Focus sur les immunités dont bénéficient les membres du Parlement européen

par Philippe Frumer - 12 janvier 2023

Les médias ont abondamment fait état des perquisitions et arrestations effectuées depuis le 9 décembre dernier sous la houlette du juge d’instruction Michel Claise, dans ce qui a été initialement qualifié de « Qatargate ».
Des parlementaires européens sont en cause dans cette affaire, qui bénéficient d’une immunité pénale. Celle-ci connaît toutefois des limites.
Philippe Frumer, chargé de cours à l’Université libre de Bruxelles, expose ci-dessous la portée et les limités de cette immunité.

1. Les mesures prises par le juge d’instruction visaient notamment plusieurs parlementaires ou anciens parlementaires européens, soupçonnés de corruption, de blanchiment d’argent et d’appartenance à une organisation criminelle.
D’après les informations parues dans la presse, les protagonistes sont suspectés d’avoir reçu d’importantes sommes d’argent de la part d’États tiers soucieux de voir leurs intérêts pris en compte dans le processus décisionnel au sein des institutions européennes. Si le Qatar a surtout été évoqué dans un premier temps, il semble que le Maroc, voire d’autres États tiers, soient également concernés.
La présente contribution se limitera à examiner les faits au regard des immunités dont bénéficient les parlementaires européens, afin d’en préciser la portée.

2. Une première remarque : comme le prévoit le règlement intérieur du Parlement européen (article 5, § 2), l’immunité est une garantie d’indépendance du Parlement dans son ensemble et de ses députés. Elle ne constitue pas un privilège personnel du député.
Selon une division que l’on retrouve dans la plupart des États membres de l’Union européenne, il y a lieu de distinguer deux catégories d’immunités.

3. Portant sur la première catégorie, l’article 8 du protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne consacre l’irresponsabilité parlementaire.
Celle-ci concerne les opinions et les votes que les parlementaires européens émettent dans l’exercice de leurs fonctions. L’objectif est de consacrer la liberté de tribune au sein de l’hémicycle européen et de protéger l’intégrité du discours politique.
Cette immunité est absolue. Cela signifie que, même après la fin de leurs fonctions, les parlementaires européens ne peuvent être poursuivis à raison de ces opinions et votes, pour autant qu’ils aient été émis dans l’exercice de leurs fonctions. En outre, le Parlement européen ne peut lever cette immunité.

4. D’après la relation que les médias en ont faite, les faits de la cause relèvent plutôt de l’inviolabilité parlementaire.
Cette seconde catégorie d’immunités vise à préserver l’indépendance des parlementaires européens en empêchant qu’ils ne subissent des pressions, sous la forme de menaces d’arrestation ou de poursuites judiciaires, que ce soit pour des faits commis avant leur entrée en fonction ou pendant l’exercice de leurs fonctions.
À cette fin, l’article 9 du protocole précité distingue deux situations. Dans leur État d’origine, les parlementaires européens bénéficient des mêmes immunités que celles reconnues aux membres du parlement de leur État. L’étendue de ces immunités varie dès lors selon l’État d’origine des parlementaires. En revanche, sur le territoire de tout autre État membre de l’Union européenne que leur État d’origine, l’immunité est uniforme : ils bénéficient de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire.

5. L’inviolabilité parlementaire est relative, en ce sens qu’à l’expiration de ses fonctions, le parlementaire européen en perd le bénéfice et peut dès lors être poursuivi ou arrêté.
Par ailleurs, pendant le temps de ses fonctions, le Parlement européen peut lever l’immunité d’un de ses membres, principalement à la demande des autorités nationales désignées comme compétentes à cet effet par chaque État membre.
Saisie d’une telle demande de levée, la commission des affaires juridiques du Parlement européen s’assure que les poursuites judiciaires ne sont pas engagées dans l’intention de nuire à l’activité politique du député concerné et, partant, du Parlement européen.
Enfin, l’immunité ne peut être invoquée dans l’hypothèse du flagrant délit, à savoir le délit qui vient d’être commis ou qui est en train de se commettre.

6. Les règles relatives à l’inviolabilité parlementaire permettent de mieux comprendre le déroulement des faits.

7. Dans un premier temps, M. Georgi, assistant parlementaire, a été appréhendé à la sortie du domicile qu’il partage avec Mme Kaili, alors vice-présidente du Parlement européen. M. Georgi, en tant qu’assistant, ne bénéficie d’aucune immunité, pas plus que les autres assistants et fonctionnaires européens entendus dans le cadre de l’enquête.

8. À la suite de cette interpellation, le père de Mme Kaili a été surpris à la sortie d’un hôtel en possession d’une valise contenant d’importantes sommes d’argent. Cet élément a permis aux enquêteurs de considérer que les conditions du flagrant délit étaient réunies. Il leur était dès lors possible de procéder à l’arrestation de Mme Kaili, celle-ci ne bénéficiant plus de l’immunité d’arrestation et de poursuite en dehors de son pays d’origine, la Grèce, précisément en raison du flagrant délit. On notera au passage qu’assez logiquement, les membres de la famille d’un parlementaire européen ne bénéficient pas des immunités dont celui-ci jouit dans l’exercice de ses fonctions.

9. S’agissant de Mme Kaili, le Parlement européen a voté à la quasi-unanimité la cessation pour faute grave de sa fonction de vice-présidente du Parlement européen, comme le prévoit l’article 21 de son règlement intérieur.
En revanche, Mme Kaili conserve son mandat de parlementaire européenne. Elle n’en serait privée avant l’expiration de son terme que si elle démissionnait ou si la Grèce, son pays d’origine dans lequel elle a été élue, prononçait la déchéance de son mandat.

10. Dans le cadre de l’enquête, une perquisition a visé le domicile d’un autre député européen en exercice, le Belge Marc Tarabella. Celui-ci, conformément à l’article 9 du protocole précité sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, bénéficie en Belgique des immunités reconnues aux parlementaires belges.
L’article 59 de la Constitution belge consacre le principe de l’inviolabilité parlementaire pour les parlementaires fédéraux, mais en distinguant différentes catégories d’actes.
S’agissant des mesures contraignantes nécessitant l’intervention d’un juge, celles-ci peuvent avoir lieu si elles sont ordonnées par le premier président de la cour d’appel, à la demande du juge concerné, exception faite de l’hypothèse du flagrant délit, dont les conditions n’étaient pas réunies dans le cas de M. Tarabella. De plus, toute perquisition ou saisie ne peut avoir lieu qu’en présence du président de l’assemblée concernée. Pour cette raison, les enquêteurs ont dépêché la présidente du Parlement européen au domicile de M. Tarabella afin qu’elle soit présente lors de la perquisition, celle-ci ayant dû par ailleurs avoir lieu avant 21 heures, conformément à la législation belge.

11. Le cas de M. Panzeri, arrêté dans le cadre de l’enquête, est différent. Il s’agit d’un ancien parlementaire européen.
Depuis la fin de son mandat, il ne bénéficie plus de l’inviolabilité parlementaire. En effet, l’immunité de poursuite et d’arrestation ne se justifie plus à l’issue du mandat, dès lors que disparaît le risque de pression pouvant entraver le travail de l’assemblée dont faisait partie l’intéressé.

12. On notera que, le 15 décembre dernier, le parquet européen a introduit auprès du Parlement européen une demande de levée de l’immunité de deux députées européennes grecques, dont Mme Kaili. Cette demande concerne toutefois des faits distincts de ceux évoqués ci-dessus, lesquels relèvent d’une opération anticorruption coordonnée par le parquet fédéral belge.
L’enquête du parquet européen concerne une suspicion de fraude au budget de l’Union européenne quant à l’utilisation des indemnités parlementaires pour rémunérer des assistants parlementaires.
Il faut rappeler que le parquet européen, opérationnel depuis juin 2021, est compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement les auteurs et complices d’infractions pénales portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union, telles que la corruption, le blanchiment ou la fraude transfrontière à la TVA.
Une utilisation frauduleuse des indemnités parlementaires pourrait assurément porter atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Cet élément permet d’expliquer l’intervention du parquet européen dans ce dossier distinct.

13. Enfin, dernier élément procédural à relever : le parquet fédéral belge a demandé à la présidente du Parlement européen la levée de l’immunité de deux parlementaires européens en exercice, à savoir M. Tarabella et M. Cozzolino.
Ce dernier, dont M. Giorgi est l’assistant parlementaire, avait déclaré vouloir renoncer à son immunité pour pouvoir s’expliquer devant les autorités judiciaires, alors que son nom a été cité dans la presse.
M. Tarabella s’est, quant à lui, déclaré favorable à la levée de son immunité afin de pouvoir s’expliquer devant la justice.
Si la commission des affaires juridiques du Parlement européen propose la levée de l’immunité des intéressés, il appartiendra au Parlement européen, réuni en séance plénière, de se prononcer le cas échéant en ce sens, probablement après avoir entendu les deux eurodéputés, lesquels bénéficient de la présomption d’innocence.

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