Pour la Cour européenne des droits de l’homme, la conception belge de l’euthanasie est compatible avec le droit à la vie, mais son contrôle doit être perfectionné

par Frédéric Bouhon - 23 décembre 2022

Le 4 octobre 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a prononcé un important arrêt dans l’affaire Mortier c. Belgique au sujet d’un cas d’application de la loi belge sur l’euthanasie.
Pour la première fois, la Cour a jugé que la possibilité donnée par le droit national de procéder à l’euthanasie est conforme au droit à la vie tel qu’il est consacré par l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. Pour arriver à cette conclusion, la Cour a d’abord constaté que le droit belge offre un cadre légal adéquat notamment au regard des conditions dans lesquelles l’euthanasie est accessible.
En revanche, le droit belge devra être adapté en ce qui concerne la procédure de contrôle a posteriori qui, dans certaines circonstances, n’assure pas suffisamment l’indépendance requise.

1. La Cour européenne des droits de l’homme a déjà, à plusieurs reprises, traité d’affaires relatives à la fin de vie de personnes en grande souffrance.
Il y a vingt ans, dans l’arrêt Pretty c. Royaume-Uni du 29 avril 2002, la haute juridiction avait affirmé que le droit à la vie n’incluait pas un droit de mourir. La Cour a jugé que l’impossibilité, pour une personne affectée par une maladie incurable qui engendrait de vives souffrances, d’obtenir l’aide d’un proche pour mettre fin à ses jours, n’emportait pas de violation du droit à la vie ni d’ailleurs d’autres droits fondamentaux.
Plus récemment, dans l’affaire Lambert c. France jugée le 5 juin 2015, la Cour européenne des droits de l’homme a estimé que le dispositif législatif français qui autorise, dans certaines conditions, l’arrêt des soins et de l’alimentation d’un patient était également compatible avec le droit à la vie. Justice-en-ligne a consacré un article à cet arrêt après d’autres articles consacrés à tous les événements judiciaires qui ont jalonné cette affaire Lambert ; ces articles sont à retrouver dans le dossier « L’euthanasie et la fin de vie » de Justice-en-ligne.

2. De ces décisions, il ressort que les États disposent d’une marge d’appréciation importante : ils peuvent non seulement interdire certaines techniques visant à accélérer le décès d’une personne souffrante, mais aussi permettre de tels procédés pourvu qu’ils les encadrent et s’assurent, en particulier, du consentement éclairé de la personne concernée. Ces questions sont abordées par l’arrêt Haas c. Suisse du 20 janvier 2011 de la Cour européenne.

3. Le récent arrêt Mortier prolonge et complète cette jurisprudence.
La Cour s’y est pour la première fois prononcée sur la conformité au droit à la vie d’une législation (et de son application) qui permet l’euthanasie, c’est-à-dire, selon le droit belge, un acte pratiqué par un tiers qui met intentionnellement fin à la vie d’une personne, à la demande de celle-ci (article 2 de la loi du 28 mai 2002 ‘relative à l’euthanasie’).
En réponse à un recours introduit par le fils d’une patiente qui avait eu recours à l’euthanasie pour mettre fin aux souffrances engendrées par une psychopathologie très sérieuse et avancée, la Cour européenne des droits de l’homme a confirmé la jurisprudence Pretty en affirmant que le droit à la vie ne comprend pas un droit de mourir mais elle a ajouté que ce même droit fondamental « ne saurait être interprété comme interdisant en soi la dépénalisation conditionnelle de l’euthanasie » (Cour européenne des droits de l’homme, arrêt Mortier c. Belgique, 4 octobre 2022, § 139). La Cour a donc procédé à un examen détaillé de la législation et de la pratique belge de l’euthanasie pour vérifier si, en l’organisant, l’État belge avait respecté son obligation de protéger la vie des personnes.

4. En ce qui concerne le cadre législatif, la Cour estime que la loi belge offre globalement un cadre propre à assurer la protection de la vie des patients. Cette conclusion s’appuie en particulier sur les éléments suivants : on ne peut procéder à l’euthanasie que si le patient se trouve dans une situation médicale sans issue et qu’il a exprimé son consentement de façon éclairée (il doit être conscient au moment de sa demande et l’avoir exprimée de manière volontaire, réfléchie et répétée).
Par ailleurs, deux médecins indépendants (voire trois si le décès du patient n’est pas attendu à brève échéance) interviennent dans le processus pour constater l’état médical du patient, vérifier la qualité de son consentement et l’accompagner dans son cheminement, notamment par un travail d’information. La Cour accorde une grande importance au fait que des conditions supplémentaires sont prévues pour les hypothèses où le décès n’interviendra pas à court terme, comme c’est généralement le cas pour les troubles mentaux, et notamment dans l’affaire traitée par la Cour.
Dès lors, l’arrêt Mortier reconnaît non seulement que le principe de l’euthanasie est compatible avec le droit à la vie, mais il établit en outre que la façon dont elle est encadrée par la loi belge respecte ce droit fondamental. Les juges de Strasbourg considèrent par ailleurs qu’il n’apparait pas que l’acte d’euthanasie, tel qu’il a été pratiqué sur la mère du requérant, aurait méconnu le cadre légal dont elle a reconnu la qualité.

5. La législation et la pratique belges sont cependant critiquées en ce qui concerne le contrôle a posteriori de l’acte d’euthanasie, tel qu’il a été opéré dans le cas particulier soumis à la Cour.
D’une part, le médecin qui a procédé à l’euthanasie coprésidait la Commission chargée de contrôler chaque euthanasie et celui-ci ne s’est pas récusé lorsque le dossier dans lequel il était impliqué a été examiné. Si la Cour comprend que le fait de ne pas se récuser visait à préserver l’anonymat des personnes impliquées (l’examen de la Commission porte en principe sur un document anonymisé et le fait de se récuser revient à signaler un lien avec le dossier), elle estime que, sur ce plan, le système belge ne répond pas aux exigences procédurales imposées par le droit à la vie, qui imposent que soit menée une enquête indépendante et effective lorsqu’il est porté atteinte à la vie.
D’autre part, la Cour critique la manière dont les autorités judiciaires ont traité la plainte du requérant, qui alléguait de manière plausible que la loi relative à l’euthanasie n’avait pas été respectée. Si, finalement, les autorités compétentes ont mené une enquête pénale suffisamment approfondie pour établir les faits de l’affaire, cela n’est advenu qu’au bout de plusieurs années et d’une deuxième enquête menée après l’abandon de la première. Il en résulte que, selon la Cour européenne des droits de l’homme, la Belgique n’a pas satisfait à l’exigence de promptitude qu’impose le droit à la vie dans son aspect procédural.

6. Contrairement à ce que l’on a parfois trop hâtivement compris de l’arrêt Mortier c. Belgique, celui-ci est avant tout une victoire juridique pour celles et ceux qui soutiennent le principe de l’euthanasie.
Certes – et ce n’est pas négligeable – la Belgique a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour certains aspects de la façon dont l’euthanasie est contrôlée administrativement et judiciairement : une réforme est nécessaire à cet égard.
En revanche, l’arrêt Mortier valide la façon dont l’euthanasie est conçue et pratiquée en Belgique et, ce faisant, il fait de la loi de 2002 une référence pour les États européens qui voudraient permettre et encadrer l’euthanasie d’une manière qui soit conforme aux droits fondamentaux.

Mots-clés associés à cet article : Droit à la vie, Droit de mourir dans la dignité, Euthanasie,

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Frédéric Bouhon


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Professeur à l’Université de Liège

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