1. Il y a dix ans, le Code de droit économique s’enrichissait en son livre XVII d’une procédure nouvelle : l’action en réparation collective (voir sur Justice-en-ligne l’article d’Éric Balate, « L’action en réparation collective enfin adoptée en droit belge »).
Susceptible d’être introduite devant le Tribunal de l’entreprise de Bruxelles par un représentant d’un groupe de consommateurs, elle avait pour ambition, vis-à-vis des entreprises qui ne respectent pas leurs obligations contractuelles ou ignorent les droits garantis par la loi, d’offrir un système permettant la réparation d’un dommage subi par un ensemble en raison d’une même cause.
Toutes celles et tous ceux qui avaient soutenu depuis des années l’introduction de cette procédure s’en réjouissaient.
2. Les associations siégeant au sein de la Commission consultative spéciale consommation, telles que Test Achats, se voyaient reconnus le droit d’agir en justice conformément à l’article XVII.39 du Code. D’autres associations ont reçu ultérieurement un agrément ponctuel.
Enfin, l’administration, via son ombudsman dans le cadre d’une procédure jusqu’au stade de la négociation, pouvait également agir tout comme une entité représentative agréée dans un autre État membre de l’Union européenne.
3. Les résultats de cette action sont aisément accessibles sur le site internet du SPF Économie.
Toutefois, aujourd’hui, dix ans après, force est de constater qu’aucune somme n’a encore été versée dans le cadre de ce type d’action judiciaire tant les procédures se sont révélées complexes et lourdes à mener.
Ceci ne signifie pas qu’elles n’ont pas eu leur succès. Elles ont néanmoins dû faire face à une série d’écueils, sans doute comme toute loi dès lors quel celle-ci n’est pas nécessairement accueillie avec enthousiasme par le monde de l’entreprise.
4. Le législateur belge s’est montré, comme il l’avait d’ailleurs annoncé, soucieux de vouloir élargir cette action.
Ainsi, les petites et moyennes entreprises face à un préjudice collectif se sont vues également accorder – fait singulier en Belgique – le droit d’agir en réparation collective.
L’idée était de permettre également aux indépendants et aux PME de pouvoir réagir en cas de préjudice de masse.
Toute organisation interprofessionnelle siégeant au sein du Conseil supérieur des indépendants et des PME peut agit comme représentant du groupe.
Plusieurs associations étaient ponctuellement autorisées à agir, telles que la Fédération des entreprises de Belgique.
5. Pour mémoire, il faut rappeler que la protection des intérêts des consommateurs s’était, pendant de nombreuses années, contentée de l’action en cessation avec des résultats parfois spectaculaires.
Toutefois, l’action en cessation n’avait comme objectifs que le constat d’illégalité et l’obligation dans laquelle l’entreprise condamnée avait de se conformer à la décision en cessant sa pratique illicite.
Certes, l’autorité qui s’associait à la décision rendue permettait de pouvoir postuler des dommages et intérêts devant les cours et tribunaux.
Néanmoins, l’écueil majeur restait que l’action était purement individuelle.
6. Si aujourd’hui, il est utile de reparler de l’action en réparation collective, c’est précisément parce que le législateur, sous l’impulsion du droit européen, y a une nouvelle fois apporté des modifications.
Celles-ci sont le fait de la loi du 21 avril 2024, entrée en vigueur le 10 juin 2024.
Il ne s’agit pas ici de faire un inventaire complet de toutes ses dispositions mais de montrer précisément quel est l’apport de cette modification de la loi tout en restant dans l’esprit initial de la loi du 28 mars 2014.
Qui peut agir ?
7. L’article XVII.36 du Code de droit économique tel que modifié précise que l’action doit être introduite par un requérant qui satisfait aux exigences de l’article XVII.39 et « dont l’objet statutaire est en relation directe avec l’objet de l’action en réparation collective ».
En fait, au regard de l’article XVII.39, il n’y a guère de nouveauté mais cette exigence complémentaire tend aux acteurs déjà désignés à veiller à ce que précisément il y ait un lien direct entre leur objet statutaire et l’action.
En conséquence, désormais, une formule rédigée de manière trop évasive dans les statuts de l’association agissant en justice au nom du groupe de consommateurs devrait malheureusement conduire le juge saisi d’une action en en réparation collective menée par pareille association à la considérer comme ne lui permettant pas d’agir avec succès. Il convient par conséquent que la plus grande rigueur soit de mise dans les statuts des associations souhaitant mener pareilles actions, notamment en évoquant la possibilité d’agir conformément à la loi ici commentée.
Quelles violations ?
8. Le législateur belge avait opté il y a dix ans pour une liste de dispositions susceptibles de pouvoir être à l’origine d’une telle action.
La nouvelle loi apporte une des modifications les plus importantes depuis dix ans, qui est celle de l’introduction de la violation des articles 101 et 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui prohibe les ententes et les abus de position dominante.
Pour le surplus, cette loi complète le catalogue des règles de droit pouvant fonder une action en réparation collective, sans nécessairement apporter de grandes innovations.
Qui représente le groupe de consommateurs lésés ?
9. Par la récente réforme, le législateur semble avoir voulu faire preuve d’imagination anticipative.
En effet, chaque groupe de consommateurs ou de PME, eu égard à l’extension précitée, peut uniquement être représenté par un seul représentant du groupe.
La question qui s’est posée est dès lors de savoir s’il peut y avoir plusieurs représentants pourvu que chaque représentant agisse par un groupe géographiquement différent de consommateurs ou de PME.
Il faut avouer que nous restons sceptiques sur la volonté exprimée par cette formulation.
Elle crée en effet des difficultés procédurales inutiles et, surtout, elle obligera le juge à désigner quel est le groupe le plus adéquat comme représentant unique.
Faut-il encourager les accords ?
10. La réponse est assurément oui puisqu’un accord de réparation collective peut conduire les parties qui l’ont signé, avant toute autre procédure, à envisager de le soumettre par requête conjointe en vue de son homologation par le tribunal.
Qui finance ?
11. S’agissant du financement de l’action en réparation collective, il convient d’être transparent et l’action en réparation collective, si elle est financée par un tiers, doit indiquer le nom du tiers financeur ainsi que les montants financés.
Il ne faudrait pas en effet que ce soit par un moyen détourné que des entreprises mènent des actions en responsabilité contre des concurrents.
L’action serait-elle traitée de manière prioritaire ?
12. C’est le vœu du législateur en 2024 que de soumettre la procédure au bénéfice de la procédure prévue pour les débats succincts.
Il est également imposé au tribunal de statuer dans les six mois qui suivent le dépôt de la requête.
Toutefois, ce délai n’est assorti d’aucune sanction.
Et quand il n’y a pas d’accord ?
13. En absence d’accord, si le représentant du groupe et le défendeur n’ont pas conclu un accord de représentation collective dans le délai fixé par le juge de manière spontanée ou si le juge lui-même a refusé l’homologation de l’accord, il est évident que la procédure ordinaire doit suivre son cours.
Une audience doit être fixée rapidement et l’affaire est alors instruite conformément aux dispositions du Code judiciaire.
La décision qui sera rendue doit être détaillée comme d’ailleurs c’était déjà le cas sous l’empire de la loi du 28 mars 2014.
Quant aux modalités de dédommagement
14. Il était sans doute prématuré pour le législateur, sauf quelques ajustements de forme, d’envisager sérieusement de pouvoir faire le point sur les modalités de dédommagement puisqu’à ce jour, aucune décision judiciaire n’a encore organisé strictement parlant l’octroi de dommages et intérêts.
Quelles sont les interactions avec les autres procédures ?
15. Le texte précise les règles d’interaction lorsqu’il y a constitution de partie civile au pénal.
Qu’en est-il de la loi du 6 juin 2017 relative à l’action en dommages et intérêts en cas d’infraction au droit de la concurrence ?
Le législateur aurait pu intégrer dans un seul et unique texte les deux actions.
Aujourd’hui, on constate que deux solutions parallèles sont mises en place.
Une nouvelle fois, le législateur eût pu être mieux inspiré en organisant en la matière une seule et unique procédure.
Quand faut-il se manifester pour être membre du groupe ?
Dans ce domaine, deux conceptions se sont toujours opposées : être d’office dans le groupe sans être identifié et pouvoir s’en retirer (« opt out ») ou entrer dans le groupe lorsque sur le fond la violation de la loi est constatée (« opt in »).
La loi nouvelle choisit la seconde solution alors que la première était celle de la loi précédente. Il est difficile à ce stade de pouvoir affirmer que le choix retenu favorisera les recours collectifs.