Nous apprenions, le mois dernier, dans les colonnes du journal Le Soir, que Stéphane Moreau, ancien CEO de la société liégeoise Nethys, négociait une transaction pénale avec le parquet de Liège. À elle seule, l’information suffit à remettre en lumière ce mécanisme au rôle singulier : une réaction sociale alternative face à l’acte délinquant, permettant de faire l’économie d’un procès pénal ou de mettre fin à une procédure en cours.
Mais qu’en est-il réellement de cette procédure souvent mécomprise, dont la logique demeure, par essence, dérogatoire au principe cardinal de l’indisponibilité de l’action publique ?
Alyson Berrendorf, docteur en sciences juridiques, maitre de Conférences et assistant à l’Université de Liège et avocat au barreau de Liège-Huy, répond à cette question.

1. Réduite, dans l’imaginaire collectif, à un « chèque » venant se substituer au rituel judiciaire, la transaction pénale reste nimbée de malentendus : soupçons d’atteinte au principe d’égalité, inquiétudes quant au respect de la séparation des pouvoirs, sentiment d’une justice qui se négocierait discrètement dans les antichambres du parquet.

2. Le dispositif repose pourtant sur un cadre légal balisé : le paiement d’une somme dont le montant, fixé par le ministère public, ne peut excéder l’amende prévue pour l’infraction poursuivie. Mais cette architecture suffit-elle à dissiper l’idée d’un instrument réservé aux délinquances les plus sophistiquées ? D’une procédure dans laquelle les victimes, bien que consultées, ne disposent d’aucun droit de véto ?

3. L’opinion publique, particulièrement critique sur ce mécanisme, y voit volontiers un glissement progressif du centre de gravité de l’action publique au bénéfice du parquet, à mesure que le mécanisme est mobilisé dans les dossiers économiques et financiers. Il est vrai que ces affaires, lourdes d’expertises techniques, de circuits transnationaux et d’années d’investigations, se heurtent presque mécaniquement à l’exigence du délai raisonnable dans lequel un procès doit se terminer et, parfois, à la menace bien réelle de la prescription.

4. Dans ce contexte, la transaction pénale se présente comme une réponse pragmatique et efficace : un traitement accéléré, permettant d’éviter un procès dont les débats contradictoires visent normalement à établir la culpabilité et à déterminer la peine. Reste à apprécier si cette efficacité constitue un progrès assumé, une concession nécessaire ou, au contraire, une tension supplémentaire dans l’équilibre déjà délicat du droit pénal contemporain.

5. Visée à l’article 216bis du Code d’instruction criminelle, la transaction pénale, proposée par le ministère public, permet de renoncer aux poursuites, ou d’y mettre fin, par un règlement extrajudiciaire, moyennant le payement par le suspect, l’inculpé ou le prévenu, d’une somme d’argent versée au SPF Finances. Ce mécanisme s’applique tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales.
La distinction fondamentale avec le procès pénal réside dans le fait que l’acceptation de la transaction n’emporte aucune reconnaissance de culpabilité. Elle ne débouche pas davantage sur une condamnation et ne peut, à ce titre, être qualifiée de peine. Il s’agit d’un mode d’extinction de l’action publique, et non d’une sanction au sens strict. L’intéressé ne pourra plus être poursuivi pour les mêmes faits, même sous une autre qualification pénale.
La transaction pénale présente ainsi une dualité singulière. Elle n’implique aucune reconnaissance de responsabilité pénale, mais, dans le même temps, le payement de la somme transigée implique une reconnaissance, via une présomption irréfragable, d’une faute civile dans le chef de son bénéficiaire : telle est toute son ambivalence. Ainsi, si ce paiement ne vaut pas aveu, il produit bien ses effets sur le terrain civil. Dès lors, une victime qui n’aurait pas été intégralement indemnisée conserve la possibilité d’agir devant les juridictions civiles contre l’auteur des faits visés par la transaction, afin d’obtenir la réparation complète de son dommage.

6. Relevant en principe de la seule initiative du ministère public, la proposition de transaction demeure facultative et unilatérale. Rien n’empêche toutefois le suspect, l’inculpé ou le prévenu de manifester au procureur du Roi son souhait d’en bénéficier, sans que celui-ci soit tenu d’y donner suite.
Le ministère public peut y recourir dès lors que les faits ne paraissent pas devoir justifier une peine d’emprisonnement correctionnel principal supérieure à deux ans ; il s’agit ici de la peine concrètement encourue, non de la peine abstraite prévue par le Code pénal, ou une peine d’une gravité supérieure, confiscation comprise. En théorie, le champ matériel ainsi défini couvre donc toute infraction susceptible d’être correctionnalisée, y compris celles passibles d’une peine maximale de vingt ans de réclusion.

7. Le législateur a néanmoins maintenu plusieurs garde-fous : la transaction est exclue pour les infractions portant une atteinte grave à l’intégrité physique, ainsi que pour les infractions relevant des douanes et accises, lesquelles obéissent à un régime particulier.

8. Il serait dès lors réducteur d’y voir un mécanisme réservé à une justice de classe ou à une « justice de riches ». La transaction pénale est accessible, en droit, à l’ensemble des justiciables et couvre un large éventail d’infractions modestes : délits de roulage, infractions commises durant la période Covid, ou encore manquements commis par les scrutateurs.
Si la perception publique s’est cristallisée autour de quelques dossiers financiers emblématiques, c’est moins en raison d’une inégalité structurelle que de la forte médiatisation des affaires impliquant des acteurs économiques ou politiques de premier plan. Les transactions portant sur des infractions ordinaires, pourtant nettement plus fréquentes, demeurent, quant à elles, largement invisibles dans le débat public.

9. Il importe de rappeler que la transaction pénale peut être proposée à chaque stade de la procédure, tant qu’un jugement définitif n’est pas intervenu sur la question. Elle n’est dès lors plus possible en appel ni au stade d’un pourvoi en cassation. Subsistent toutefois quelques exceptions : une transaction reste envisageable devant les juridictions d’appel en cas d’évocation ou de privilège de juridiction. Sans entrer dans les développements techniques propres à chacune de ces hypothèses, l’évocation permet à la juridiction d’appel de connaitre de questions qui n’ont pas été soumises à la juridiction du premier degré et, le cas échéant, de statuer sur le fond de la cause. La juridiction d’appel, saisie d’un incident par l’appel d’une partie, peut ainsi « appeler à elle » l’ensemble du litige et en connaitre comme l’aurait fait la juridiction de premier ressort si elle n’avait pas été dessaisie. Le privilège de juridiction, quant à lui, vise principalement les magistrats et quelques autres titulaires de fonctions publiques qui, pour les délits et les crimes correctionnalisés qu’ils auraient commis, que ce soit hors ou dans l’exercice de leurs fonctions, sont jugés en première et dernière instance par la cour d’appel.

10. Il convient enfin de distinguer la transaction simple de la transaction pénale élargie.
La première est celle qui intervient avant que l’action publique n’ait été formellement mise en mouvement, c’est-à-dire durant la phase de l’information judiciaire menée par le ministère public.
La seconde, en revanche, est proposée après cette mise en mouvement, soit que l’affaire est à l’instruction, soit qu’elle est examinée au fond en première instance.
Les transactions conclues avant toute mise en mouvement de l’action publique ne soulèvent, en principe, aucune difficulté particulière dès lors qu’aucune autorité judiciaire n’est encore saisie. Il n’est requis aucun passage devant une juridiction et elle n’entrainera aucune inscription au casier judiciaire. L’extinction est réalisée par le magistrat de parquet, qui prend une décision de classement sur ce motif. À la différence d’autres motifs de classement provisoires, celui-ci est définitif et les faits ne pourront plus fonder de poursuites ultérieures à l’encontre de celui qui a effectué les paiements, abandons et remises requis, sous réserve d’une nuance particulière applicable en matière de roulage.
Alors que la transaction pénale simple ne fait l’objet d’aucun contrôle juridictionnel, il en va autrement de la transaction pénale élargie. Si l’affaire est pendante devant une juridiction d’instruction ou de fond, celle-ci devra être officiellement avertie de la possibilité d’une transaction. La juridiction devra alors vérifier les conditions légales de la transaction, avant d’homologuer la transaction et l’extinction de l’action publique.
Enfin, les transactions pénales conclues durant les procédures au fond ne sont compatibles avec le droit au procès équitable et avec l’indépendance du juge qu’à des conditions strictes. Il faut que l’inculpé agisse volontairement et en pleine connaissance du contenu et des conséquences de l’accord conclu avec le parquet et que le juge compétent soit en mesure d’exercer un contrôle « suffisant », c’est-à-dire un examen motivé de la légalité et de la proportionnalité de la transaction. Ce contrôle est considéré comme effectif dès lors qu’il est motivé.

11. Au terme de cet examen, la transaction pénale apparait avant tout comme un mécanisme d’ajustement pragmatique, dont la légitimité repose sur les garanties qui encadrent sa mise en œuvre. Elle n’est ni un privilège réservé à quelques-uns ni une voie dérogatoire incontrôlée : elle ne trouve sa place que dans le respect strict des conditions qui en assurent la transparence. Entre efficacité procédurale et exigences du procès équitable, son avenir tient ainsi à la qualité de ce délicat équilibre.

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