1. La prescription, c’est l’oubli d’une infraction, programmé par la loi.
Une ancienne tradition juridique en Europe, mais que le monde anglo-saxon ne cultive pas, veut qu’en raison de l’écoulement d’un certain temps, la société n’a plus intérêt à poursuivre l’auteur suspecté de l’infraction. C’est que, pense-t-on, le temps aura érodé les preuves, compromis les droits de la défense et émoussé les souvenirs, et que le scandale qui a pu être causé par la révélation des faits se sera probablement éteint dans l’intervalle.
2. Il faut admettre qu’entre les mains du législateur, la prescription pénale, si elle maniée avec sagesse, représente un instrument souple de dosage entre mémoire et oubli, sanction et pardon, dès lors qu’il lui est loisible d’en allonger ou d’en réduire le délai, de retarder son point de départ, ou encore de ménager un domaine pour l’ignorer complètement, ce qu’on appelle l’imprescriptibilité.
3. Longtemps, ces délais sont demeurés assez stables : six mois pour les contraventions, trois ans pour les délits et dix ans pour les crimes passibles de la cour d’assises.
La loi prolonge toutefois ces délais d’une durée égale chaque fois que, avant leur écoulement, un acte d’enquête ou judiciaire intervient, comme une audition par la police ou une citation à comparaître devant le tribunal. Concrètement, cela veut dire que ces délais peuvent être multipliés par deux.
4. Depuis la fin du siècle dernier, la croissance du volume des affaires et les difficultés pour l’appareil judiciaire de les juger a conduit le législateur à utiliser ces délais comme un outil de régulation pour les réviser à la hausse. La liste est aujourd’hui devenue trop longue et trop compliquée pour en donner le détail.
Résumons pour donner un ordre de grandeur : cinq ans pour les délits et quinze ans (voire vingt) pour les crimes passibles de la cour d’assises. Compte tenu de leur prolongation par les actes d’interruption intervenus pendant ces premiers délais, il arrive assez souvent que la durée totale des délais de prescription approche respectivement dix ans et trente ans (voire quarante).
5. Malheureusement, l’expérience atteste que, dans un certain nombre d’affaires de nature correctionnelle, ces délais sont dépassés et que les personnes suspectes ne peuvent dès lors plus faire l’objet d’un jugement sur leur éventuelle culpabilité.
Cela crée un sentiment d’injustice en présence d’escrocs qui spéculent sur les retards de la justice en multipliant les embûches procédurales.
Mais cela laisse aussi un goût amer pour les justiciables qui s’estiment accusés à tort et qui ne pourront plus plaider l’acquittement.
Enfin, cela nourrit le doute sur la volonté des parquets ou des juges de traiter les dossiers avec la diligence requise, en particulier en matière économique et financière.
Mais il faut reconnaître que plus les affaires sont difficiles, plus elles durent, et que les moyens ne sont pas toujours adaptés à la complexité des enquêtes, tandis que les règles de procédure actuellement en vigueur ne sont pas faites pour accélérer les choses.
6. La loi prévoit encore des aménagements pour certains types d’infractions. En voici les principaux.
Dans les cas des crimes les plus graves, à propos desquels on n’admet plus que le temps efface le souvenir, la loi impose le régime de l’imprescriptibilité. Depuis l’époque du procès de Nuremberg, où des juristes ont forgé le concept de crime contre l’humanité, les limites de l’oubli ont été reculées à l’infini. La loi belge a suivi le mouvement pour permettre, contre la course irrévocable du temps, que justice se fasse à propos des forfaits qui portent le plus directement atteinte à l’humanité de l’homme, au sens à la fois de ce qu’il y a de plus humain en lui et d’humanité entendue comme collectivité du genre humain.
7. Par ailleurs, dans certaines circonstances, le législateur s’attache à retarder le point de départ de la prescription. Tel est le cas où, sous la pression d’un mouvement d’opinion justifiant légitimement la protection des plus faibles, la loi fait démarrer la prescription pour des faits d’abus sexuel commis à l’égard d’enfants à partir du jour où la victime a atteint l’âge de la majorité.
Il est immoral en effet que la prescription classique soit acquise depuis longtemps lorsqu’enfin la victime trouve les ressources morales et la force nécessaire pour déposer plainte contre un abuseur sous la dépendance duquel elle a peut-être vécu pendant de nombreuses années.
Le législateur belge, qui avait choisi cette voie, vient d’aller plus loin. En effet, depuis le 30 décembre 2019, la liste des infractions imprescriptibles, qui ne comportait que les crimes de génocide, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité, a été considérablement élargie puisqu’elle inclut désormais les crimes et délits, ayant un caractère sexuel, commis à l’encontre de mineurs, comme le voyeurisme, l’attentat à la pudeur ou le viol.
Il est permis de se demander si une telle extension de la prescription, justifiée par des motifs ressortissant plus à l’émotion qu’à la raison, ne constitue pas un remède inapproprié à des situations déjà très pénibles. Comment réunir les preuves de tels faits trente ou quarante ans après qu’ils sont suspectés d’avoir eu lieu ? Et comment expliquer que le meurtre d’un enfant reste prescrit, lui, après vingt ans ?
8. Une éclaircie semble s’annoncer avec le travail d’une commission de réforme de la procédure pénale qui envisage, notamment, de simplifier le régime de la prescription. Dans le cadre d’un avant-projet de Code de procédure pénale, elle propose que le délai de prescription coure à compter de la commission de l’infraction jusqu’au moment où la juridiction de jugement est appelée à se saisir de la cause.
C’est un pas important en avant car, une fois les poursuites engagées, la prescription ne jouera plus, supprimant d’un seul coup les nombreux problèmes suscités lors du traitement au fond et qui retardent en général la conclusion de l’affaire jusqu’à entraîner la prescription.
Cela ne signifie pas que la procédure pourra se prolonger indéfiniment mais, à partir de ce moment, on appliquera le principe du délai raisonnable pour être jugé, qui s’apprécie en fonction de la complexité de l’affaire et du comportement des autorités publiques et du prévenu. Et c’est seulement à la condition que le juge considère que ce délai est dépassé, qu’il pourra, sans y être obligé, décider de mettre fin aux poursuites sans statuer sur le fond.
Reste à voir le sort que cette proposition recevra au Parlement, où elle a été déposée en 2020.
Votre point de vue
justice-en-ligne Le 28 septembre 2020 à 19:07
SUITE DU MESSAGE PRECEDENT :
Si des actes d’enquête ou judiciaires ont lieu pendant ce délai, la prescription est chaque fois prolongée de cinq ans. Supposons que de tels actes ont été posés jusqu’au 15 décembre 2015, date d’une audition par la police. La prescription s’en trouve donc reportée au 14 décembre 2020. Le juge ne statue que le 1er octobre 2020 : il pourra juger l’affaire au fond près de dix ans après les faits puisqu’il constatera que la prescription n’est pas encore acquise.
Dans l’affaire Fortis, de nombreux actes d’enquête interruptifs de la prescription sont intervenus dans le premier délai de cinq ans, reportant l’échéance d’environ cinq ans supplémentaires, mais cela n’a pas suffi pour pouvoir juger cette cause dans le temps légalement autorisé"
Amandine Le 29 septembre 2020 à 20:35
Un grand merci pour votre réponse.
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justice-en-ligne Le 28 septembre 2020 à 19:06
Voici les explications que Benoît Dejemeppe, l’auteur de l’article, vous communiquent en réponse au message d’Amandine :
"L’interruption de la prescription de l’action publique est un mécanisme qui ne peut être utilisé que pendant le délai originaire (primaire) de la prescription. Cette interruption se produit lorsque l’autorité compétente (police, parquet, juge d’instruction, juge du fond) pose un acte qui dénote qu’elle n’oublie pas cette action, mais qu’elle veut au contraire la mener à bien. Dans ce cas, le délai de prescription est renouvelé, en ce sens que le délai ne court plus à partir de la date de l’infraction, mais à compter du dernier acte interruptif intervenu dans le délai primaire.
Par exemple, un délit d’escroquerie commis le 10 janvier 2011. La prescription étant de cinq ans, le délit sera normalement prescrit le 9 janvier 2016.
SUITE AU MESSAGE SUIVANT
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Amandine Le 28 septembre 2020 à 16:31
Merci beaucoup pour cet article.
J’avoue cependant ne pas avoir compris le point 3 :
"La loi prolonge toutefois ces délais d’une durée égale chaque fois que, avant leur écoulement, un acte d’enquête ou judiciaire intervient, comme une audition par la police ou une citation à comparaître devant le tribunal. Concrètement, cela veut dire que ces délais peuvent être multipliés par deux."
Voulez-vous dire que, même si un acte d’enquête ou judiciaire intervient, avant l’écoulement du délai de prescription, la durée totale de celui-ci, lorsqu’il est de ce fait prolongé, ne peut néanmoins excéder le double du délai prévu par la loi ?
Autrement dit, est-ce que, dans l’affaire Fortis, la prescription a été acquise par défaut d’acte suspensif ou interruptif, ou est-ce parce qu’on en était arrivé à la fin des possibilités de prolongement du délai initial ouvertes par la loi.
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Skoby Le 25 septembre 2020 à 17:39
Je suis assez d’accord avec Monsieur Pierre Vincke.
Tout dépend de la gravité des infractions. Il me paraît évident que la Justice devrait
recevoir les moyens d’agir plus vite. La prescription est en quelque sorte une
condamnation de l’idée qu’on se fait de la Justice.
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pierre vincke Le 25 septembre 2020 à 15:38
La proposition mérite d’être appuyée par des associations.Comment procéder ?
Elle parait de nature à rassurer les parties et à donner confiance en la justice qui avec l’ancien système créait un temps "incertain".
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