La « loi pandémie » validée par la Cour constitutionnelle

par Anne-Stéphanie Renson - 29 mars 2023

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La « loi pandémie » du 14 août 2021 a tenté, au cœur de la crise sanitaire du Covid 19, de concilier des impératifs de sauvegarde de l’intérêt général – en premier lieu ceux liés à la santé publique – et la nécessité de réduire autant que faire se peut les restrictions aux libertés que les mesures envisagées impliquaient.
Des citoyens et des associations ont tenté d’en obtenir l’annulation par la Cour constitutionnelle, qui a toutefois rejeté ces recours.
Anne-Stéphanie Renson, auditrice au Conseil d’État, maître de conférences invitée à l’Université catholique de Louvain et chargée de cours à la Haute École Cardijn, nous expose les leçons principales de cet arrêt.

1. La crise sanitaire inédite liée au Covid 19 a entrainé l’adoption par les pouvoirs publics de mesures tout aussi inédites, impliquant d’importantes restrictions à plusieurs de nos droits fondamentaux.
Afin de s’assurer que ces ingérences soient encadrées par une assemblée délibérante démocratiquement élue, la Belgique a voulu, lors de la deuxième vague, se doter d’un instrument juridique plus solide et plus respectueux de l’État de droit que les moyens juridiques disponibles au début de la pandémie. La loi du 14 août 2021 ‘relative aux mesures de police administrative lors d’une situation d’urgence épidémique’ (dite « loi pandémie ») a été adoptée à cette fin.

2. Il faut d’emblée souligner le parcours législatif atypique qu’a connu l’adoption de cette « loi pandémie ».
De nombreuses auditions d’experts ont été organisées au sein de la commission Intérieur de la Chambre des représentants, avant même le dépôt formel du projet.
En parallèle, de nombreux avis ont également été sollicités sur l’avant-projet de loi. Parmi ceux-ci, l’on peut notamment pointer l’avis [68.936/AG rendu par l’assemblée la section de législation du Conseil d’État le 7 avril 2021>http://www.raadvstconsetat.be/dbx/avis/68936.pdf#search=68936].
Eclairés par ces différentes consultations, les débats parlementaires ont débuté fin avril 2021 mais ont toutefois été ralentis par le dépôt de plusieurs salves d’amendements par les partis de l’opposition. Ces amendements ont été systématiquement envoyés pour avis au Conseil d’État (qui aura donc été consulté à quatre reprises au total sur ce texte).
La « loi pandémie » a finalement été votée le 15 juillet 2021, sanctionnée et promulguée par le Roi le 14 août 2021 et publiée au Moniteur belge du20 août suivant.

3. La « loi pandémie » prévoit ainsi un cadre général pour les mesures de police administrative spéciale pouvant être prises dans le cadre d’une situation d’urgence épidémique. Une loi de police administrative spéciale limite une ou plusieurs liberté afin de sauvegarder un intérêt public supérieur, alors qu’une mesure de police générale, tout en limitant également l’une ou l’autre liberté, tend plutôt à faire respecter l’ordre public et plus spécialement la propreté, la salubrité, la sécurité et la tranquillité publiques (article 135, § 2, de la nouvelle loi communale).
La « loi pandémie » a fait l’objet d’un recours en suspension et de plusieurs recours en annulation devant la Cour constitutionnelle.
Par son arrêt n° 80/2022 du 9 juin 2022, la Cour avait rejeté la demande de suspension, au motif que celle-ci était manifestement irrecevable.
Dans son volumineux arrêt n° 33/2023 du 2 mars 2023, la Cour constitutionnelle a rejeté les recours en annulation contre la « loi pandémie ».
Cet arrêt suscite une attention particulière en ce qu’il aborde des questions variées relevant de différentes branches du droit public (à savoir, le volet institutionnel, les libertés fondamentales et le droit administratif).

4. La Cour a tout d’abord jugé que la « loi pandémie » respecte les règles répartitrices de compétences.
L’autorité fédérale est en effet compétente pour permettre l’adoption de telles mesures de police administrative spéciale, conformément à l’article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, 1°, quatrième tiret, de la loi spéciale ‘de réformes institutionnelles’ du 8 août 1980, qui réserve « l’organisation de et la politique relative à la police, en ce compris l’article 135, § 2, de la nouvelle loi communale et aux services d’incendie » à l’autorité fédérale. Il appartiendra ensuite au Conseil d’État et aux cours et tribunaux ordinaires d’examiner si les mesures de police administrative effectivement prises respectent elles-mêmes les règles répartitrices de compétences.

5. Aux yeux de la Cour, la « loi pandémie » ne viole pas l’article 187 de la Constitution, selon lequel la Constitution ne peut être suspendue en tout ou en partie. La Cour constate que la « loi pandémie » ne peut pas conduire à une suspension de la Constitution, mais tout au plus à une restriction des droits fondamentaux garantis par la Constitution et que du reste, une simple restriction d’un droit fondamental n’est pas, en soi, contraire à l’article 187 de la Constitution, d’autant que les contrôles juridictionnels prévus par la Constitution restent intacts.

6. Selon la « loi pandémie », pour pouvoir procéder à l’adoption des mesures de police administrative spéciale qu’elle envisage (comme par exemple la limitation des rassemblements culturels, sportifs et autres, la fermeture de certains commerces, etc.), le Roi doit au préalable avoir déclaré ou maintenu la situation d’urgence épidémique pour une période de trois mois maximum. À défaut de confirmation de l’arrêté royal proclamant ou maintenant la situation d’urgence épidémique dans les quinze jours de son adoption, celui-ci cesse de sortir ses effets.
S’agissant du droit d’accès au juge, la Cour relève que l’arrêté royal déclarant ou maintenant la situation d’urgence épidémique peut être attaqué devant un juge indépendant et impartial. En effet, avant sa confirmation, l’arrêté royal peut faire l’objet d’un recours devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État ou être contesté devant le juge judiciaire ordinaire. La loi de confirmation relève quant à elle de la compétence de la Cour constitutionnelle.
La Cour n’est toutefois pas compétente pour contrôler si l’arrêté royal confirmé respecte les conditions édictées par la loi pandémie puisque conformément à l’article 142, alinéa 2, de la Constitution, la Cour n’est pas compétente pour procéder à une appréciation d’un règlement au regard d’une norme législative. La Cour constate toutefois que cette lacune sur le plan de la protection juridique constitue un choix du Constituant lui-même, qu’il ne lui appartient pas de contrôler.

7. La Cour constitutionnelle estime que la « loi pandémie » n’a pas en elle-même pour conséquence de limiter directement les droits fondamentaux. La « loi pandémie » se borne à habiliter le Roi, le ministre de l’Intérieur, les gouverneurs ou les bourgmestres à prendre les mesures de police administrative qui sont adaptées aux besoins d’une situation d’urgence épidémique déclarée à ce moment en vue de protéger la santé publique.
La Cour considère les mesures de police administrative pouvant être prises comme des limitations in abstracto aux droits fondamentaux, de sorte que celle-ci limite son contrôle à un examen in abstracto.

8. La Cour constitutionnelle procède ainsi au contrôle du respect des principes de légalité (formelle et matérielle), de légitimité et de proportionnalité qui conditionnent la validité des restrictions aux droits fondamentaux.
S’agissant du principe de légalité formelle, c’est-à-dire du principe constitutionnel selon des limitations aux libertés doivent pour l’essentiel figurer dans une loi votée par le Parlement, la Cour estime que les mesures de police administrative pouvant être prises sont décrites de manière suffisamment précise par le législateur, de même que les circonstances dans lesquelles celles-ci peuvent être adoptées.
La Cour considère de la même manière que le principe de légalité matérielle est lui aussi respecté ; il s’agit du principe selon laquelle la règle doit être énoncée de manière suffisamment claire, précise et prévisible, ce qui vaut pour toute règle de droit, quelle qu’en soit la source.
S’agissant du principe de proportionnalité, la Cour relève que la « loi pandémie » prévoit expressément que les mesures doivent être nécessaires, adéquates et proportionnées à l’objectif poursuivi, à savoir, la protection de la santé publique. Ces mesures sont limitées dans le temps et des garanties procédurales ont également été prévues pour permettre au pouvoir exécutif d’effectuer une mise en balance raisonnable des tous les intérêts en cause.
L’habilitation conférée par la « loi pandémie » au Roi, au ministre de l’Intérieur, aux gouverneurs et aux bourgmestres, conçue in abstracto, permet l’adoption de mesures de police administrative qui seraient nécessaires pour atteindre cet objectif et proportionnées, puisque le législateur a souhaité ménager un équilibre raisonnable entre, d’une part, la protection des droits et libertés fondamentaux individuels et, d’autre part, l’intérêt sociétal visé par la limitation.
Ce sont les auteurs des arrêtés imposant les mesures de police administrative qui devront apprécier in concreto la proportionnalité des dispositions qu’ils prendront. Il appartiendra au juge compétent de contrôler, le cas échéant, si et dans quelle mesure l’autorité habilitée a excédé les conditions de l’habilitation qui lui a été conférée.

9. S’agissant de la question de l’admissibilité de la délégation d’un pouvoir réglementaire par le législateur au ministre de l’Intérieur, la Cour constitutionnelle a rappelé qu’une habilitation accordée directement par la loi au ministre de l’Intérieur peut être justifiée à titre exceptionnel « s’il existe des raisons objectives requérant une intervention urgente du pouvoir exécutif, en ce que tout retard peut aggraver la situation de risque ou d’urgence existante ».
La Cour estime que ces circonstances exceptionnelles sont remplies en l’espèce puisque le ministre de l’Intérieur n’est habilité à prendre les mesures de police administrative qu’en cas de péril imminent et uniquement celles qui ne peuvent souffrir d’aucun retard.
L’arrêté ministériel ne peut être pris qu’après délibération en Conseil des ministres.
Un raisonnement similaire est appliqué par la Cour s’agissant de l’habilitation conférée par le législateur aux gouverneurs et aux bourgmestres.

10. La Cour rejette enfin le grief pris de la violation du principe de légalité en matière pénale, estimant que, compte tenu du contexte de la pandémie, de l’évolution constante des circonstances, des incertitudes à ce sujet et de la technicité des mesures à prendre, la « loi pandémie » mentionne les infractions qui sont passibles de sanctions sur la base d’une habilitation spécifique et suffisamment précise du législateur.

11. Par cet arrêt, la Cour constitutionnelle valide ainsi la « loi pandémie », et s’inscrit, ce faisant dans le prolongement de l’avis 68.936/AG de la section de législation, qui avait déjà eu l’occasion de tracer les balises juridiques quant aux différentes questions de droit public soulevées par ce texte.
Cette validation devrait permettre de disposer, à l’avenir, d’un cadre juridique plus sûr, afin d’éviter de rajouter une crise juridique à la crise sanitaire.

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