elle, le gouvernement « jette de la poudre aux yeux » et agit par « démagogie » pour tenter de « rassurer l’opinion » alors que ce dont notre pays aurait besoin, c’est d’une justice pénale « pensée de manière globale ».
Plus concrètement, Olivia Nederlandt estime que rendre plus difficile l’accès aux permissions de sortie, congés pénitentiaires et à la libération conditionnelle aura pour effet non seulement d’engorger un peu plus les prisons et ne favorisera pas la réinsertion des personnes condamnées alors que la réinsertion est un objectif que le gouvernement dit vouloir poursuivre. « Obtenir une mesure de libération conditionnelle, mesure qui, je le rappelle, a été créée en 1888, est déjà plus compliqué aujourd’hui qu’il y a dix ou quinze ans. Pratiquement aucun condamné ne sort à un tiers de sa peine. La procédure est exigeante, si bien que de nombreuses personnes condamnées renoncent et purgent l’entièreté de leur peine en prison (elles vont à « fond de peine »). Cela sera encore davantage le cas sous cette législature. Or, toutes les études montrent que plus longtemps un détenu reste derrière les barreaux, plus il y a de risque de le voir récidiver et retourner en prison : car « la prison casse les liens familiaux et sociaux, essentiels à la réinsertion », note Olivia Nederlandt. « Cela ne contribuera pas à résoudre le problème de la surpopulation carcérale ni à apaiser les victimes et la société, et cela coutera très cher au budget de l’État ».
10. Comme couteront très cher la location et la construction de cellules à l’étranger. « Souvenez-vous de la location, entre 2010 et 2016, d’une prison de 650 places, à Tilburg, aux Pays-Bas. Cela avait exigé une dépense de 300 millions d’euros ».
Plus fondamentalement, notre interlocutrice dénonce les risques de voir les droits des personnes détenues foulés au pied. On se souviendra qu’à Tilburg, étaient censés être emprisonnés des condamnés néerlandophones volontaires et en fin de peine. In fine, une recherche menée par la VUB a constaté qu’en juin 2016, 75 % des détenus étaient des étrangers sans titre de séjour qui ne parlaient pas la langue du personnel de surveillance.
Pour la professeure Nederlandt, comment assurer le droit des personnes détenues de recevoir des visites, de conserver des relations familiales, de suivre un programme de réinsertion, de recevoir la visite de leurs avocats belges, de comparaitre devant le juge ou tribunal de l’application des peines en Belgique, ou de pouvoir saisir la commission des plaintes ou la commission de surveillance s’ils sont enfermés à des centaines de kilomètres de leur famille et de leur environnement social et des acteurs belges qui garantissent leur accès à la justice ?
11. Sur la faisabilité de renvoyer les personnes détenues étrangères sans titre de séjour vers leur pays d’origine pour y purger leur peine, elle semble difficilement réalisable aux yeux de notre interlocutrice.
« Certes, il existe des bases légales permettant ce renvoi. Mais, selon des chiffres du SFP Justice, entre 2015 et 2024, il n’y a eu que 678 transfèrements, soit en moyenne 67 par an ».
Transférer une personne condamnée et détenue en Belgique vers une prison de l’Union européenne exige le respect de critères stricts. L’envoyer hors Union exige des traités bilatéraux. Olivia Nederlandt relève que la Belgique en a signé plusieurs dizaines, mais que, bien souvent l’État d’origine de la personne condamnée s’oppose à son accueil pour des raisons de sécurité ou parce qu’il est lui-même confronté à un problème de surpopulation carcérale.
12. Olivia Nederlandt plaide pour une refonte en profondeur de la politique pénale qui mette l’accent sur le principe de proportionnalité, la prison comme ultime recours, la réinsertion des personnes condamnées et les besoins des victimes, notamment en investissant davantage dans la justice restauratrice ; le tout, en gardant à l’esprit qu’il convient d’investir en amont dans la justice sociale, pour éviter de devoir mobiliser la justice pénale ensuite.