Retour sur le procès des attentats de Paris des 7, 8 et 9 janvier 2015

par Denis Salas - 23 février 2021

Le procès des attentats terroristes de Paris de janvier 2015 s’est terminé à la fin 2020 devant la Cour d’assises de la capitale française.

Denis Salas, magistrat enseignant à l’École nationale de la magistrature (France), directeur de la revue « Les Cahiers de la Justice » et président de l’Association française pour l’histoire de la justice, a assisté au procès et nous livre les leçons qu’il en a retenus, s’agissant notamment de divers aspects du rôle de la Justice confrontée à l’innommable et à la nécessité de dire le vrai.

1. Le procès des attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015 qui ont frappé Charlie-Hebdo, l’hypercasher de Vincennes et à Montrouge est désormais terminé.

Il a duré plus de trois mois, du 2 septembre au 16 décembre 2020.

2. Sauf pour ceux qui l’ont suivi, il demeurera une scène invisible. Ce procès est certes filmé pour l’histoire mais les images n’en seront pas accessibles avant longtemps. Il vivra donc avant tout dans la mémoire de ceux qui l’ont suivi.
Cette mémoire est fortement sélective tant une pluralité de lecture est possible. Les plus déçus retiendront le décalage entre la résonnance des attentats en France et dans le monde et la poignée d’accusés qui ont un rapport éloigné avec les faits.

Ne vont-ils pas payer pour ceux qui ne sont plus là, se demandait-on ? De ce point de vue la cour d’assises leur a donné tord en prononçant un verdict salué pour son équilibre et sa justesse.

3. D’autres se souviendront de la dimension politique d’un procès qui mit en lumière l’inacceptable atteinte à la liberté d’expression d’un journal. Le refus hautement affirmé de toute atteinte à la libre critique des religions fut un acte fort de la part des hommes et femmes de ce journal. D’un bout à l’autre des audiences, par leur présence physique, le choix de republier ces caricatures ou leurs interventions, ils ont porté cet enjeu démocratique.

De leur coté, les victimes juives de l’hypercasher sauront se souvenir de la reconnaissance par la Cour de la portée antisémite de l’attentat, ce que nul n’avait fait auparavant.

On retiendra aussi le contexte sécuritaire lié à la permanence d’un terrorisme « inspiré » et l’attentat dont le professeur Samuel Paty fut victime après avoir enseigné les caricatures de Mahomet.

5. Au milieu de ces temporalités heurtées auxquelles il faut ajouter les interruptions dues à la pandémie qui a imposé le port du masque aux acteurs, je retiendrai avant tout la hauteur des témoignages qui se sont manifestés.

Nombre de victimes directes ou indirectes, se sont saisies de ce moment d’expression que ce procès leur offrait. Elles ont haut et fort montré leur intention d’être des témoins actifs. En avançant ainsi vers la Cour, ceux-ci ont coconstruit les débats avec elle.

Parole et gestes à l’appui, ils l’ont amenée à rejoindre leur histoire au delà de leur statut de partie civile. En refusant de se dire victimes ou même rescapés, ils ont reconnu dans le terme de « survivants » ce qui a placé le procès dans la perspective des massacres du XXème siècle.

Une dessinatrice (Coco) s’est accroupie mains sur la tête pour montrer comment elle a supplié les bourreaux dans la position d’une condamnée à mort. « J’ai pensé mourir exécutée », a-t-elle ajoutée.

Malgré la peur, ce sont deux gendarmes qui ont blessé l’un des terroristes, ce qui a permis de les « fixer » dans un lieu avant l’arrivée du GIGN.

Des paroles, de gestes et du courage ont permis de traverser la terreur, d’annuler son effet mortifère.

6. Cette hauteur de témoignage est à mon sens lié au serment qui leur impose de dire « toute la vérité, rien que la vérité » dans le rituel judiciaire.
Mais c’est un serment transfiguré. Tout se passe comme si les témoins devaient s’acquitter d’une dette envers ceux qui ne sont plus là.

Derrière ce serment, il en est un autre : celui que le survivant a prêté implicitement à ceux qui ne sont pas revenus. C’est l’autre pacte testimonial noué avec les morts qui les oblige à témoigner, à dire exactement ce qui s’est passé. « Ne pas raconter ou raconter autre chose c’est commettre un parjure », écrit Elie Wiesel dans La Nuit. C’est à une dette de vérité et de fidélité contractée entre les survivants et les témoins absents à laquelle nous avons assisté.

7. C’est ainsi que les journalistes de Charlie-Hebdo continuent de porter les valeurs de liberté d’expression et de laïcité au nom de ceux qui ne sont plus.
Quant aux juges, en délivrant ce verdict précis et nuancé, en ne répondant pas au terrorisme sur son terrain, ils ont montré qu’on pouvait lutter contre ce fléau sans trahir les valeurs démocratiques. Ils se sont souvenus que l’histoire les jugera à leur tour comme ils auront jugé.

Votre point de vue

  • Skoby
    Skoby Le 24 février 2021 à 14:27

    Je pense que le jugement rendu est tout-à-fait logique et parfaitement normal.
    Par contre je trouve que la Justice est beaucoup trop lente et que le gouvernement
    devrait faire le nécessaire pour que la Justice soit mieux organisée et donc plus
    rapide.

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Magistrat enseignant à l’École nationale de la magistrature (France), directeur de la revue « Les Cahiers de la Justice » et président de l’Association française pour l’histoire de la justice

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