Introduction
1. La Cour constitutionnelle a prononcé le 30 janvier 2025 un arrêt n° 11/2025 invalidant l’article 30, alinéa 4, de la loi du 21 décembre 2009 ‘relative au régime d’accise des boissons non alcoolisées et du café’, qui impose au juge de prononcer la confiscation des produits utilisés pour commettre une fraude.
2. Traditionnellement, il est enseigné que le droit des douanes impose des sanctions qui ne permettent à priori pas le moindre pouvoir de modération du juge.
Le Tribunal de première instance de Bruxelles s’était ému de cette situation et, dans une affaire où des sociétés étaient poursuivies pour des infractions relatives à la loi précitée du 21 décembre 2009, il avait décidé de ne pas les condamner à une peine de confiscation des biens soustraits au droit d’accise en estimant que cette peine était déraisonnable et inhumaine au vu de la situation financière d’une desdites sociétés.
3. Devant la Cour d’appel de Bruxelles, la discussion relative au refus du tribunal de prononcer la confiscation fut au centre des débats.
Cette juridiction décida alors, constatant que la Cour constitutionnelle ne s’était pas encore exprimée à ce sujet, de lui poser une question préjudicielle pour savoir si l’article 30 de cette loi violait ou non la Constitution. L’objet exact de cette question peut être synthétisé comme suit : le juge pénal peut-il renoncer à une confiscation en matière d’accises ou la modérer, soit en raison de circonstances atténuantes, soit lorsqu’elle porterait une atteinte financière excessive, conduisant à une violation du droit de propriété garanti par l’article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme (dans ce texte, il est question de « droit au respect des biens » plutôt que de « droit de propriété ») ?
La disposition litigieuse
4. Tout d’abord, rappelons la portée de la peine de confiscation prévue par l’article 30 de la loi du 21 décembre 2009, qui dispose comme suit :
« Toute infraction aux dispositions de la présente loi ayant pour conséquence de rendre l’accise exigible est punie d’une amende comprise entre cinq et dix fois l’accise en jeu avec un minimum de 625 euros.
De plus, les contrevenants encourent une peine d’emprisonnement de quatre mois à un an lorsque des produits d’accise livrés ou destinés à être livrés dans le pays sont mis à la consommation sans déclaration ou lorsque le transport s’effectue sous le couvert de documents faux ou falsifiés ou lorsque l’infraction est perpétrée par des bandes de trois individus au moins.
En cas de récidive, l’amende et la peine d’emprisonnement sont doublées.
Indépendamment des peines énoncées ci-dessus, les produits d’accise sur [lesquels] l’accise est exigible, les moyens de transport utilisés pour commettre l’infraction et les objets employés ou destinés à être employés pour perpétrer la fraude sont saisis et confisqués.
La restitution des produits d’accise confisqués est accordée à la personne qui était propriétaire des produits d’accise au moment de la saisie et qui démontre qu’elle est étrangère à l’infraction ».
Le raisonnement de la Cour constitutionnelle
5. Pour arriver à la conclusion que la disposition viole la Constitution, la Cour constitutionnelle commence par rappeler les raisons d’être et le bienfondé du régime de sanction prévu par la loi :
« B.7.1. La disposition en cause relève du droit pénal en matière de douanes et accises, lequel relève du droit pénal spécial et par lequel le législateur, sur la base d’un système spécifique de recherche et de poursuite pénales, entend combattre l’ampleur et la fréquence des fraudes dans une matière particulièrement technique relative à des activités souvent transfrontalières et régie en grande partie par une abondante règlementation européenne. La répression des infractions en matière de douanes et accises est souvent rendue difficile par le nombre de personnes qui interviennent dans le commerce et par la mobilité des biens sur lesquels les droits sont dus. Dans ce cadre, le législateur a assorti d’amendes très lourdes les infractions en matière de douanes et accises pour empêcher que des fraudes soient commises en vue des gains énormes qu’elles peuvent générer. Pour justifier la lourdeur de l’amende, il a toujours été soutenu que celle-ci non seulement constituerait une peine individuelle assortie d’un caractère fortement dissuasif pour l’auteur, mais viserait également à rétablir l’ordre économique perturbé et à assurer la perception des impôts dus ».
La Cour conclut provisoirement que la confiscation spéciale prononcée en application de l’article 30, n’est pas en soit incompatible avec le droit au respect aux biens :
« B.9. Compte tenu de ce qui est dit en B.7.1 et en B.8, la confiscation spéciale, prononcée en application de l’article 30, alinéa 4, de la loi du 21 décembre 2009, des produits d’accise qui, en raison d’une infraction au régime d’accise applicable, font l’objet d’une infraction n’est pas incompatible en soi avec le droit au respect des biens ».
6. Elle tempère toutefois immédiatement ce point de vue en expliquant ce qui suit :
« B.10. Dans certains cas, cependant, la confiscation à imposer par le juge peut porter à la situation financière de la personne à laquelle elle est infligée une atteinte telle que cette personne serait soumise à une peine déraisonnablement lourde, entrainant une violation du droit de propriété. Le droit de propriété est violé lorsqu’il existe un déséquilibre manifeste entre, d’une part, l’ampleur et les conséquences de la confiscation sur la situation financière de la personne à laquelle elle est infligée, et, d’autre part, le manquement commis et les objectifs poursuivis par la confiscation, compte tenu également du caractère particulier et dissuasif et du caractère réparateur collectif, mentionnés en B.7.1, du droit pénal en matière de douanes et accises.
B.11. Eu égard à ce qui précède, l’article 30, alinéa 4, de la loi du 21 décembre 2009 n’est pas compatible avec les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, lus en combinaison avec l’article 1er, du Premier Protocole additionnel et avec l’article 17, paragraphe 1, de la Charte [des droits fondamentaux de l’Union européenne], mais uniquement en ce qu’il oblige le juge à prononcer la confiscation des produits d’accise faisant l’objet de l’infraction, lorsque cette peine porte à la situation financière de la personne à laquelle elle est infligée une atteinte telle que cette personne serait soumise à une peine déraisonnablement lourde ».
La Cour constitutionnelle consacre un nouveau pouvoir de modération du juge correctionnel en matière de confiscation
7. La circonstance déterminante qui sous-tend la décision d’annulation de la Cour constitutionnelle est liée au constat que la peine de confiscation des produits d’accise faisant l’objet de l’infraction porte une atteinte telle à la situation financière du condamné qu’elle constitue une peine déraisonnablement lourde.
Cette approche semble s’inscrire dans une tendance plus large du droit pénal belge qui reconnait au juge pénal un pouvoir de modération lorsqu’il doit prononcer une peine de confiscation.
8. Depuis la loi du 11 février 2014 portant sur des mesures diverses ‘visant à améliorer le recouvrement des peines patrimoniales et des frais de justice en matière pénale’, la confiscation est exclue du champ d’application du sursis.
On trouve plusieurs exemples de cette faculté de réduire le montant de la confiscation, notamment aux articles 43bis et 505 du Code pénal, sous certaines conditions.
L’article 43bis, alinéa 7, du Code pénal prévoit ainsi que « [le] juge diminue au besoin le montant des avantages patrimoniaux visés à l’article 42, 3°, ou de l’évaluation monétaire visée à l’alinéa 2 afin de ne pas soumettre le condamné à une peine déraisonnablement lourde ».
Tout d’abord, les biens concernés par la confiscation doivent avoir un lien direct avec la commission de l’infraction en vertu de l’article 42, 1°, du Code pénal. Il s’agit notamment des objets ayant servi ou étant destinés à préparer ou à commettre l’infraction. De plus, la personne condamnée doit être propriétaire des biens faisant l’objet de la confiscation.
Bien que la confiscation ait été autrefois obligatoire, la Cour constitutionnelle, par son arrêt n° 12/2017 du 9 février 2017, a jugé qu’une confiscation systématique était contraire à la Constitution. Dès lors, l’article 43 du Code pénal accorde désormais un pouvoir de modération aux juges, leur permettant de ne pas ordonner la confiscation même lorsque les conditions de l’article 42, 1°, du Code pénal sont remplies. Ils peuvent motiver cette décision en expliquant que la confiscation constituerait une peine déraisonnablement lourde.
De même, l’article 505, alinéa 6, du Code pénal dispose comme suit :
« Les choses visées à l’alinéa 1er, 3° et 4°, constituent objet des infractions couvertes par ces dispositions, au sens de l’article 42, 1°, et seront confisquées, dans le chef de chacun des auteurs, coauteurs ou complices de ces infractions, même si la propriété n’en appartient pas au condamné, sans que cette peine puisse cependant porter préjudice aux droits des tiers sur les biens susceptibles de faire l’objet de la confiscation. Si ces choses ne peuvent être trouvées dans le patrimoine du condamné, le juge procèdera à leur évaluation monétaire et la confiscation portera sur une somme d’argent qui lui sera équivalente. Dans ce cas, le juge pourra toutefois réduire cette somme en vue de ne pas soumettre le condamné à une peine déraisonnablement lourde ».
Cet article prévoit la confiscation des biens ayant servi au blanchiment d’argent. L’objet du blanchiment doit être confisqué, même s’il n’appartient pas au condamné, sous réserve du respect des droits des tiers sur les biens concernés . Cette peine est prononcée en nature si les biens confisqués sont toujours dans le patrimoine du condamné au moment du jugement ; à défaut elle sera prononcée par équivalent. Chaque coupable est individuellement condamné à la peine de confiscation, mais elle n’est exécutée qu’à l’encontre de celui qui possède réellement les avantages concernés.
Bien que cette sanction soit en principe obligatoire, le juge dispose d’un pouvoir de modération si l’avantage patrimonial est tiré de l’opération de blanchiment. Il peut ainsi renoncer à la confiscation si celle-ci constitue une peine déraisonnablement lourde.
Davantage d’explications sur ce qui vient d’être exposé peuvent être lues dans l’ouvrage suivant : J. SPREUTELS, Fr. ROGGEN, E. FRANCE et J.-P. COLLIN, Droit pénal des affaires, Bruxelles, Larcier-Intersentia, pp. 334, 804, 808 et 809. Appréciation de la portée de l’arrêt de la Cour constitutionnelle.
9. Dans son arrêt n° 11/2025ici présenté, la Cour constitutionnelle conclut que l’article 30 de la loi enfreint la Constitution et les règles européennes.
Elle considère toutefois que, si l’obligation de confiscation n’est pas inconstitutionnelle en soi, elle le devient lorsqu’elle entraine une peine déraisonnablement lourde pour la personne condamnée.
Elle relève une similarité entre la confiscation prévue par cet article et celles prévues par les articles 43 et 505 du Code pénal dans la mesure où elles concernent des biens liés à l’infraction et sont obligatoires. D’après la Cour, cette similarité permet d’appliquer sa jurisprudence concernant les confiscations prévues aux articles 43 et 505 du Code pénal à la confiscation en matière d’accises.
10. L’arrêt commenté nous semble constituer une avancée réelle parce qu’il accepte d’appliquer les mêmes mécanismes au contentieux des douanes, qui est une matière exorbitante au droit pénal général sur bien des points.
La particularité du contentieux des douanes est réaffirmée par la Cour constitutionnelle, qui rappelle la nécessité de sanctions dissuasives à l’égard des fraudeurs tout en affirmant que le droit pénal appliqué aux douanes et aux accises relève du droit pénal spécial (point B.7.1 de l’arrêt).
Le pouvoir d’appréciation que la Cour reconnait au législateur en matière de politique pénale trouve toutefois ses limites dans le droit au respect des biens qui est violé si « elle fait peser sur la personne à laquelle elle s’applique une charge excessive ou porte fondamentalement atteinte à sa situation financière, au regard du manquement commis ».
Le régime de confiscation prévu par l’article 30 de la loi de 2009 pouvant porter atteinte de manière déraisonnablement lourde à la situation financière du condamné, entraine en définitive une violation du droit de propriété. Toute restriction à ce droit doit être prévue par la loi, poursuivre un objectif légitime et être proportionnée. Ainsi, la confiscation est contraire à la Constitution si elle impose une charge disproportionnée, notamment en compromettant la situation financière de la personne condamnée.