Le procès d’assises dans l’affaire Habran est un procès exceptionnel, tant par la gravité des accusations portées contre les accusés que par le type de criminalité mise en lumière, s’agissant de hold-up des plus violents.
Le Parquet fédéral est l’autorité publique qui fut chargée du suivi de ce dossier, sur le plan de l’accusation, tant les impératifs de coordination fédérale et internationale étaient présents.
Les moyens matériels, humains et financiers nécessités par la bonne conduite de ce dossier ont été, de mémoire budgétaire belge, tout à fait exceptionnels ; la durée du procès le fut tout autant.
Mais ce qui retient l’attention du public fut assurément la cassation du premier procès mené devant la Cour d’assises de la province de Liège : la Cour de cassation a imposé la tenue d’un nouveau procès, à Nivelles, en raison du défaut de motivation du verdict du jury.
Ce qui appelle aujourd’hui le présent commentaire est le verdict de culpabilité prononcé par le jury nivellois à l’encontre d’un accusé et l’annulation de ce verdict par la Cour, c’est-à-dire par les trois magistrats professionnels, qui ont ainsi renvoyé le sort de cet accusé à une autre session de la cour d’assises.
Il est d’évidence que les réformes successives touchant la cour d’assises ont systématiquement eu pour objet, depuis le XIXe siècle, de rendre de moins en moins fréquente la tenue de ces procès d’assises : la procédure y est lourde, lente, onéreuse et, selon certains, aléatoire.
La dernière réforme légale, intervenue fin 2009, permet ainsi de faire échapper à la cour d’assises l’accusé poursuivi par exemple pour tentative d’assassinat ; retenons que restent dévolus à la connaissance de la cour d’assises les crimes ayant entraîné la mort intentionnelle de la victime.
La loi a toujours cru bon de mettre le jury (douze jurés tirés au sort dans la population) « sous tutelle » des trois magistrats professionnels qui composent la cour d’assises au sens strict : d’une part, ces magistrats professionnels délibèrent avec le jury pour la détermination de la peine qui doit venir frapper l’accusé reconnu coupable et, d’autre part, alors que le jury délibère seul sur les questions de culpabilité (tel accusé est-il coupable de tel fait qui lui est reproché ?), la cour d’assises au sens strict s’invite à la procédure dans deux cas : non seulement lorsque le jury a déclaré un accusé coupable d’un fait principal à la faveur de 7 oui et 5 non, la décision finale sur la culpabilité revient aux trois magistrats professionnels, mais encore, lorsque les trois magistrats professionnels sont convaincus que le jury a, à tort, déclaré un accusé coupable, ces juges professionnels peuvent annuler ce verdict de culpabilité et ainsi imposer la tenue d’un nouveau procès pour cet accusé.
Cette dernière disposition a été maintenue dans la loi qui, fin 2009, a réformé la procédure devant la cour d’assises, notamment en imposant la motivation du verdict de culpabilité qui se fait avec l’aide (et non la décision) des magistrats professionnels : le jury décide seul de la culpabilité mais ce sont les juges professionnels qui viennent tenir la plume pour rédiger la motivation qui ressort des débats tenus à huis clos entre jurés.
A ce titre, les juges professionnels se font expliquer par les jurés, une fois le verdict acquis, les motifs qui ont conduit à la culpabilité : cet exercice imposé de motivation peut devenir la démonstration que des motifs erronés, absurdes, irrecevables ou contradictoires ont, en fait, présidé à la formation de la conviction des jurés.
La loi est ainsi faite que les juges professionnels ont le pouvoir d’annuler uniquement un verdict de culpabilité, non un verdict d’acquittement.
Cette règle est peu soucieuse des intérêts de la société et de ceux de la partie civile mais elle est bien réelle.
Il n’est donc pas possible pour les magistrats professionnels d’annuler un verdict d’acquittement qui leur apparaîtrait totalement erroné ou farfelu : cette disposition nous paraît invraisemblable.
La participation des juges professionnels à la rédaction de la motivation du verdict est évidemment de nature à engendrer des annulations plus fréquentes de verdicts de culpabilité : du reste, depuis cette nouvelle règle de motivation, ce sont déjà deux verdicts de cour d’assises qui furent ainsi annulés en quelques mois, alors que la pratique judiciaire connaissait uniquement quatre cas sur près de 150 ans.
C’est ici le lieu pour nous de dire mais notre avis n’est pas communément partagé combien l’art de juger ne peut pas se satisfaire du bon sens et de la bonne volonté : rendre une décision de justice impose un raisonnement rigoureux que seules des personnes formées à cet effet peuvent effectuer ; cet impératif est d’autant plus présent que les décisions de la cour d’assises ne sont pas soumises à une procédure d’appel.
La décision des juges professionnels composant la cour d’assises de Nivelles dans l’affaire Habran a certainement été d’autant plus difficile à prendre qu’elle implique la tenue, pour cet accusé, d’un nouveau procès dont il a déjà été dit suffisamment qu’il était lourd et onéreux, et qu’elle paraît avoir été prise pour cause de contradiction avec les motifs qui ont amené le jury à acquitter un accusé (excusez du peu, condamné à Liège à la peine maximale) dont le verdict d’acquittement ne peut pas, quant à lui, être annulé.
Même si le propos est subjectif et guère porteur, il nous est d’avis que cette procédure d’assises relative à l’affaire Habran constitue un puissant argument militant pour la suppression pure et simple de l’institution de la cour d’assises au profit d’un véritable tribunal criminel.