La Cour d’appel de Bruxelles condamne l’État belge à publier la vacance des postes de magistrats et greffiers

par Marc Baetens-Spetschinsky - 21 mars 2024

Photo @ PxHere

Face au problème croissant de pénurie notamment de magistrats (à l’origine non seulement des condamnations récurrentes de l’État belge pour méconnaissance du droit des justiciables d’obtenir que justice soit rendue dans un délai raisonnable mais aussi de la dégradation des conditions d’exercice de la profession d’avocat), la Cour d’appel de Bruxelles a, dans un arrêt du 6 novembre 2023, donné gain de cause à l’Ordre des barreaux francophones et germanophone dans son action contre l’État belge sur la problématique du respect des cadres de magistrats et de greffiers des juridictions.
L’État est ainsi condamné à publier la vacance des postes de magistrats et greffiers qui sont vacants au 6 novembre 2023 et à publier les appels à candidatures par les voies légales habituelles.
Présentation de cet arrêt par Marc Baetens-Spetschinsky, avocat au barreau de Bruxelles et assistant à l’Université libre de Bruxelles

Antécédents de procédure et décision de la Cour d’appel de Bruxelles du 6 novembre 2023

1. Compte tenu du manque croissant de moyens notamment humains au sein du monde judiciaire belge (matérialisé par une pénurie de magistrats), l’Ordre des barreaux francophone et germanophone (OBFG ou « Avocats.be »), soucieux du droit des justiciables d’obtenir que justice soit rendue dans un délai raisonnable et animé de la volonté que les avocats cessent de subir une dégradation des conditions d’exercice de leur profession, a, le 8 mai 2019, cité l’État belge devant le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles. À l’époque, Justice-en-ligne a proposé une interview de Jean-Pierre Buyle, alors président de l’OBFG, au sujet de cette action en justice.
Par un jugement du 13 mars 2020, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a fait partiellement droit aux demandes de l’OBFG.
Par une requête déposée le 20 juillet 2020, l’État belge a interjeté appel dudit jugement.

2. Par son arrêt du 6 novembre 2023, la Cour d’appel de Bruxelles a condamné l’État belge à publier la vacance de l’ensemble des postes de magistrats et des greffiers prévus par les cadres et vacants à la date du 6 novembre 2023 et à publier les appels à candidatures par les voies légales habituelles, dans un délai de trois mois à compter de la signification (communication par voie d’huissier de justice) dudit arrêt, sous peine d’une astreinte de 1.000 € par jour de retard par place de magistrat et de greffier dont la vacance n’a pas été publiée et/ou ne fait l’objet d’aucun appel à candidature dans ce délai, avec un maximum de 250.000 €.
Quelle était la portée de l’objet de la demande de l’OBFG ?

3. L’objet de la demande de l’OBFG appelle une explication sur le plan de l’accès notamment à la magistrature.
En effet, même si, pour devenir magistrat, il faut avoir soit réussi un examen soit passé un concours suivi d’un stage, « la réussite d’un examen ou la fin du stage ne donnent pas un accès immédiat et inconditionnel à la magistrature. Encore faut-il être nommé, ce qui implique en premier lieu qu’une place soit vacante » (M. Baetens-Spetschinsky, M. Berwette, J. Biart, E. de Lophem, G. Eloy, J. Englebert, F. Laune, F. Lejeune, J-S. Lenaerts et X. Taton, Droit du procès civil, vol. 1, Limal, Anthemis, 2018, p. 189, n° 297).
Le contexte de la présente affaire montre qu’outre la condition qu’un poste soit vacant, il importe que l’État belge, c’est-à-dire le ministre de la Justice, publie cette vacance de poste vacant mais aussi qu’il procède à un appel à candidatures.

Pouvoir de juridiction des cours et tribunaux de l’ordre judiciaire

4. L’État belge a commencé par soutenir que les juridictions judiciaires n’avaient pas le pouvoir, en vertu, semble-t-il, du principe de la séparation des pouvoirs, d’examiner ce type d’action en justice.
La Cour d’appel de Bruxelles a décidé sur ce point que les demandes de l’OBFG visent à d’obtenir le respect de droits subjectifs qu’il estime préjudiciés du fait de la violation des cadres légaux, de sorte que lesdites demandes de l’OBFG relèvent du pouvoir de juridiction des cours et tribunaux de l’ordre judiciaire.
Il s’en déduit que la Cour d’appel a estimé qu’elle avait le pouvoir de connaître de cette affaire.

Effet obligatoire des cadres fixés par le législateur et le Roi : rejet de la thèse de l’État belge tirée des « maxima »

5. Sur le fond, l’État belge se prévalait tout d’abord d’une prétendue compétence discrétionnaire d’appréciation pour décider du moment de la publication des places vacantes et du nombre de magistrats à nommer pour chaque juridiction concernée.
Il ajoutait qu’en ce qui concerne les cadres du personnel des greffes, qui sont fixés par des actes réglementaires, il serait libre d’y déroger.

La Cour d’appel de Bruxelles a d’abord rappelé la nécessité de respecter le principe de légalité. Les lois fixant les cadres des magistrats et du personnel déterminent le nombre des magistrats et des greffiers dont chaque juridiction doit en règle être pourvue (sous réserve de l’application du paragraphe 1/1 nouveau de l’article 186 du Code judiciaire, qui permet au Roi de déroger au cadre de telle ou telle juridiction en faveur de telle ou telle autre juridiction sous certaines conditions et modalités, sans toutefois disposer du pouvoir de déroger généralement au nombre total des cadres).
Autrement dit, les cadres légaux ne constituent pas, selon la Cour d’appel, de simples « maxima » en deçà desquels le Roi serait libre de déterminer le nombre de magistrats et de greffiers, dans l’exercice d’une compétence discrétionnaire d’appréciation.

6. La Cour d’appel a ensuite fait référence au délai raisonnable dans lequel la Justice doit être rendue, garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, que tant le législateur national que le Roi doivent respecter.
À cette occasion, la Cour d’appel s’est référée à l’arrêt du 5 septembre 2023 rendu dans l’affaire Van den Kerkhof c. Belgique, dans lequel la Cour européenne a pointé le caractère structurel des problèmes de durée excessive des procédures devant les juridictions belges, spécialement dans le ressort de la Cour d’appel de Bruxelles, et a appelé la Belgique à y fournir une réponse qui doit l’être tout autant (pour une présentation de cet arrêt, voyez l’article suivant publié par Justice-en-ligne : Marc Baetens-Spetschinsky, « La Cour européenne des droits de l’homme pointe le caractère structurel de la durée excessive des procédures au sein des juridictions bruxelloises »).

Responsabilité civile de l’État belge

7. La Cour d’appel de Bruxelles a estimé que l’obligation de publication est une « obligation de résultat » (obligation d’une intensité plus importante qu’une obligation de moyens puisque la faute est présumée si le résultat n’est pas atteint) et que les cadres légaux s’imposent au ministre de la justice. La Cour d’appel en a déduit que la violation de cette obligation est constitutive de faute au sens de l’article 1382 de l’ancien Code civil, disposition relative à la responsabilité extracontractuelle ou quasi-délictuelle.
Ladite Cour a ensuite jugé que cette faute est à l’origine d’un dommage causé aux justiciables et aux avocats.
Par ces considérations, elle a estimé que les éléments constitutifs de la responsabilité civile de l’État belge sont réunis.

Forme de la réparation : réparation en nature (condamnation principale)

8. La Cour d’appel a condamné à l’État belge à réparer en nature le dommage invoqué par l’OBFG et l’a en conséquence condamné à publier les postes vacants de magistrats et des greffiers prévus par les cadres et vacants à la date du prononcé de l’arrêt, soit le 6 novembre 2023, et à publier les appels à candidatures par les voies légales habituelles.

Condamnation accessoire à une astreinte

9. La condamnation principale de l’État belge à publier les postes vacants et les appels à candidatures dans un délai de trois mois à compter de la signification (communication par voie d’huissier de justice) est assortie par la Cour d’appel d’une astreinte (soit une condamnation accessoire à la condamnation principale et servant de moyen de pression) par jour de retard.

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