Le caractère suspensif des appels en procédure pénale : quelle règle générale et quelles exceptions ?

par Laurent Kennes - 8 juillet 2025

Parmi les questions qui se sont posées après le jugement du 31 mars dernier condamnant Marine Le Pen à des peines de prison et d’amende, assortis de la peine accessoire de l’inéligibilité, figure celle de l’exécution immédiate qui a été ordonnée par le Tribunal correctionnel de Paris pour cette inéligibilité : en dépit de l’appel interjeté par Marine Le Pen contre sa condamnation, celle-ci est immédiatement applicable, alors qu’en principe, les recours ont un effet suspensif : autrement dit, sauf si le tribunal ordonne l’exécution immédiate de la peine qu’il prononce, celle-ci n’est pas exécutée tant que l’appel n’est pas jugé. Il est renvoyé à ce sujet à l’article suivant publié sur Justice-en-ligne : Michaël Koskas, « Justice et politique : ce que révèle le procès de Marine Le Pen ».
Mais qu’en est-il en Belgique : y a-t-il aussi, et à quelles conditions, la possibilité de déroger au caractère suspensif des appels dirigés contre les jugements de condamnation pénale ?
C’est ce qu’examine ci-dessous Laurent Kennes, avocat aux barreaux de Bruxelles et de Namur et maitre de Conférences à l’Université libre de Bruxelles.

1. Le jugement rendu en Belgique en matière pénale n’est, en règle, pas exécutoire immédiatement en ce sens que le condamné ne subira sa peine qu’après l’expiration du délai maximum pour introduire la voie de recours qu’est le délai d’appel. Si le condamné interjette appel, il faut attendre la décision rendue par la juridiction de recours, qui sera, quant à elle, exécutoire.
Pour un jugement prononcé par le tribunal correctionnel, le délai d’appel est de trente jours. L’article 203 du Code pénal précise que ce délai de trente jours commence à courir après le jour du prononcé du jugement, sauf s’il est rendu par défaut (à ce sujet, voir l’article suivant publié sur Justice-en-ligne  : « Peut-on faire défaut devant le juge pénal ? », auquel cas le délai prend cours à la date de la signification du jugement à la partie condamnée ou à son domicile. La signification consiste en la remise par un huissier de Justice à la personne concernée, soit entre ses mains, soit en déposant un avis de passage précisant que le jugement peut être relevé à son étude.
Autrement dit, si une personne est condamnée le 1er septembre 2025, en sa présence, à une peine de deux ans d’emprisonnement ferme, c’est-à-dire sans sursis, il ne lui sera demandé d’entrer en prison qu’au plus tôt le 1er octobre 2025.

2. Il n’en va autrement pour les décisions pénales que dans deux hypothèses, et exclusivement pour la condamnation à une peine d’emprisonnement.
La première hypothèse concerne la personne détenue préventivement qui est condamnée à un emprisonnement principal de trois ans ou plus, ou à plus d’un an s’il est condamné pour quelques infractions déterminées par la loi (notamment des faits de mœurs sur mineur). Dans ce cas, il reste détenu, même s’il interjette appel. La condamnation est donc, sous cet angle, exécutée immédiatement.
La seconde hypothèse se rapporte aux personnes qui comparaissent libres et s’entendent condamnés à une peine de trois ans d’emprisonnement ou plus, ou, pour certaines infractions, à une peine d’un an. Le procureur peut alors demander au juge pénal, juste après le prononcé de la sentence, que le condamné soit immédiatement arrêté et incarcéré pour subir sa peine. Il doit, pour obtenir cette mesure particulière du juge pénal, justifier soit d’un risque que le condamné tente de se soustraire à l’exécution de la peine, soit qu’il ne récidive avant même l’exécution de ladite peine. Le juge pénal, s’il fait droit à cette demande, doit motiver spécifiquement sa décision.

3. Dans tous les autres cas de figure, la peine ne devient exécutoire qu’après l’écoulement du délai d’appel. Le condamné n’entrera donc en prison qu’après ce délai ; il ne lui sera réclamé le paiement de l’amende ou de la confiscation qu’après ce délai.
Il en va de même des interdictions prononcées au titre de peine accessoire, dont l’inéligibilité et la privation du droit de vote font partie. Ainsi, si un homme ou une femme politique était condamnée en Belgique en première instance à une interdiction de pouvoir se présenter aux élections durant une durée déterminée, cette interdiction ne pourra être exécutée que quand le délai précité de trente jours est expiré.
Il faut ajouter à ce qui précède qu’endéans ce délai de trente jours, le condamné a le choix, de même que le ministère public. Si l’un ou l’autre interjette appel de la décision dans son aspect pénal, le jugement est alors suspendu. On dit en effet que l’appel a un effet suspensif, c’est-à-dire suspensif du caractère exécutoire du jugement.
L’homme ou la femme politique pourrait donc se présenter aux élections tant qu’il n’a pas été statué sur le recours qu’il a introduit.

Votre message

Qui êtes-vous ?

Pour afficher votre trombine avec votre message, enregistrez-la d’abord sur gravatar.com (gratuit et indolore) et n’oubliez pas d’indiquer votre adresse e-mail ici.

Votre message

Les messages sont limités à 1500 caractères (espaces compris).

Lien hypertexte

(Si votre message se réfère à un article publié sur le Web, ou à une page fournissant plus d’informations, vous pouvez indiquer ci-après le titre de la page et son adresse.)

Ajouter un document

Laurent Kennes


Auteur

Avocat aux barreaux de Bruxelles et de Namur,
Maître de Conférences à l’Université libre de Bruxelles

Partager en ligne

Articles dans le même dossier

Avec le soutien de la Caisse de prévoyance des avocats, des huissiers de justice et des autres indépendants
Pour placer ici votre logo, contactez-nous