1. Appelées à trancher des contentieux opposant les futures victimes du changement climatique à des États ne parvenant pas à respecter leurs engagements internationaux et leurs obligations découlant du droit européen, certaines juridictions suprêmes paraissent fort inspirées du déluge du livre de la Genèse. S’agissant du risque « réel et immédiat » devant être paré, en vertu des articles 1er et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, par l’adoption de mesures préventives, le Hoge Raad des Pays-Bas avait mis en exergue, dans son arrêt du 20 décembre 2019 dans l’affaire Urgenda, la vulnérabilité de certaines « communautés » résidant aux Pays-Bas par rapport à la montée de la mer (§ 3.12). Il est renvoyé à cet égard à l’article publié au sujet de cet arrêt sur Justice-en-ligne le 13 février 2020 (Nicolas de Sadeleer, « Pour le Hoge Raad des Pays-Bas, une politique trop frileuse de réduction des émissions de gaz à effet de serre viole la Convention européenne des droits de l’homme » ).
2. Dans l’arrêt rendu par le Conseil d’État de France le 19 novembre 2020, l’intérêt à agir de la commune de Grande-Synthe pour obtenir l’annulation de décisions implicites de l’État français est reconnue en raison « de sa proximité immédiate avec le changement climatique et inondations littoral » et le risque accru d’inondations, quand bien même les « effets du changement climatique sont susceptibles d’affecter les intérêts d’un nombre important de communes ». En effet, le territoire de la commune requérante est exposé à la montée des eaux, sans que les édifices de protection contre la mer ne soient en mesure de lui garantir une entière protection contre l’ampleur d’un tel bouleversement de son environnement.
3. Ce fut la première fois que le Conseil d’État de France fut amené à se prononcer sur une affaire portant sur le respect des engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
La municipalité requérante contestait devant la haute juridiction administrative le silence gardé par les autorités nationales quant à sa demande tendant à ce que soient prises toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre sur le territoire national dans le respect a minima des engagements pris par la France tant au niveau international que national.
La France s’était en effet à engagée à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 (article L.100-4 du code de l’énergie) en prévoyant une succession de plafonnements quinquennaux des émissions de gaz. Qui plus est, la décision n° 2018/842/UE de l’Union européenne impose aux États membres de limiter annuellement leurs émissions de gaz à effet de serre « de manière linéaire ».
Or, la trajectoire de réduction des émissions produites par la France n’a pas suivi une courbe linéaire dégressive au cours des dernières années, dès lors que les émissions ont augmenté entre 2016 et 2017.
Au moyen d’un tour de passe-passe, le gouvernement avait décidé, le 21 avril 2020, de reporter les efforts sur le plus long terme et, partant, de décaler la trajectoire de réduction des émissions.
La possibilité d’atteindre l’objectif final de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 en reportant l’essentiel des efforts après 2020 « selon une trajectoire qui n’a jamais été atteinte jusqu’ici » ne convainc manifestement pas le Conseil d’État. Avant de statuer définitivement sur la requête, ce dernier exige un supplément d’instruction concernant les éléments et motifs permettant d’établir la compatibilité du refus opposé à la requérante avec la trajectoire de réduction fixée par le Gouvernement.
4. On observera à nouveau l’importance que revêtent les engagements internationaux dans le raisonnement du juge administratif.
Dès lors que l’Accord de Paris, approuvé par une décision (UE) n° 2016/1841, fait partie intégrante du droit de l’Union européenne, la France est tenue d’assurer le respect des obligations qui en découlent.
L’absence d’effet direct des règles issues de conventions internationales sur le climat, comme par exemple l’Accord de Paris lui-même, n’empêche pas que la haute juridiction administrative soit tenue d’interpréter le droit national à l’aune de ces obligations conventionnelles (§ 12). Les objectifs internationaux en matière de lutte contre le changement climatique doivent nécessairement être regardés comme constituant des obligations de résultat pesant sur les autorités, sans quoi ils s’apparenteraient à de simples déclarations d’intention sans valeur juridique contraignante.
On regrettera, en revanche, que le Conseil d’État n’ait pas pris position quant à l’effet direct de la décision n° 2018/842/UE dans la mesure où cet acte prévoit une obligation chiffrée de réduction ( 37 % en 2030 par rapport à leur niveau de 2005) revêtant les critères de précision et d’inconditionnalité requis par la Cour de justice de l’Union européenne pour qu’un texte européen ait vocation à s’appliquer directement dans chacun des États membres sans devoir nécessairement passer par une transposition en droit interne.
Votre point de vue
Skoby Le 9 janvier 2021 à 18:06
Je trouve normal que la France doive respecter les Accords de Paris, mais je comprends aussi que même si l’Etat fait les efforts demandés, le résultat ne sera pas toujours
atteint parce qu’il y a beaucoup d’éléments qui sont en jeu.
On pourrait même se demander, si la pollution d’un pays voisin qui ne respecte
pas ces accords, pourrait avoir une mauvaise influence sur les scores obtenus
en France.
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