1. L’on se rappelle que le Tribunal de première instance avait été saisi en référé, c’est-à-dire en urgence pour aménager provisoirement la situation dénoncée. Que lui demandait la Ligue des droits humains ? Elle lui demandait de constater l’illégalité des mesures prises par la Ministre pour combattre la pandémie et, dès lors, de mettre fin à l’application de ces mesures en attendant l’adoption d’une loi permettant la restriction des droits fondamentaux des citoyens provoquée par ces mesures.
Le 31 mars 2021, le Tribunal donne gain de cause à la Ligue. Il constate que les mesures restrictives en vigueur ont été prises sur la base d’un trio de lois qui, à son estime, n’en permettait pas l’adoption et donne à l’État belge maximum trente jours pour prendre toutes les mesures appropriées en vue de mettre un terme à l’illégalité constatée, sous menace d’astreinte. Cette décision de première instance a été précédemment commentée sur Justice-en-ligne.
Mécontent, l’État saisit la Cour d’appel de Bruxelles, toujours en urgence et au provisoire, pour faire anéantir la décision ainsi rendue et s’entendre dire que les mesures prises par la Ministre de l’Intérieur pour lutter contre la pandémie de COVID-19 sont régulières.
2. Contrairement au Tribunal de première instance, la Cour d’appel estime que les lois du 15 mai 2007 ‘sur la sécurité civile’, du 31 décembre 1963 ‘sur la protection civile’ et du 5 août 1992 ‘sur la fonction de police’ peuvent, à première vue, servir de fondement aux mesures litigieuses.
Selon la Cour, le législateur lui-même semble avoir admis que les mesures prises pouvaient se fonder sur ces législations, sans qu’il soit tenu de prendre une loi spécifique à cet effet. Par ailleurs, tant la section de législation que la section du contentieux administratif du Conseil d’État n’auraient contredit cette analyse, en sorte que les mesures en cause ne seraient pas « manifestement dépourvues de fondement légal ».
3. Toujours à première vue, la Cour d’appel précise que la Ministre de l’Intérieur a pu prendre les mesures litigieuses, même si des doutes peuvent être émis quant à la constitutionnalité d’une partie des délégations législatives qui lui ont été consenties.
À cet égard, la Cour d’appel constate que la Cour constitutionnelle a été saisie de questions préjudicielles en ce sens. Mais, dans l’attente des réponses que cette juridiction réservera aux questions posées, elle juge qu’elle n’est pas habilitée à refuser d’appliquer les lois contenant ces délégations potentiellement excessives.
4. À première vue encore, la Cour d’appel est d’avis qu’il n’est pas exclu que l’une des lois sur lesquelles reposent les mesures en cause serait irrégulière en tant qu’elle est interprétée comme autorisant la Ministre de l’Intérieur à instituer, par voie d’arrêté, des infractions pénales complémentaires à celles contenues dans la loi elle-même.
Ici encore, la Cour d’appel rappelle toutefois qu’elle n’est pas investie du pouvoir de contrôler la régularité des lois. Seule la Cour constitutionnelle, actuellement saisie de questions préjudicielles à ce propos également, est habilitée à se pencher sur ce point.
5. Enfin, la Cour d’appel estime que les arrêtés de la Ministre de l’Intérieur auraient dû, après celui adopté le 12 janvier 2021, être soumis à l’avis de la section de législation du Conseil d’État, ce qu’ils n’ont été qu’à partir de celui adopté le 23 avril suivant. Pour autant, n’importe quelle mesure ne saurait être enjointe, par un juge, à l’État.
À ce sujet, la Cour d’appel souligne utilement qu’une décision de justice, « en particulier une mesure de référé », prise contre un pouvoir public ne saurait avoir une portée telle qu’elle affecte directement les droits ou obligations des citoyens non parties au litige.
La Cour précise aussi que, lorsqu’un juge constate l’illégalité d’un acte administratif, ce qu’il a le pouvoir et le devoir de faire en vertu de la Constitution, la constatation qu’il établit rend l’acte en cause inapplicable entre les seules parties au litige, mais l’acte demeure applicable à toutes celles et ceux qui n’y sont pas partie. La défense d’un intérêt collectif, dont les associations peuvent, dans la mesure établie par la loi, se prévaloir pour agir en justice, n’autorise en rien le juge à se départir de ces principes.
Il en est d’autant plus ainsi qu’une association peut, au nom de cet intérêt, solliciter l’annulation, voire la suspension de l’exécution d’actes administratifs de portée réglementaire devant la section du contentieux administratif du Conseil d’État, dont le prononcé vaut, lui, par nature, à l’égard de tous. C’est, du reste, ce qui fut tenté, néanmoins sans succès à ce stade.
6. Au regard de ces diverses considérations, la Cour d’appel estime qu’il n’est pas de son pouvoir, même dans la mesure où les arrêtés de la Ministre sont ou seraient irréguliers, d’en écarter l’application vis-à-vis de toute la population, étant donné que celle-ci n’est pas partie au litige dans son intégralité.
Pour la même raison, la Cour estime qu’elle n’est pas davantage autorisée à pouvoir condamner l’État à (1) devoir prendre toutes les mesures appropriées pour mettre un terme à une situation prétendument illégale, (2) se voir interdire de prendre tout acte généralement quelconque visant à appliquer les mesures litigieuses et (3) devoir retirer les actes déjà pris en vertu de ces mesures, dans l’attente du vote de celle qu’on appelle déjà la loi ‘pandémie’.
7. On l’aura compris : l’arrêt ainsi rendu, qui, au terme d’une argumentation nuancée, vise à rappeler le rôle et la place de chacun dans un débat complexe comme celui en cause, ne tire pas définitivement un trait sur la question de savoir si les mesures visant à combattre la pandémie de COVID-19 sont, ou non, régulières.
En urgence et au provisoire, la Cour d’appel de Bruxelles offre cependant une respiration à l’État dans cette lutte parallèle visant à défendre la légalité des mesures prises en vue de protéger la population d’un virus particulièrement dévastateur pour la vie et la santé de l’être humain.