1. Par son arrêt n° 99/2021, rendu le 1er juillet dernier, la Cour constitutionnelle s’est prononcée sur une question préjudicielle posée par la Cour d’appel de Liège et relative à l’article 32, § 2, alinéa 7, de la loi du 29 mai 1959 ‘modifiant certaines dispositions de la législation de l’enseignement’ (dite loi du « Pacte scolaire »). Cette disposition constitue la base légale des subventions de fonctionnement octroyées aux Écoles supérieures des arts (ci-après : « ESA ») libres subventionnées par la Communauté française.
La mise en œuvre de cette disposition aboutit de facto à l’octroi, aux ESA libres subventionnées par la Communauté française, de subventions de fonctionnement équivalentes, par étudiant, à environ 40 % du montant des dotations de fonctionnement octroyées aux ESA organisées par la Communauté française.
2. La Cour constitutionnelle était en substance interrogée sur la compatibilité de cette différence de traitement avec les articles 10, 11 et 24, §§ 1er et 4, de la Constitution.
Après avoir constaté que la différence de traitement était bien imputable à la disposition en cause, la Cour constitutionnelle s’est attachée à rappeler les principes déduits des normes de référence visées, au premier rang desquelles se trouvent les articles 10 et 11 de la Constitution, qui consacrent un principe général d’égalité et de non-discrimination.
L’article 24, § 1er, de la Constitution garantit, quant à lui, la liberté d’enseignement, qui suppose que les pouvoirs organisateurs ne relevant pas de l’enseignement officiel organisé par la Communauté puissent, sous certaines conditions, prétendre à des subventions.
Enfin, l’article 24, § 4, de la Constitution réitère, en matière d’enseignement, le principe d’égalité et de non-discrimination consacré par les articles 10 et 11 ; comme ces derniers, il n’interdit pas les traitements différenciés fondés sur des différences objectives et pertinentes.
3. L’existence de la différence de traitement n’était pas contestée par le Gouvernement de la Communauté française, qui estimait toutefois qu’il s’agissait d’un héritage historique, qu’une autre répartition des moyens existants était impossible et que seuls des moyens supplémentaires seraient susceptibles d’y remédier.
Pour la Cour constitutionnelle, l’enjeu principal consistait à déterminer si la différence de traitement était ou non justifiée par des différences objectives et pertinentes.
4. La Cour constitutionnelle a jugé que
« [n]i la raison d’être de la différence de traitement entre les ESA libres subventionnées et les ESA de la Communauté française ni l’ordre de grandeur de cette différence ne ressortent des travaux préparatoires de la disposition en cause ou des justifications avancées par le Gouvernement de la Communauté française dans ses mémoires ».
La Cour estime notamment que le Gouvernement n’identifie pas une mission de service public particulière qui justifierait un financement plus important des ESA de la Communauté française. Selon elle, il n’apparait par ailleurs pas que les possibilités de financement dont disposent les ESA libres subventionnées, autres que leur subventionnement, soient de nature à justifier une différence de traitement de cette ampleur. La Cour relève à cet égard que le maintien de droits d’inscription les plus bas possibles vaut tant pour les ESA de la Communauté française que pour les ESA libres subventionnées (pt B.10 de l’arrêt).
Elle conclut que la différence de traitement n’est pas raisonnablement justifiée et que l’article 32, § 2, alinéa 7, de la loi du Pacte scolaire, en ce qu’il est applicable aux ESA libres subventionnées par la Communauté française, viole les articles 10, 11 et 24, §§ 1er et 4, de la Constitution.
5. Dans ce contexte, on rappellera notamment que la Cour a, dans un arrêt antérieur n° 126/2020 du 1er octobre 2020, conclu à l’annulation d’une disposition visant à prolonger jusqu’en 2038 le mécanisme dérogatoire prévu par l’article 18 du décret de la Communauté française du 12 juillet 2001‘visant à améliorer les conditions matérielles des établissements de l’enseignement fondamental et secondaire’ .
Comme l’a résumé la Cour elle-même, « [c]ette dérogation fait obstacle à l’application de la règle dite ‘des 75 %’, selon laquelle la Communauté française octroie 75 euros par élève inscrit dans un établissement subventionné, là où elle dépense 100 euros par élève inscrit dans un de ses propres établissements ».
La Cour a estimé que la disposition attaquée, qui prolongeait l’application du mécanisme dérogatoire jusqu’en 2038, était dépourvue de justification, mentionnant notamment le « contexte d’uniformisation accélérée du fonctionnement de tous les établissements financés par les pouvoirs publics et d’extension des contraintes de gratuité ». Elle en a toutefois maintenu les effets au plus tard jusqu’au 31 décembre 2022 inclus.
6. La haute juridiction semble désormais user moins volontiers que par le passé de l’ouverture offerte à certains traitements différenciés par l’article 24, § 4, de la Constitution.
Il nous semble qu’une explication de ce changement de perspective peut être recherchée du côté de l’atténuation progressive des « différences objectives et pertinentes » qui avaient auparavant pu fonder d’importantes différences de traitement entre les divers réseaux d’enseignement.