Quelques perles de dysfonctionnements… structurels

par Gabrielle Lefèvre - 18 janvier 2011

Au fil des plaintes lancées à la Commission d’avis et d’enquête du Conseil supérieur de la justice, s’égrènent quelques perles de dysfonctionnements structurels de l’ordre judiciaire. Parfois surréalistes et donc bien belges, parfois grises et ternes, trop souvent dramatiques aussi, ces perles interpellent !

Gabrielle Lefèvre, membre de la Commission d’avis et d’enquête vous en livre quelques-unes.

Ah, l’article 792 du Code judiciaire, indispensable outil de bonne transparence de la justice puisqu’il s’agit de la copie du jugement civil qui doit être envoyée au justiciable. Mais impraticable en justice de paix et même ailleurs, surtout en 1969, période bien connue pour sa pauvreté en photocopieuses performantes, au point que le ministre de la Justice d’alors prit une circulaire dispensant les greffes de l’application de cet article 792… en toute illégalité car depuis quand une circulaire prime-t-elle sur une loi ?

C’était en principe temporaire, le temps que les Justices de paix puissent enfin bénéficier de photocopieuses. Nous sommes en 2011 et la Commission d’avis et d’enquête du Conseil supérieur de la justice a déclaré fondée une Nième plainte d’un justiciable n’ayant pas reçu la copie du jugement le concernant.

Après plusieurs lettres au ministre de la Justice, la seule réponse que nous recevons est que la circulaire est toujours d’application ! On attend encore cinquante ans pour que l’article 792 soit enfin respecté ?

Contentieux fiscal entre deux arrondissements

Depuis que deux pans du contentieux fiscal, l’impôt des sociétés et la TVA, ont été transférés d’un arrondissement judiciaire à un autre en raison de la localisation du bureau de perception, sans le personnel qui l’accompagne, bien évidemment, rien ne va plus dans ce tribunal, qui croule sous les affaires. Au point qu’un juge exaspéré saisit… le Conseil supérieur de la justice du problème.

Cela fait des années qu’on parle de réforme du paysage judiciaire, de mesure de la charge de travail, de moyens en personnel, d’informatisation censée faciliter le travail des greffiers et magistrats… Et que constate-t-on ? Des mesures prises sans les moyens pour les rendre réalisables, comme ces affaires fiscales ou mieux encore les règlements collectifs de dettes. Au point qu’un tribunal « fiscalement compétent » ne peut même plus fixer ce genre d’affaire avant de longs mois. Et le justiciable attend… une justice devenue incapable de juger pour des raisons structurelles dans le silence assourdissant du ministre et de son administration.

D’ahurissants et douloureux retards

Il est pénible d’examiner des plaintes concernant le traitement judiciaire de décès de proches, des expertises interminables, des manques de magistrats pour juger après des 12, 17 voire 20 ans d’attente des justiciables. L’affaire la plus dramatique est bien celle d’un père qui a perdu deux de ses quatre enfants dans une explosion de gaz… en 1989. Il a fallu cinq ans à l’expert du parquet pour déposer son rapport. Un an avant la prescription, le parquet désigna comme responsable un intervenant néerlandophone… et voilà donc des milliers de pages à traduire avec comme conséquence la prescription au plan pénal. Quant à la procédure civile, débutée en 2000, elle a abouti à un jugement fin 2006… et à une procédure d‘appel toujours en cours et même remise sine die ! Il est vrai que la Cour d’appel a dû fermer la chambre en charge du dossier faute de magistrats ! Et par souci d’économies, le Parlement met fin au système des « chambres supplémentaires » qui, de toutes façons, ne pourraient être présidées par des magistrats effectifs puisqu’il n’y en a pas suffisamment. Et voilà comment justice n’est pas rendue et accroît la souffrance d’un père meurtri.

Experts en retards divers

17 ans de procédure à la suite d’un accident, notamment à cause de l’inaction d’un expert médical, de dépôts en dernière minute de pièces nouvelles, de manque de temps à une audience d’appel, en 2009, avec comme conséquence une fixation… deux ans plus tard. Tout cela pour avoir le temps d’en parler. Pour en plus se voir apostrophée par le président en ces termes élégants au moment de la remise : « C’est vous le dégât corporel ? ».

Les experts sont trop peu nombreux, trop souvent liés aux compagnies d’assurance, mal payés et donc peu soucieux de travailler vite dans le cadre de procédures dont on s’est habitué à ce qu’elles durent des années. Trop souvent, des victimes le sont deux fois. Sans autre recours que d’en appeler au Conseil supérieur de la justice, qui constate, qui compatit, qui a mis sur pied un groupe de travail consacré à l’expertise judiciaire dans l’espoir d’élaborer un système permettant d’agrandir la liste des experts judiciaires et peut-être d’accélérer ainsi le traitement de certaines affaires. Encore faudrait-il que les moyens suivent…

Et pourtant, il y aurait des solutions simples à ces problèmes faussement compliqués : comment admettre qu’une simple traduction d’audition d’une victime d’un accident de roulage ait pu prendre un an ? A l’ère de l’informatique et de la traduction en ligne, c’est absurde.
Comment comprendre qu’il ait fallu cinq mois entre une clôture de débats et un prononcé de jugement en appel. Il y a des lenteurs de juges qui sont loin d’être sages.

Par contre, l’urgence d’une réforme des méthodes de travail des magistrats, des avocats, des experts est évidente, de même que le recours à d’autres moyens de résoudre les conflits, la médiation notamment, afin de désengorger les tribunaux et de rendre les magistrats disponibles pour les affaires plus complexes, et d’accélérer le traitement de celles qui sont les plus douloureuses pour les justiciables.

Mots-clés associés à cet article : Conseil supérieur de la justice, Délai, Dysfonctionnement, Expertise,

Votre point de vue

  • Fernand Schmetz
    Fernand Schmetz Le 1er février 2011 à 13:14

    Je n’ai pas retrouvé la circulaire de 1969 qui fait obstacle à l’application de l’article 792 du Code Judiciaire. Aurait-elle finalement fait l’objet d’une abrogation ?

    Répondre à ce message

  • KOULOS Kosta
    KOULOS Kosta Le 20 janvier 2011 à 11:48

    Bonjour, c’est malheureusement des avocats et des juristes qui compliquent cette justice. Il est temps de réformer cette « justice » par la VRAIE justice ! Qu’il n’y ait plus de collusion entre certains Magistrats, certains avocats et certains Bâtonniers, ainsi que certains Présidents du Conseil de discipline quant il y a des preuves incontestables de manquements ! Celui qui commet une erreur doit la reconnaître, ainsi que celui qui est le garant du respect de ces règles et ne pas faire le contraire !

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  • Pierre ROGGEMANS
    Pierre ROGGEMANS Le 19 janvier 2011 à 12:53

    Hé bien, vous me croirez ou pas, mais j’attends depuis un très grave accident de travail en 1980 la reconnaissance de l’Hépatite C qui m’a été administrée en même temps que la transfusion de sang massive...

    Le virus était inconnu à l’époque et n’a été identifié qu’en juillet 1989.
    L’Expert Judiciaire qui n’avait pas encore déposé son rapport en a été prévenu début 1990. Son rapport fut déposé quelques mois plus tard... sans tenir compte de mon Hépatite C !
    A ce jour, le dossier traine toujours en degré d’Appel correctionnel, soit près de 31 ans après l’accident !

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Auteur

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Ancien membre du Conseil supérieur de la justice

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