1. Ainsi donc, ce lundi 4 février 2013, le Professeur Isy Pelc donnait conférence à l’Université libre de Bruxelles. Le titre était explicite : Les « tueurs fous » : la Justice face à la grande délinquance - De la jeunesse difficile au syndrome du « tueur fou », aspects psychologiques.
Le propos de l’ancien chef de Brugmann l’était tout autant, avec cette question en fil rouge : « était-il possible de prévoir et donc d’empêcher les tueries commises par des Amrani, Merah, Breivik, De Gelder et autres Lanza ? »
De ces tueurs fous dont les massacres collectifs ont largement été relayés dans les médias, IsyPelc dresse un diagnostic sans concession qui n’épargne guère la justice et les journalistes trop obsédés par le factuel pour saisir les éléments humains déterminants. Mais c’est particulièrement la question de la prévention qui préoccupe ce spécialiste de la psychologie médicale, impliqué corps et âme dans un projet pilote dans une école de la Ville de Bruxelles, terreau crucial du développement de l’enfant, après les parents s’entend.
2. Anders Behring Breivik en Norvège, NordineAmrani en Belgique, Mohamed Merah en France, autant de noms passés à la postérité après les massacres perpétrés par leurs auteurs. Comment arrive-t-on à pareilles extrêmes ? Qui sont ces gens capables de tirer sur des passants ? Que fait la police ? Autant de questions entamées par les médias et trouvant une caisse de résonnance de choix auprès d’un public secoué par la violence des événements. Un matraquage médiatique d’autant moins pertinent qu’il ne tient que peu compte de l’avis de spécialistes, se contentant, sauf d’heureuses exceptions, de relayer des faits sans plus d’analyse ou de profondeur :
« On recueille juste les témoignages, souvent du voisinage qui va dire que le tueur était tout à fait normal, que non rien ne laissait penser quoi que ce soit d’aussi extrême », déplore IsyPelc. Et d’ajouter : « Pour Amrani, par exemple, j’ai lu des interviews d’intervenants qui prétendaient que rien dans son dossier ne laissait présager qu’il allait tuer. Or, cet homme avait déjà comparu un nombre impressionant de fois devant un juge pour des délits allant de la possession illégale d’armes à des affaires de mœurs. En passant en revue tous les faits qui lui étaient reprochés, je peux vous dire, moi, qu’il ne fallait pas une simple convocation au Commissariat pour l’interroger sur une nouvelle plainte, semble-t-il, d’attouchements. Amrani était clairement dangereux. Tous les éléments indiquaient déjà qu’il s’agissait d’un psychopathe. Inquiété à nouveau, il devait faire l’objet d’une vigilance accrue ».
3. Le système pénal belge ne trouve pas plus de grâce aux yeux du psychiatre, écœuré par les expertises psychiatriques pratiquées par le passé devant les cours et tribunaux :
« Tout ce qu’on demande aux experts psychiatres, c’est si l’auteur des actes incriminés est responsable de ses actes ou s’il est poussé par une force invincible, c’est-à-dire si on peut le taxer de maladie mentale ou non, dans une perspective limitée qui ne prend absolument pas en compte la psychopathie. Or, c’est encore souvent sujet à controverse. Les psychiatres sont là pour aider les gens qui ont besoin d’aide, dans une relation de confiance. Ce n’est qu’après un nombre important de séances durant quelques mois,parfois des années qu’on commence à comprendre ce qui se passe dans la tête du patient, et encore. L’expertise psychiatrique ne rencontre pas ces conditions de travail car, même si elle fait appel à un collège d’experts, elle ne s’effectue qu’après deux-trois entretiens, ce qui est amplement insuffisant pour se faire une idée de la dynamique de l’acte commis ».
Aussi, IsyPelc a-t-il cessé d’intervenir aux procès pour éviter de devoir répondre à la question de la responsabilité, estimant que « c’est plus une question philosophique que psychiatrique ».Hormis des situations particulièrement évidentes où la personne incriminée revendique,et des témoins confirment que c’est suite à des injonctions intrapsychiques délirantes(ex. : « des voix m’ont dit que ces personnes devaient mourir de ma main »)qu’un acte criminel a été commis,dans la majorité des autres cas la relation« maladie mentale=irresponsabilité »n’est pas du tout évidente.Le psychopathe,quant à lui,assume et souvent revendique l’acte criminel.
4. Il prône dès lors une réforme législative, afin de redéfinir les questions auxquelles les experts psychiatres peuvent répondre. Pour l’ancien expert psychiatre, les règles relatives à la récidive mériteraient également d’être repensées, limitées qu’elles sont par la qualification des faits : « s’ils sont de nature différente, il n’y a pas de récidive juridiquement parlant ; alors que du point de vue psychologique, il s’agit bel et bien de récidive puisque le sujet témoigne à plusieurs reprises d’une volonté de suivre ses pulsions au détriment des règles de la société »[note de Justice-en-ligne :en réalité, dans l’état actuel du droit, il y a « récidive », c’est-à-dire aggravation de la peine, lorsqu’un crime (infraction punissable de plus de cinq ans de privation de liberté) ou un délit (infraction punissable de huit jours à cinq ans de privation de liberté et/ou de plus de 25 euros d’amende) est commis après un crime ou qu’un délit est commis après un délit, mais pas si un crime est commis après un délit, mais le Gouvernement envisage d’inviter le Parlement à modifier de la loi sur ce dernier point, en manière telle qu’il y aura bien récidive « de crime sur délit »]. A l’instar de la sphère médiatique, donc, la sphère juridique nourrirait un intérêt obsessionnel pour le factuel, selon Isy Pelc, qui conclut : « La justice s’occupe des faits ; nous, des personnes ».
En s’intéressant à ces personnes, justement, il est possible de repérer dès le plus jeune âge certaines prédispositions à la psychopathie. De manière récurrente pour les tueurs qui ont défrayé l’actualité ces dernières années, la cellule familiale éclatée était déjà un indice patent. Aucun attachement psychologique n’est possible dans ce genre de contexte. « Zola, à côté de ça, c’est de la rigolade », s’exclame le psychiatre. Père absent, mère dépassée, refus de l’autorité, agressivité, manque d’empathie… Résultat : des fonctions paternante (fixation des limites à respecter) et maternante (soutien à l’enfant, tendresse, protection, écoute) non assumées, ce qui conduit fatalement à des enfants plus enclins au « ça » qu’au « surmoi » freudiens, c’est-à-dire des enfants incapables de mettre leurs pulsions en sourdine pour se conformer aux règles sociales. De ce point de vue-là, on peut retrouver chez ces « tueurs fous » la plupart des caractéristiques inhérentes aux troubles de conduite repérables chez certains enfants et adolescents, étant entendu que tout enfant difficile ne cache évidemment pas un futur sociopathe, de même bien entendu que toute séparation des parents n’entraîne pas chez leurs enfants les dérives dont il est ici question.
Des psychopathes de la trempe d’Amrani et consorts ne constituent que 2 ou 3 % des cas, la plupart des « enfants difficiles » évoluant favorablement grâce à une prise en charge idoine par l’entourage ,parfois aidé par des professionnels. C’est encore trop souvent là que le bât blesse.Chez d’autres,une fois l’acte criminel commis,on retrouve, par le passé,non pas des signes de psychopathie,mais des comportements suggérant une maladie mentale,tel un état psychotique de type schizophrénique.Le contexte de vie fait qu’aucun diagnostic de pathologie psychiatrique n’a jamais été posé ;dans d’autres cas,après un examen psychiatrique ne justifiant pas des soins contraignants, un suivi n’a pas été mis en place pour suivre l’évolution.Ici c’est le dispositif de soins qui est en cause.-
5. Selon IsyPelc, le travail doit avant tout être préventif. Il faut repérer les enfants ou adolescents souffrant de troubles de conduite le plus rapidement possible et les encadrer adéquatement. Un rapport du Conseil supérieur de la santé (cliquez ici), paru en mars 2011 et dirigé par l’incontournable professeur Pelc, élabore un état des lieux circonstancié de la problématique et en détermine notamment les facteurs suivant un modèle bio-psycho-social.
De cette recherche de longue haleine (trois ans, rien à voir avec l’étude téléguidée par le gouvernement Sarkozy en France), il ressort que le milieu familial joue un rôle déterminant dans le développement physique, psychologique et social de l’enfant. Si l’école joue un rôle limité dans l’émergence de ces troubles, elle constitue pourtant l’environnement clé où ces troubles peuvent être détectés et un minimum accompagnés. La prévention peut y être décisive.
6. C’est dans cette optique qu’IsyPelc poursuit inlassablement le projet pilote des « ateliers du bien-être » au lycée Dachsbeck à Bruxelles.
Depuis quatre ans, il y encadre des enseignants bénévoles qui tâchent de recréer du lien avec leurs élèves au cours de « la chouette heure ». Le but est de les orienter vers un développement humain durable alliant empathie, solidarité, acceptation de la différence, compassion, des valeurs lacunaires chez de plus en plus d’élèves, vu la prolifération de l’éclatement des cellules familiales.
Et cela fonctionne. Les élèves et enseignants qui ont pu tester la formule en redemandent, les relations dans la classe s’en ressentent, du fait des élèves, mais surtout de leurs professeurs qui ont compris qu’à ces « élèves difficiles »il manque quelque chose dans leur développement psychologique.Interdire et punir seulement ne sert pas l’éducation des jeunes.
7. La solution du psychiatre, elle est là : étendre la chouette heure à toutes les écoles et offrir une formation digne de ce nom aux enseignants. « Après tout, on ne cesse de parler de l’allongement des études pour les enseignants, sans jamais préciser ce qu’on y ajouterait. Cette formation y trouverait une place de choix. C’est même indispensable. Mais il faut qu’un Ministre ait le courage et surtout l’envie de le faire… ».
Votre point de vue
skoby Le 26 février 2013 à 15:08
La Justice belge est laxiste et beaucoup trop lente. A qui la responsabilité : aux politiciens qui ont toujours traités la Justice comme non prioritaire.
Et maintenant on s’en prend à la Direction de la Sécurité, qui doit surveiller les éléments dangereux qui courrent les rues de nos villes. Et pour nos politiciens, c’est le boulot de la police !!!J’aimerais savoir sur 100 % de policiers : combien passent leur journée au bureau à remplir des tâches administratives, combien pour la surveillance du Parlement Européen, des Ambassades, etc...... Donc quel est le % qui est présent dans les rues pour protéger les citoyens ???
Répondre à ce message
Gisèle Tordoir Le 26 février 2013 à 13:52
Nous sommes seuls maîtres de notre destin, de notre conduite. Les médias, même si pas parfaits (mais qui l’est ?), ne sont pas responsables de la façon dont chacun de nous va "digérer" les infos qu’ils divulguent. Si toutes les personnes ayant eu des parents qui se séparent devaient "péter un câble" où allons-nous ? Faut-il toujours chercher la raison qui pousse quelqu’un à agir d’une certaine façon ? Ne peut-on se limiter à nos lois et règlements quitte à les améliorer, à les faire évoluer mais certainement pas les bafouer ? Pourquoi trouver des circonstances atténuantes ? En quoi une motivation rend-elle moins grave le crime commis ? En quoi les psy et autres experts font-ils avancer le schmilblik ? Pourquoi le public ne serait-il pas capable de prendre la pleine mesure de l’horreur des faits ? En quoi est-il incapable d’en comprendre l’essence ? (sic) A quoi sert-il de savoir le pourquoi de l’inacceptable ? "Tueur fou", quel pléonasme...Appelons "un chat, un chat" : criminel un point c’est tout. Condamnation à perpète sans sursis, sans compressibilité de la peine sous quelque prétexte que ce soit. Arrêtons ce faux jeu du politiquement correct et rétablissons la fermeté dans le débat sociétal judiciaire.
Répondre à ce message
Docteur LOUANT Pierre-Hubert Le 26 février 2013 à 12:08
A quand une expertise du rôle de la Presse et particulièrement de l’imagerie diffusée dans la Presse écrite mais surtout télévisée ?
Les journalistes ont une lourde responsabilité morale dans la diffusion,( pour audimat),
de relations résumées, souvent tronquées, de ces évènements dramatiques.
Les individus immatures sont envoûtés par cette imagerie dont la puissance est bien plus forte que l’abstraction des règles de la vie en Société. On glorifie, par l’image, les criminels, dont on ne connait rien, et ces images impulsent l’agressivité "animale" qui someille en chacun de nous, en la "glorifiant". ce n’est pas le commentaire fait autours de l’image, qui aura le pouvoir de réguler cet impact dans le mental d’un individu immature et "faible". Un Tribunal ne sait pas être équitable dans ce genre d’Affaire, Il ne peut qu’être juste, c.à.d. appliquer la Loi, ... Cette faiblesse ontologique de devrait pas être divulguée dans le Public, qui est incapable d’en comprendre l’essence.
Répondre à ce message