Le Conseil constitutionnel français et la « loi immigration » : les cours constitutionnelles doivent-elles être utilisées comme des « lessiveuses de conscience » ?

par Dominique Remy-Granger - 12 mars 2024

Le 25 janvier 2024, le Conseil constitutionnel français a rendu publique sa décision relative à la « loi immigration », dont il déclare plusieurs articles contraires à la Constitution.
Éclairage par Dominique Remy-Granger, juriste et inspectrice générale honoraire de l’Éducation nationale française.

1. La décision n° 2023-863 DC rendue publique le 25 janvier 2024 par le Conseil constitutionnel peut être considérée comme un exemple topique de l’instrumentalisation du juge par le politique.
Le Président de la République Emmanuel Macron, réélu en 2022 pour une seconde fois face à la candidate de l’extrême droite, a dû passer en force la loi pour « contrôler l’immigration et améliorer l’intégration », le vingtième texte sur le sujet en quarante ans.
Ne disposant que d’une majorité relative à l’Assemblée nationale et d’aucune au Sénat, le cheminement parlementaire était décisif. Or en choisissant que le Sénat se prononce d’abord, puis en essuyant, à l’Assemblée, le vote d’une motion préalable de rejet soutenue par une coalition des extrêmes, le gouvernement a été empêché de vider le texte issu du Senat des amendements les plus répressifs et constitutionnellement contestables, tout en plaçant sa majorité sur la défensive et mis en péril sa cohésion.
La coalition entre la droite et l’extrême droite, au Sénat comme à l’Assemblée, a ainsi permis que s’imposent plusieurs de leurs prétentions jusqu’à l’adoption finale. Si bien que, de 27 articles au départ, la loi en comporte 86 à l’arrivée dont, de l’aveu même du Ministre de l’Intérieur, certains sont « parfaitement et clairement contraires à la Constitution ».

2. Le texte est déféré au Conseil constitutionnel par quatre saisines, deux de la gauche, mais aussi deux de la majorité, et pas des moindres, son inspirateur initial, le Président de la République et son concepteur final, la Présidente de l’Assemblée nationale, tous deux comptant ressouder la majorité autour d’un texte expurgé par le juge. Il est rappelé qu’en France, entre le vote d’une loi et sa promulgation, le Président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs peuvent demander au Conseil constitutionnel de se prononcer sur la validité constitutionnelle de la loi ; une déclaration de contrariété à la Constitution fait alors obstacle à la promulgation de la loi en question et donc à son entrée en vigueur (article 61, alinéa 2, de la Constitution).
S’agissant de la « loi immigration », la mobilisation de la société civile contre le texte est très forte. Plusieurs manifestations sur le territoire national en témoignent, ainsi que le dépôt de trente tierces interventions (« portes étroites ») ; il s’agit d’interventions de personnes ou de groupements autres que les autorités habilitées à déposer des recours mais admises par le Conseil à lui faire part de leur point de vue sur la loi.

3. Apres l’examen du Conseil, 32 articles sur 86 sont entièrement censurés pour vice de forme, 3 partiellement au fond et 2 sont soumis à des réserves d’interprétations, c’est-à-dire des déclarations de conformité à la Constitution mais à la condition que la disposition ainsi validée soit interprétée ainsi que le Conseil l’exige.
Disparaissent ainsi pour vice de forme, parce que dénuées de liens directs ou indirects avec le projet initial, les dispositions les plus clivantes, notamment celles qui restreignaient le regroupement familial, les titres de séjours pour motif de santé, l’hébergement d’urgence, l’aide au développement, ou celles concernant le droit de de la nationalité.
Tombent sur le fond, autrement dit sont considérées comme contraires à la Constitution pour des motifs non plus de forme mais de fond, l’obligation pour le Parlement de fixer des quotas migratoires et la possibilité de prélever sur les étrangers les empreintes digitales ou de prendre une photo sans leur consentement.

4. Si le gouvernement a obtenu juridiquement ce qu’il avait perdu politiquement – puisque 26 des 27 articles initiaux du projet de loi ont été validés – et si le droit a fait perdre à l’extrême droite la victoire idéologique qu’elle revendiquait à la fin de la procédure parlementaire- puisque ses ajouts ont en grande partie été censurés, ces résultats ne sont que temporaires et restent menacés.
Temporaires puisque les articles écartés pour vice de procédure peuvent toujours revenir à l’ordre du jour et être votés dans un cadre pertinent.
Menacés parce que soumis non seulement à l’hypothèque, toujours possible, d’une modification constitutionnelle mais surtout au risque, plus réel et immédiat, d’une progression substantielle de l’extrême droite aux élections européennes.
Car, si en décembre dernier une étape décisive a été franchie, il demeure que les cinq actes législatifs du Pacte européen encadrant la mise en œuvre par les États membres de toutes les étapes de la gestion de l’asile et de la migration n’ont pas encore été définitivement adoptés. Ils pourraient, s’ils le sont après les élections, refléter une tonalité autorisant les lois nationales à plus de répression.

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Dominique Remy-Granger


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Juriste, Inspectrice générale honoraire de l’Education nationale française

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