Le plus grand palais de justice au monde se trouve à Bruxelles. La démesure de ce mastodonte marque le paysage bruxellois, en fait un repère qui domine la ville de tout son poids.
Auteure des Ombres du palais, magistrate, Lise Bonvent est évidemment familière de ce lieu hors norme, mais, comme beaucoup de ceux qui y travaillent ou n’y sont entrés qu’en des occasions parfois déplaisantes, la fascination le dispute à l’agacement. Les humbles, ceux qui sont tout en bas, ancien détenu, huissier, traductrice, femme de ménage, libraire du kiosque, mère d’un jeune délinquant… témoignent de leur vie, de leur travail de leurs souvenirs, et leurs récits entrent en résonance avec ceux des avocats et des magistrats.
Svetlana Alexievitch, dans son discours de réception du prix Nobel de littérature, définit son travail d’écriture par son intérêt pour « la vie quotidienne de l’âme ». Lui rendant hommage par l’épigraphe qui ouvre Les ombres du palais, Lise Bonvent est allée à la rencontre de ceux dont une partie de la vie se déroule au palais. C’est un monde inconnu, loin de l’image tronquée de la justice parfois reflétée par les médias, qui s’ouvre à l’attention curieuse et bienveillante de Lise Bonvent.
L’un des plus attachants portraits est celui de Mariette, « concierge principale », presque à la retraite. Elle témoigne de ce « petit monde [qui] y vit quand le monde judiciaire n’y est pas » et raconte les transformations sécuritaires d’un palais où elle circulait sans crainte nuit et jour. Le soir, elle vérifiait que toutes les lumières étaient éteintes car elle « sait ce que c’est quand il faut payer ses factures d’électricité ». « Aujourd’hui, avec les gardes, les lumières sont allumés tout le temps parce qu’ils disent qu’autrement ils ne voient plus rien sur les caméras. Cela doit leur coûter très cher là-bas au ministère ». L’essentiel est dit.
Les ombres peuplent tous ces recoins inattendus, une bibliothèque oubliée, l’atelier de réparation des stucs, une petite pièce de repos installés sans doute par une femme de ménage, découverts à la faveur de l’incursion audacieuse d’un magistrat ; « à une époque, ce palais a été une petite ville qui fonctionnait en autarcie ».
Les ombres sont celles des milliers de détenus menottés à un gendarme, qui hantent encore le cellulaire des souterrains où ils n’en finissent pas d’attendre le début de leur procès. Leur dignité bafouée suscitait la colère de celui que Jean-Claude Matgen appelait « Le prince de la chronique judiciaire », Philippe Toussaint, dans l’un de ses billets hebdomadaires à la RTBF.
En fonction des intervenants se font jour différentes conceptions de la justice : pour les uns, le palais donne de la solennité à l’acte de juger tandis que, pour d’autres, des lieux plus raisonnables sont dorénavant mieux adaptés. Pour certains, la dégradation du bâtiment, soutenu par ses échafaudages permanents sans lesquels il semble menacer ruine, répond à une justice abandonnée par le pouvoir politique.
Au cours du temps, les changements ont été nombreux, les cours à l’air libre ont été couvertes et les ouvertures à la lumière ont disparu, les grandes fêtes sont devenues impensables pour des raisons de sécurité et ce lieu grandiose est devenu celui de la nostalgie d’un monde d’avant les contrôles de sécurité où l’on pouvait se perdre à loisir.
Cette radiographie sensible de justice est magnifiquement mise en lumière par les photographies lumineuses de la talentueuse Marie-Françoise Plissart, qui parfois donnent l’impression d’être prises à la dérobée d’une porte entrouverte sur un couloir, un bureau, une salle d’audience…
Les ombres du palais, sous-titré « Récits de vie », de Lise Bonvent pour le texte et Marie-Françoise Plissart pour les photographies, préface Emmanuel Pierrat, Bruxelles, Éditons Larcier, 2019, 194 p., ISBN 9782807916043.
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skoby Le 30 mai 2020 à 15:22
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