Après un premier article, consacré à l’audition d’un suspect, d’un témoin, d’une victime ou de toute autre personne concernée par une procédure pénale, Justice-en-ligne poursuit, avec le concours de Réginald de Béco, avocat honoraire au barreau de Bruxelles, président d’honneur de la Ligue des droits humains et ancien président de sa Commission Prisons, sa série d’articles sur le déroulement concret des premières étapes d’une procédure pénale.

C’est à présent de l’inculpation qu’il s’agira, étape importante d’une éventuelle instruction.

D’autres article suivront sur la procédure pénale.

1. La loi « Franchimont » du 12 mars 1998, du nom du bâtonnier Michel Franchimont, avocat pénaliste, professeur à l’Université de Liège et président de la commission pour le droit de la procédure pénale, a introduit dans le Code d’instruction criminelle un article 61bis, ainsi rédigé :

« Le juge d’instruction procède à l’inculpation de toute personne contre laquelle existent des indices sérieux de culpabilité. Cette inculpation est faite lors d’un interrogatoire ou par notification à l’intéressé. Bénéficie des mêmes droits que l’inculpé toute personne à l’égard de laquelle l’action publique est engagée dans le cadre de l’instruction » [les mots « action publique » et « action pénale » sont synonymes : il s’agit d’une procédure tendant à constater qu’une infraction pénale (un vol, un meurtre, etc.) a été commise et à permettre à la juridiction compétente d’en punir l’auteur].

2. Seul le juge d’instruction peut inculper un suspect, dans le cadre d’une instruction ouverte suite à un réquisitoire de mise à l’instruction du procureur du Roi (c’est-à-dire un document par lequel le procureur du Roi sollicite du juge d’instruction qu’il commence une instruction), que ce soit à son initiative ou après une constitution de partie civile d’une présumée victime.

Si, dans le cadre de son instruction, le juge d’instruction constate qu’il existe des « indices sérieux de culpabilité » à l’égard d’un suspect ou de la personne contre laquelle la plainte avec constitution de partie civile est dirigée, il doit procéder à son inculpation.

3. Des indices de culpabilité ne sont ni des preuves, ni des charges ni même des présomptions. Ce sont des éléments probants qui doivent être vérifiés et qui, éventuellement réunis à d’autres, s’ils ne sont pas infirmés, sont susceptibles de devenir une preuve.
Cette inculpation peut être faite de deux manières :
 Soit elle est signifiée au suspect lors d’un interrogatoire d’inculpé par le juge d’instruction après son audition réalisée avec l’assistance de son avocat. C’est obligatoirement le cas avant la délivrance d’un mandat d’arrêt, sous peine de nullité de celui-ci. Sur les conditions dans lesquelles doit se dérouler une audition, il est renvoyé à l’article précédent de ce dossier consacré à la procédure pénale, « L’audition par la police, le parquet ou le juge d’instruction » .
 Soit elle est notifiée au suspect par simple courrier adressé par le juge d’instruction. Dans ce cas, le suspect n’est pas entendu, il ne peut s’expliquer ni présenter sa défense, et cette notification est faite sans la moindre motivation autre que la mention du chef d’inculpation retenu (vol, escroquerie, coups et blessures, etc.) et du simple constat de l’existence d’indices sérieux de culpabilité non précisés.
Dans un cas comme dans l’autre, l’inculpation est décidée par le juge d’instruction sans le moindre débat contradictoire et sans possibilité de recours.

4. Une fois inculpée, la personne à l’égard de laquelle cette décision a été prise le restera jusqu’à la fin de l’instruction, c’est-à-dire jusqu’à l’ordonnance de la chambre du conseil du tribunal ou à l’arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel (c’est, dans le jargon, ce que l’on appelle le « règlement de la procédure »), qui décidera si le dossier doit être clôturé sans poursuites (« non-lieu ») pour absence de charges ou charges insuffisantes, si l’inculpé doit être renvoyé devant le tribunal compétent (« renvoi ») ou, parce qu’elle n’est pas complète, si l’instruction doit se poursuivre. Notons que, pour les crimes les plus graves (meurtre, assassinat, etc.) la chambre du conseil prendra une « ordonnance de prise de corps », avec ou sans exécution immédiate, si elle « estime que le fait relève de la compétence de la cour d’assises et que la prévention contre l’inculpé est suffisamment établie ». Le dossier sera alors transmis au procureur général, qui saisira la chambre des mises en accusation de la cour d’appel d’un « réquisitoire de renvoi devant la cour d’assises ».
Cela peut prendre de très nombreuses années, alors même que cette personne aurait été entretemps innocentée et mise hors cause par l’enquête.

5. L’inculpation est une décision lourde de conséquences, malgré que la personne qui en fait l’objet est encore et toujours présumée innocente.

D’une part, elle est considérée par le grand public et de nombreux médias comme une décision de culpabilité, qui restera comme une tache indélébile sur sa réputation.

D’autre part, elle aura immédiatement pour conséquence la démission de l’inculpé dans plusieurs professions et mandats publics. Sans vouloir les citer ici, de nombreuses personnalités politiques ou autres se sont vues inculpées et mises au ban de la société avant de pouvoir faire reconnaître leur innocence par une décision de non-lieu ou un acquittement définitif, qui ne sont intervenus qu’après de très nombreuses années. Le mal est fait et sera d’autant plus grand que leur inculpation aura fait l’objet de nombreux articles dans les médias tandis qu’un « non-lieu » à poursuivre ou leur acquittement fera juste l’objet d’un entrefilet.

6. Il paraît évident que la décision d’inculper devrait être faite à l’issue d’un débat contradictoire par une décision motivée et susceptible d’un recours.
Il est tout aussi évident que tout inculpé ne devrait pas devoir attendre la fin de l’instruction pour pouvoir demander et obtenir sa désinculpation.

7. Dans l’état actuel de notre procédure pénale, l’inculpation a toutefois pour avantage de permettre à la personne inculpée de solliciter, par requête au juge d’instruction, de pouvoir prendre connaissance et copie du dossier (article 61ter du Code d’instruction criminelle) et de demander l’accomplissement d’un acte d’instruction complémentaire (article 61quinquies du même Code). Enfin, l’inculpé peut également saisir, par requête motivée, la chambre des mises en accusation de la cour d’appel, dans le cadre de sa mission de contrôle de l’instruction, si l’instruction n’a pas été clôturée après une année (articles 136 et 136bis du Code d’instruction criminelle).

Les mêmes droits sont reconnus à toute personne à l’égard de laquelle l’action publique est engagée dans le cadre de l’instruction (article 61bis du Code d’instruction criminelle). Il s’agit, par exemple, de la personne éventuellement désignée nommément dans le réquisitoire de mise à l’instruction du parquet ou de la personne contre laquelle une plainte a été déposée avec constitution de partie civile dans les mains du juge d’instruction, même si celui-ci n’a pas estimé qu’il existe à son encontre des indices sérieux de culpabilité et ne l’a donc pas inculpée.

Cependant, même dans ce cas, le juge d’instruction devrait inculper formellement la personne, sous peine de ne pas lui permettre d’exercer les droits dont elle dispose.

En effet, il peut très bien arriver que la personne éventuellement désignée nommément dans le réquisitoire de mise à l’instruction du parquet et la personne contre laquelle une plainte a été déposée avec constitution de partie civile ne prennent pas conscience qu’une instruction est poursuivie à leur charge et ne prennent pas les dispositions nécessaires à l’organisation de leur défense.

8. Il est malheureux de constater que, sauf reconnaissance d’une violation des droits de la défense, le Code d’instruction criminelle ne prévoit aucune sanction en cas d’inculpation tardive ou d’absence d’inculpation, sauf la nullité du mandat d’arrêt qui n’aurait pas été précédé d’un interrogatoire d’inculpé et d’une inculpation.

9. Enfin, il existe une anomalie difficilement explicable et source de confusions.
Ainsi, lorsque le juge d’instruction a pris son « ordonnance de soit communiqué » (c’est-à-dire un document par lequel le juge d’instruction transmet son dossier au procureur du Roi lorsqu’il estime son instruction terminée, pour lui permettre de prendre éventuellement des réquisitions de demandes de devoirs complémentaires ou de rédiger son réquisitoire en vue du règlement de la procédure). Selon le cas, le procureur du Roi dépose alors son réquisitoire de non-lieu, d’internement ou de renvoi devant le tribunal correctionnel, qui sera soumis, au règlement de la procédure à la chambre du conseil du tribunal. Ce réquisitoire du procureur du Roi reprend les identités des personnes qu’il vise en mentionnant pour chacune la qualité d’inculpé.

Et cela, alors même que l’une ou l’autre n’aurait jamais été inculpée par le juge
d’instruction.

Il serait peut-être plus judicieux de dire qu’elles sont « mises en prévention ».

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Réginald de Béco


Auteur

Avocat honoraire au barreau de Bruxelles
_Président d’honneur de la Ligue des droits humains et ancien président de sa Commission Prisons

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