À lire : « V13 », la chronique judiciaire d’Emmanuel Carrère sur le procès des attentats terroristes de Paris du 13 novembre 2015

par Thérèse Jeunejean - 27 octobre 2022

« V13 » : trois sobres signes noirs sur la couverture blanche du tout récent livre de l’écrivain, journaliste, scénariste et réalisateur français Emmanuel Carrère.
Il s’agit de la chronique du procès des personnes accusées d’être impliquées dans les attentats terroristes de Paris du 13 novembre 2015, procès qui s’est tenu à Paris de septembre 2021 à juillet 2022.
Thérèse Jeunejean nous présente ce livre, qui nous plonge, dans une démarche profondément humaine, à la fois au cœur de l’indicible mais aussi du rôle et du fonctionnement de la Justice pénale.

« V13 » : un titre choisi parce que, explique l’auteur, tous, magistrats, avocats, journalistes, ont ainsi appelé ce monstrueux procès des attentats du vendredi 13 novembre 2015 dans lequel il se sont embarqués.
« V13 » donc ou la chronique judiciaire du procès des attentats terroristes de Paris du 13 novembre 2015 : « 14 accusés, 1 800 parties civiles, 350 avocats, un dossier haut de 53 mètres : ce procès hors norme a duré neuf mois, de septembre 2021 à juin 2022. Je l’ai suivi, du premier au dernier jour, pour l’hebdomadaire L’Obs », écrit Emmanuel Carrère en quatrième de couverture. Comme prévu au départ, toutes les semaines, l’écrivain a publié ses 8 000 signes dans l’hebdomadaire français. Un éventuel arrêt après trois mois avait été envisagé mais, « jamais, pas une seule fois je n’ai envisagé d’arrêter », explique Carrère, qui qualifie ce procès d’ « expérience unique d’effroi, de pitié, de proximité, de présence ».
Réunies, relues, revues, complétées, les chroniques racontent donc le procès des terroristes du Bataclan, du Stade de France et des terrasses parisiennes où furent tuées 130 personnes.

Pas à pas

Pas à pas, on suit le déroulement d’un procès d’assises qu’on dira historique.
Il commence par l’appel des accusés par le président de la Cour : il s’agit des complices à divers degrés des tueurs, ces derniers étant décédés lors des attaques. Surgit alors la liste de ces accusés qui seront jugés et celle des victimes qui souhaitent intervenir dans le procès (les parties civiles).
Puis des pages et des pages de témoignages des victimes, « blessées, endeuillées, impactées », présentes lors des tueries ou proches de celles qui ont perdu la vie. Des pages difficiles à lire, atroces, qui racontent, par exemple, l’arrivée des tueurs au Bataclan (« Ils abattaient les gens, je dirais avec une sorte de délectation »), les tirs, les corps à terre, tombés les uns sur les autres, piétinés, le sang partout, les membres amputés. Les mêmes scènes plusieurs fois racontées et pourtant chaque fois, personnelles. Et dès le début, à la fois, des exemples d’entraide, de fraternité entre ces victimes au sol mêlés à l’effroi en découvrant ces tueurs décrits particulièrement décontractés.
Ces victimes se disent sans haine et sans colère et demandent un procès équitable, refusant, affirment-elles, de donner la victoire aux assassins. Bémol d’Emmanuel Carrère : avant d’arriver à substituer la justice à la vengeance, il faut sans doute au moins reconnaître un premier stade de « fureur » …

Les accusés, des seconds couteaux

Les interrogatoires des accusés sont programmés en chapitres distincts. Premier chapitre, la personnalité : quand les accusés « font l’effet de bons garçons un peu paumés, modérément religieux […], immodérément adonnés au shit […], entrant en prison et en sortent au rythme de la petite délinquance ».
Suivent les interrogatoires concernant la radicalisation lorsque dans une cave de Molenbeek, plusieurs des accusés regardent des vidéos d’exécution et écoutent des hymnes jihadistes : « Il nous faut de la souffrance et des morts par milliers ».
Plus tard, certains partent en Syrie, puis les attentats se préparent. L’incompréhension des comportements des terroristes grandit encore : la veille du 13 novembre, en achetant des canettes d’Oasis et un paquet de gâteaux à la frangipane, « ils se marrent. Ils savent qu’ils seront morts le lendemain soir mais qu’avant de mourir, ils auront tué beaucoup de monde. Le plus possible ». Carrère relève la « légèreté, l’inconsistance, l’inconscience » de Salah Abdeslam.
Les interrogatoires concernent ensuite les attentats et les jours suivants. Tous les prévenus ne sont pas acteurs mais, antérieurement ou postérieurement, complices.
De nouveau, après chaque interrogatoire, interviennent d’abord le ministère public, puis les avocats des victimes et enfin ceux de la défense. Avec les questions centrales pour cette dernière : que savait chaque accusé, ces actes relèvent-ils d’une association de malfaiteurs ou d’une association de malfaiteurs terroristes ? Une défense indispensable même si, explique l’un des avocats, Xavier Nogueras, « bien sûr que j’ai parfois du mal, c’est plus facile de défendre un braqueur avec qui je pourrais aller boire des coups quand il sortira qu’un type qui s’excite sur des vidéos de décapitation mais c’est essentiel de distinguer le type de l’acte. Être avocat, c’est ça : faire tout ce qu’on peut pour que l’accusé soit jugé selon le droit et pas selon les passions. Et puis, quand tout le monde a tourné le dos, être le dernier à tendre encore la main ».
Et les chroniques se poursuivent, avec des tentatives d’explication, jamais évidentes, d’un comportement évidemment totalement indéfendable. « Faire ce qui fait le plus plaisir à Allah », dira l’un d’eux alors qu’il est question de se faire sauter en entrainant le plus possible de morts…
Un dernier élément d’une possible compréhension de ces actes indéfendables, jamais entendu, c’est pourquoi il est repris ici, est apporté par Orly Rezlan, une des avocates des accusés, qui l’a cherché dans l’« Histoire d’un Allemand » de Sebastian Haffner. Parlant des nazis, cet auteur dit que « pour beaucoup le ressort a été la camaraderie. On partage un idéal, on communie dans l’indignation, adhérer aux valeurs du groupe c’est montrer qu’on est un type bien. Il est délicat de soutenir qu’on peut participer à des attentats ou à un génocide parce qu’on a bon cœur, mais parce qu’on est bon camarade, oui, ça se tient ». Voilà ce qui a pu être entendu à l’occasion de ce procès…

Des peines et des questions

Le procès se termine. Les trois magistrats du parquet national terroriste reprennent tout depuis le début, leur réquisitoire dure trois jours. Et l’avocate générale Camille Hennetier conclut, s’adressant à la Cour : « L’effroi, c’est la disparition du rideau derrière lequel se cache le néant, qui permet normalement de vivre tranquille. Le terrorisme, c’est la tranquillité impossible. Votre verdict ne permettra pas de réparer le rideau déchiré. Il ne guérira pas les blessures visibles et invisibles. Il ne ramènera pas les morts à la vie. Mais il pourra au moins assurer aux vivants que c’est, ici, la justice et le droit qui ont le dernier mot ».
Les peines sont enfin prononcées et Emmanuel Carrère se questionne encore, particulièrement à propos de la détention a perpétuité prononcée pour Salah Abdeslam : « Si au lieu d’être morts, les neuf tueurs du commando étaient dans le box, ils auraient pris, et mérité, cette perpète incompressible. Mais lui, alors ? Lui le second couteau foireux, il aurait eu quoi ? Pas la même chose, on peut en être sûr. On n’a pas les vrais criminels sous la main, il paie pour eux ».
On le voit, dans V13, l’écrivain soulève à plusieurs reprises des questions sans réponses, comme la valeur d’une vie ? Et plus fondamentalement : la justice est-elle juste ?

Un texte profondément humain

Ces chroniques, difficiles à distinguer du procès lui-même, sont passionnantes (même si l’on s’interroge sur l’opportunité de ce mot quand il est question de pareilles horreurs). Dans le texte d’Emmanuel Carrère, l’humanité n’est jamais loin, qu’elle soit émouvante ou ignoble. Les mots sont justes, ils touchent, ils émeuvent ; un détail, une anecdote, bouleversent. Des rencontres imprévues, des portraits très dignes, éclairent encore davantage la vie pendant ces neuf mois, en quelque sorte hors du monde.
« V13 » met clairement en évidence la volonté de comprendre les uns et les autres, victimes comme accusés et, pour y arriver au mieux, le temps donné au temps, l’importance de la parole, du dire, de l’écoute tout autant que le respect des victimes et des accusés. Comprendre pour rechercher la justice même si elle n’est pas parfaite.
« C’est cela ou ça devrait être ça, un procès : au début on dépose la souffrance, à la fin, on rend la justice », dit l’auteur.
Emmanuel Carrère, V13, P.O.L éditeur, 2022, 368 p.

Votre point de vue

  • MUTATE ANDRE
    MUTATE ANDRE Le 20 décembre 2022 à 15:51

    « C’est cela ou ça devrait être ça, un procès : au début on dépose la souffrance, à la fin, on rend la justice », dit l’auteur.
    Emmanuel Carrère, V13, P.O.L éditeur, 2022, 368 p.
    Je ne suis pas d’accord car si on rend justice, on sous tend que tout est dit et que plus rien ne peut venir troubler "la quiétude des bonnes gens" Or, rendre justice peut se comprendre par "il n’y a plus rien à faire" et chacun repart de son côté la conscience apaisée.
    Je pense qu’il est plus juste et digne de dire que le droit a été dit ! Car aujourd’hui encore, les victimes de ces attentats souffrent et, finalement, rien n’est éteint. Mais le droit a été énoncé.

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Thérèse Jeunejean


Auteur

Diplômée en psycho-pédagogie et auteure, elle a été la première plume en Belgique francophone à mettre l’actualité socio-économico-politique à la portée d’un jeune public. Sur Questions-Justice, elle décode aujourd’hui le fonctionnement de la justice.

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