Succession de contrats courts : la Cour constitutionnelle apporte des précisions en faveur de la stabilité de l’emploi

par Sophie Gérard - 24 septembre 2021

La loi considère qu’une personne est employée comme si elle avait conclu un contrat à durée indéterminée lorsque plusieurs contrats à durée déterminée (de trois lois minimum et quatre contrats a maximum) se succèdent au-delà de deux ans. Il en va de même pour la succession de contrats dits de remplacement.

Mais la loi a oublié de régler la situation de succession de contrats des deux types. Formellement, la relation de travail n’est alors pas celle d’un contrat à durée indéterminée.

La Cour constitutionnelle ne l’a pas admis : son arrêt n° 93/2021 du 17 juin 2021 y voit une discrimination.

Sophie Gérard, assistante à l’Université libre de Bruxelles, nous en dit plus.

1. Une succession de contrats de travail courts risque souvent de plonger le travailleur dans l’incertitude, voire dans la précarité.

Afin de protéger le travailleur contre ce risque, le législateur a adopté deux règles importantes qui limitent les possibilités de renouvellement de contrats précaires.

2. La première est l’interdiction de conclure des contrats à durée déterminée (CDD) successifs.

On ne peut en effet en principe pas conclure plusieurs CDD d’affilée. La loi prévoit toutefois qu’un employeur peut exceptionnellement conclure des CDD successifs s’il respecte la règle du « 4 3 2 » : il peut conclure, avec un même travailleur, un maximum de quatre CDD successifs d’une durée de minimum trois mois chacun, pour une durée totale de deux ans. Si l’employeur ne respecte pas cette règle, le contrat sera présumé être conclu pour une durée indéterminée. L’employeur ne pourra contourner cette présomption qu’en démontrant qu’il avait une raison légitime de conclure des CDD successifs.

3. La deuxième règle concerne les contrats de remplacement, qui sont des contrats conclus afin de pourvoir au remplacement d’un travailleur permanent dont le contrat est temporairement suspendu.

Un contrat de remplacement ne peut en principe pas durer plus de deux ans. Cette limite vaut également en cas de contrats de remplacement successifs : la durée totale couverte par les contrats de remplacement successifs ne peut pas excéder deux ans. Si ce délai est dépassé, le contrat est automatiquement considéré comme un contrat à durée indéterminée.

4. Il ressort de ces deux règles qu’un travailleur ne peut en principe pas être occupé dans des contrats courts qui se suivent durant plus de deux ans. En instaurant ces règles, le législateur a voulu protéger les travailleurs contre le recours abusifs à des contrats de courte durée.

Pour ce faire, il a cherché un équilibre entre le besoin des employeurs d’organiser le travail de manière flexible et le besoin des travailleurs de bénéficier d’une stabilité d’emploi.

À la lumière de ces différents intérêts, la loi prévoit qu’après deux années de petits contrats, un travailleur doit bénéficier d’une certaine garantie en matière de stabilité de son emploi.

5. Il existe toutefois un angle mort dans la législation. Les règles précitées valent en effet en cas de succession de CDD ou en cas de succession de contrats de remplacement. Elles ne couvrent toutefois pas la combinaison de CDD et de contrats de remplacement.

L’application stricte de la loi permettrait donc d’occuper un travailleur dans le cadre de CDD successifs qui ne dépassent pas deux ans et de contrats de remplacement successifs qui ne dépassent pas non plus deux ans, alors que la durée totale cumulée de ces différents contrats dépasse deux ans, sans que l’on puisse considérer que le travailleur est occupé dans le cadre d’un CDI. En pratique, un travailleur pourrait donc être occupé dans des contrats courts successifs pour une période totale de plus de deux ans, en alternant des CDD et des contrats de remplacement malgré la volonté du législateur de protéger les travailleurs contre la succession de contrats courts.

6. C’est ce qui est arrivé à un travailleur, qui a été engagé d’abord dans le cadre d’un contrat de remplacement, puis dans une succession de divers CDD et contrats de remplacement, sur une période totale de seize années.

Son employeur a fini par rompre le dernier CDD en calculant le préavis uniquement sur la base de l’ancienneté acquise dans le cadre de ce dernier contrat, et non sur la base de l’ancienneté accumulée au fil de l’ensemble des contrats qu’il avait eus au cours des seize années, comme il aurait dû le faire s’il s’était agi d’un CDI.

7. Dans un arrêt du 17 juin 2021 , la Cour constitutionnelle a colmaté cette brèche dans la législation : elle a précisé qu’il faut considérer que la limite de deux ans s’applique aussi en cas de combinaison de CDD et de contrats de remplacement successifs. À défaut, il y aurait une discrimination entre, d’une part, les travailleurs engagés uniquement dans le cadre de CDD successifs ou uniquement dans le cadre de contrats de remplacement successifs (qui doivent respecter la limite de deux ans) et, d’autre part, les travailleurs qui alternent ces contrats (qui ne seraient pas limités à deux ans), alors que ces derniers se trouvent dans une situation toute aussi précaire que les premiers.

La Cour constitutionnelle précise que le législateur pourra éventuellement, s’il le souhaite, prévoir des exceptions dans lesquelles l’enchevêtrement de CDD et de contrats de remplacement pourrait dépasser deux ans. Dans l’état actuel du droit toutefois, un employeur devra respecter la limite de deux ans, même en cas de succession de CDD et de contrats de remplacement, sous peine que cette chaîne de contrats forme un CDI.

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Sophie Gérard


Auteur

Coordinatrice de la Street Law Clinic en droit social
Assistante à Université libre de Bruxelles

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