Peut-on rester en prison jusqu’à sa mort ? Nouvelles explications

par Fanny Vansiliette - 18 janvier 2024

Photo @ PxHere

Un internaute visiteur a interpellé Questions-Justice sur la possibilité éventuelle, pour Marc Dutroux, d’être libéré en 2041.
Fanny Vansiliette, avocate au barreau de Bruxelles et assistante à l’UCLouvain-Saint-Louis Bruxelles, répond à cette question tout en rappelant les principes en ce qui concerne les peines de privation de liberté à perpétuité et de peine incompressible.

1. Le 28 juillet dernier, un internaute visiteur de Questions-Justice a fait parvenir la question suivante, posée sous l’article « Peut-on rester en prison jusqu’à sa mort ? » :
« Dans le cas précis de Marc Dutroux, arrêté en 1996, condamné à 25 ans + 10 ans et ayant déjà un casier judiciaire (13 ans – 3 ans déjà purgés de 1989 à 1992), se voit définitivement libéré en 2041, sans que la justice ou l’État ne puisse s’y opposer. Est-ce correct ? ».

2. Avant d’apporter la réponse technique attendue quant au calcul de la date de sortie de prison de Marc Dutroux, il y a lieu de rappeler la raison d’être du système pénal belge relatif à la répression des infractions particulièrement graves, lu à la lumière de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle ne proscrit certes pas le prononcé de peines de privation de liberté à perpétuité mais interdit qu’elles soient incompressibles.

3. L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme consacre l’interdiction de la torture, ainsi que des peines et des traitements inhumains ou dégradants.
Cette interdiction est absolue, en ce sens qu’elle ne souffre d’aucune exception. Elle s’applique donc même en cas de danger public menaçant la vie de la nation, comme le terrorisme ou en cas de faits graves, comme ceux commis par Marc Dutroux, et indépendamment du comportement de la personne condamnée, avant, pendant ou après les faits.

4. C’est donc à la lumière de cette interdiction que la légalité des peines d’emprisonnement à vie doit être analysée.
Comme il a déjà été dit, la Cour européenne des droits de l’Homme n’interprète pas l’article 3 comme interdisant les peines d’emprisonnement à vie pour les auteurs d’infractions particulièrement graves. En revanche, cette peine doit être compressible.

5. Ce principe a été développé notamment dans un un arrêt Bodein c. France du 13 novembre 2014.
Le condamné se plaignait d’avoir été condamné à de la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une période de sûreté illimitée, sans disposer de possibilité de demander un aménagement de peine.
Dans ce cadre, la Cour a d’abord rappelé que la « Convention impose aux États contractants de prendre des mesures visant à protéger le public des crimes violents et elle ne leur interdit pas d’infliger à une personne convaincue d’une infraction grave une peine de durée indéterminée permettant de la maintenir en détention lorsque la protection du public l’exige ». Elle a ensuite examiné si la peine prononcée en France était compressible, c’est-à-dire si elle était soumise à un réexamen permettant aux autorités nationales de rechercher si, au cours de l’exécution de sa peine, le détenu avait évolué et progressé sur le chemin de l’amendement.
Elle a jugé que tel était le cas en France puisque le Code de procédure pénale français permettait au condamné de demander un d’aménagement de peine, à l’expiration d’une période de trente ans d’incarcération.

6. Cet arrêt avait été critiqué, notamment par l’Observatoire international des prisons, section française, au motif que la peine de réclusion criminelle à perpétuité́ était certes compressible dans les textes mais qu’elle ne l’était pas dans les faits, se fondant sur une étude de la situation de 148 condamnés à perpétuité́, parmi lesquels 32 étaient accessibles à un aménagement de peine, mais aucun ne l’avait obtenue (10 avaient déjà̀ fait l’objet d’un rejet suite à une demande, 14 se refusaient à déposer un dossier et les 8 derniers étaient en train d’élaborer leur dossier de demande ou dans l’attente d’une réponse).

7. C’est la raison pour laquelle en 2016, dans un arrêt Murray c. Pays-Bas, la Cour a précisé que cette possibilité de réexamen devait être réelle, et non théorique.
Ainsi, lorsque l’octroi d’un aménagement de peine est conditionné à l’existence d’un amendement dans le chef du condamné, et même si les États ne sont pas tenus de garantir que les détenus réussissent à s’amender, ils ont néanmoins l’obligation de leur donner la possibilité de s’y employer.

8. Dans un arrêt du 13 juin 2019, Marcello Viola c. Italie (n° 2), la Cour a encore été plus loin.
Ce condamné avait été jugé pour des faits commis dans un cadre mafieux. Il n’arrivait pas à obtenir un aménagement de peine dès lors que la loi italienne subordonnait toute possibilité de libération à l’exigence d’une collaboration avec la justice.
Tout en rappelant que les délits pour lesquels le requérant avait été condamné portaient sur un phénomène particulièrement dangereux pour la société, la Cour a constaté qu’en créant une présomption de dangerosité sociale du fait de l’absence de collaboration du condamné avec la justice, le régime italien était contraire à l’article 3 de la Convention car il s’attachait à examiner la dangerosité de l’intéressé au moment où les délits ont été commis, au lieu de tenir compte du parcours de réinsertion et des éventuels progrès accomplis depuis la condamnation.

9. De la même manière, la Belgique a été très récemment condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, par un arrêt du 9 mai 2023, Horion c. Belgique, parce qu’un condamné détenu depuis 1979, soit 44 ans, se trouvait dans une impasse, sans possibilité d’être libéré, à défaut de pouvoir trouver une place dans une unité de psychiatrie légale.

10. En conclusion, une peine d’emprisonnement prononcée à vie n’est compatible avec la Convention européenne des droits de l’homme que si un examen concret et effectif de la détention est organisé et que les États mettent en œuvre des moyens suffisants pour que les détenus puissent rencontrer les conditions fixées pour pouvoir accéder à ce réexamen.

11. En Belgique, qu’est-il prévu concrètement ?
En réalité, le système belge est parfaitement conforme aux exigences européennes puisque plusieurs modalités d’aménagement de peine, comme la permission de sortie, le congé pénitentiaire, la surveillance électronique ou encore la libération conditionnelle, sont prévues dans la loi.
Le condamné est accessible à ces modalités après l’accomplissement d’un délai d’épreuve, qui varie en fonction de la peine prononcée. S’agissant de la peine de réclusion à perpétuité, ce délai est de quinze ans (il peut être augmenté notamment en cas de récidive).
La peine de réclusion à perpétuité n’est donc pas incompressible.

12. Ces concepts étant posés, nous pouvons maintenant aborder la situation de Marc Dutroux telle qu’elle est évoquée par l’internaute.
La question posée mérite d’abord une double précision.
L’auteur du présent article ne connait pas la situation pénitentiaire personnelle de ce détenu. Il est notable qu’il a d’autres condamnations à son actif mais il n’en sera pas tenu compte ici puisqu’il est impossible de savoir ce qui a déjà été purgé ou non. Seule sa condamnation du 17 juin 2004 par la Cour d’assises d’Arlon sera ici prise en considération.
Par ailleurs, contrairement à ce que l’internaute a écrit, cette condamnation ne consistait pas en une peine de réclusion de 25 ans mais bien en une peine de réclusion à perpétuité.
Cela implique qu’il n’y a pas de terme à sa détention. Il ne sera pas automatiquement libéré en 2041, comme l’internaute l’a calculé. Il restera détenu tant qu’il ne remplira pas les conditions pour obtenir une libération conditionnelle, et notamment tant qu’il présentera un risque de récidive.
Théoriquement, Marc Dutroux est accessible à une libération conditionnelle depuis 2011. Actuellement, aucun aménagement de peine ne lui a cependant été octroyé.

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