Depuis cette année, le juge a une mission de conciliateur qui est mieux reconnue et encadrée. Il y a deux piliers : d’une part, le juge peut tenter de concilier les parties, à tout moment de la procédure (et même avant) ; d’autre part, une tentative de conciliation peut être menée, à la demande des parties ou sur une initiative du juge, devant une chambre de règlement à l’amiable, ici aussi avant le procès ou à tout moment pendant celui-ci.
En quoi cela consiste-t-il ? Quelles sont les principales différences ? C’est ce que Bénédicte Inghels, avocat général à la Cour de cassation et collaboratrice scientifique à l’UCLouvain, nous explique.

1. Après une loi de 2018, qui a placé les modes alternatifs de règlement des conflits au cœur du procès civil et encouragé les juges à promouvoir les autres manières de résoudre un litige, la loi a, fin 2023, facilité le rôle du juge comme acteur des modes alternatifs de règlement des conflit (voir, pour une présentation générale de ces modes alternatifs, les articles suivants publiés sur Justice-en-ligne : B. Inghels, « Les modes alternatifs de règlement des conflits, kesako ? » ; P. P. Renson, « Arbitrage, conciliation, médiation et droit collaboratif : comment régler un conflit efficacement et durablement, sans recourir à une procédure judiciaire ou administrative ? »).
Désormais, le juge conciliateur est consacré.
La loi repose sur deux piliers : la mission du juge conciliateur dans un cadre classique ou, de manière plus spécifique, l’appel à une chambre spécialisée, la chambre de règlement à l’amiable (en pratique, on l’appelle aussi « chambre de règlement amiable »), pour tenter une conciliation dans un cadre plus pointu .

2. Mais avant tout, il faut savoir que chacun de ces piliers peut être activé avant la procédure (en précontentieux) ou en cours de procès civil (en contentieux).
Sans entrer dans le détail, retenez qu’avant tout procès, une partie peut demander au juge compétent de tenter une conciliation. C’est une procédure toute simple : il suffit d’introduire une requête au greffe de la juridiction qui serait compétente. Dans ce cas, les parties sont convoquées par un simple courrier, elles comparaissent en audience devant le juge compétent, qui va tenter de les concilier. Si un accord intervient, un procès-verbal reprenant les termes de cet accord va être établi et il aura une force exécutoire. S’il n’y a pas d’accord, ce n’est pas grave car les parties peuvent toujours agir devant le tribunal pour obtenir une décision de justice sur leur conflit.
En phase précontentieuse, la tentative de conciliation peut être menée devant le juge « classique » ou devant la chambre de règlement amiable de la juridiction compétente.
Quelles sont les caractéristiques du juge conciliateur et des chambres de règlement à l’amiable ?

3. D’une part, le juge peut concilier, à tout moment. Ce principe existait déjà, et était consacré depuis la loi de 2018. Mais désormais la mission conciliatrice du juge est mieux circonscrite.
Avant le procès ou même à tout moment de la procédure, le juge peut tenter un rapprochement entre les parties. C’est-à-dire qu’il peut les écouter, reformuler leurs positions, les aider à trouver une solution, voire proposer une ou plusieurs solutions – sans se départir de son impartialité.
Le juge qui essaie de concilier n’est pas un mauvais juge, au contraire : il en a le droit et même l’obligation. Chaque juge a, dans sa mission, un double rôle : celui de trancher et celui de concilier.
Le juge qui tente de concilier n’a pas d’outils spécifiques, il peut le faire à l’audience, il doit respecter toutes les garanties du procès équitable, il doit rester prudent pour demeurer impartial, il doit veiller à respecter le principe du contradictoire et, sauf accord exprès des parties, sa tentative de conciliation n’est pas confidentielle puisque les audiences sont publiques.
S’il n’y a pas d’accord et qu’un procès est entamé ou que la procédure est en cours, le même juge peut en principe poursuivre l’examen du dossier.

4. D’autre part, la loi a consacré les chambres de règlement à l’amiable (identifiées parfois dans le jargon par leur acronyme « CRA »). Elle a donné à certains juges des outils spécifiques pour les aider à mener à bien une conciliation. Ce sont des outils que l’on utilise, par exemple, en médiation, et qui facilitent les accords. Il s’agit, par exemple, des codes de communication, de la confidentialité du processus, des « apartés », dits aussi « caucus » (le fait de pouvoir parler et écouter une seule partie à la fois, rompant avec le principe contradictoire de la procédure).
Ces juges spécialisés, ce sont ceux qui siègent dans les chambres de règlement à l’amiable.
Les chambres de règlement à l’amiable existaient déjà, depuis plusieurs dizaines d’années, dans plusieurs tribunaux ou des cours d’appel. Elles dépendaient des pratiques de chaque arrondissement ou ressort, et reposaient souvent sur la bonne volonté des juges. Désormais, pour septembre 2025 au plus tard, elles seront obligatoires dans toutes les juridictions (sauf les justices de paix, mais les juges de paix ont quant à eux une très grande tradition de juges conciliateurs).
Une partie ou les parties peut/peuvent demander de passer devant la chambre de règlement à l’amiable de la juridiction. Parfois, le tribunal lui-même peut sélectionner des dossiers et proposer de passer devant la chambre de règlement à l’amiable.
La chambre de règlement à l’amiable est composée d’un ou plusieurs juges qui a/ont obligatoirement reçu une formation spécifique pour apprendre à utiliser ces outils de la conciliation.
Comme ces outils sont très spécifiques et que parfois ils rompent avec le principe du contradictoire, les juges qui participent à une chambre de règlement à l’amiable ont l’obligation de se déporter du dossier en cas d’échec du processus : cela signifie qu’ils ne pourront pas ensuite juger le même dossier.
S’il y a un accord, alors cet accord peut être acté dans un procès-verbal, qui aura force exécutoire (en cas de précontentieux), ou dans une décision d’accord (si la chambre de règlement à l’amiable est intervenue en cours de procédure). « Force exécutoire », cela veut dire que les parties à la procédure doivent respecter ce procès-verbal ou cette décision et que, si nécessaire, un huissier de justice peut être chargé de les faire exécuter.
S’il n’y a pas d’accord, le dossier peut être refixé devant un juge (un autre que celui qui participait à la chambre de règlement à l’amiable) et la procédure se poursuit. Mais il est possible aussi que le travail accompli par la chambre de règlement à l’amiable conduise les parties à se tourner vers un autre mode de règlement alternatif de leur litige, comme la médiation par exemple. C’est même assez fréquent car, dans les dossiers plus complexes, un autre mode peut être plus approprié : une conciliation en chambre de règlement à l’amiable doit en effet se dérouler dans un temps bref (elle dure normalement une à deux heures).

5. La loi a donc pleinement reconnu le rôle du juge comme un acteur principal de la conciliation. Elle a de même imposé la création de chambres de règlement à l’amiable dans toutes les juridictions, ou presque. Désormais, les chambre de règlement à l’amiable ne dépendront plus du bon vouloir des tribunaux.
Dans plusieurs interview en vidéo à venir, Justice-en-ligne vous présentera d’une part des juges conciliateurs (comme un juge de paix par exemple) et, d’autre part, des juges qui participent à des chambres de règlement à l’amiable dans différentes matières. À chaque fois, au cours de ces entretiens, ces juges vous témoigneront de leur pratique et montreront que la loi a bien fait d’officialiser cette initiative, qui venait des juges eux-mêmes et a toujours rencontré un beau succès.

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Bénédicte Inghels


Auteur

Avocat général à la Cour de cassation et collaboratrice scientifique à l’Université catholique de Louvain

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