1. Les faits sont connus : au cours de l’émission télévisée « De zevende dag », le ministre de l’Intérieur Jan Jambon avait fait part de son incompréhension face à la stratégie de défense de Me Sven Mary, l’avocat de Salah Abdeslam.
Il lui reprochait en substance d’avoir plaidé l’acquittement de son client en raison du non-respect de la législation relative à l’emploi des langues en matière judiciaire. Selon le ministre, en se prévalant d’une irrégularité de procédure pour réclamer l’acquittement dans une affaire aussi grave que celle impliquant Salah Abdeslam, l’avocat aurait excédé sa mission, laquelle consisterait à réclamer qu’une personne poursuivie reçoive une peine correcte.
2. Comme l’on sait, les propos du ministre ont suscité de nombreuses réactions, souvent virulentes.
En particulier, il a été reproché à Jan Jambon de s’être immiscé dans une procédure judiciaire en cours, bafouant de la sorte le principe de la séparation des pouvoirs, pilier de notre système institutionnel.
Mais il y a plus : en laissant entendre qu’au regard de la gravité des faits reprochés à Salah Abdeslam, son avocat ne devrait pas pouvoir réclamer son acquittement, le ministre aurait pris position quant à la culpabilité de l’accusé.
Il est dès lors permis de se demander si la présomption d’innocence, garantie fondamentale du procès pénal, s’applique dans un cas tel que celui-ci.
3. L’article 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme consacre la présomption d’innocence en des termes dont la concision traduit toute l’importance : « Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ».
4. Bien entendu, le respect de la présomption d’innocence s’impose au premier chef aux autorités judiciaires.
Celles-ci doivent notamment s’abstenir de toute déclaration concernant un prévenu qui refléterait le sentiment qu’il est coupable, alors que sa culpabilité n’a pas été préalablement légalement établie.
5. Est-ce à dire que seuls les membres du pouvoir judiciaire sont astreints au respect de cette garantie fondamentale ?
C’est en 1995 que, pour la première fois, la Cour européenne des droits de l’homme fut appelée à se prononcer sur la question, dans l’affaire Allenet de Ribemont. Alors qu’il venait d’être arrêté par la police, le requérant fut accusé par de hauts responsables de la police française, lors d’une conférence de presse à laquelle participait le ministre de l’Intérieur de l’époque, d’être l’instigateur et, partant, le complice de l’assassinat d’un député et ancien ministre, M. de Broglie. Ayant par la suite été libéré avant de bénéficier d’un non-lieu, M. de Ribemont soutint devant la Cour européenne que ces déclarations avaient porté atteinte à sa présomption d’innocence.
La Cour fit droit à sa requête, précisant sans aucune ambiguïté qu’une atteinte à la présomption d’innocence pouvait émaner non seulement d’un juge ou d’un tribunal, mais aussi d’autres autorités publiques, en l’occurrence de hauts responsables de la police, appuyés par le ministre de l’Intérieur. Tout en admettant que la présomption d’innocence n’empêchait pas les autorités de renseigner le public sur des enquêtes pénales en cours, la Cour insista pour que cela soit fait avec toute la discrétion et la réserve que commande la présomption d’innocence.
6. Depuis cet arrêt de principe, la Cour européenne a réitéré sa jurisprudence à de nombreuses reprises. Elle a notamment relevé qu’une atteinte à la présomption d’innocence pouvait être le fait d’un chef d’Etat, du président d’un parlement, d’un premier ministre, ou encore d’un ministre de la Justice.
7. Encore faut-il bien préciser que toute déclaration publique formulée par un représentant de l’Etat avant qu’une personne n’ait été jugée et reconnue coupable d’une infraction ne viole pas automatiquement la présomption d’innocence.
À cet égard, au-delà des termes utilisés, la Cour européenne des droits de l’homme accorde une importance particulière au sens réel des déclarations litigieuses, dans le contexte dans lequel elles ont été formulées. Par conséquent, une déclaration publique qui ne ferait que décrire un état de suspicion ne violerait pas la présomption d’innocence. En revanche, constituerait une telle violation, une déclaration qui refléterait le sentiment que la personne visée est coupable.
8. Dans le cas du ministre de l’Intérieur belge, les propos qu’il a tenus ne sont certes pas comparables à ceux appuyés par le ministre de l’Intérieur français dans l’affaire Allenet de Ribemont. Il reste que le contexte dans lequel ses déclarations ont été formulées – l’émotion suscitée par une affaire de terrorisme qui a ébranlé la population belge – pourrait donner à penser qu’il considère inadmissible qu’un avocat plaide l’irrecevabilité des poursuites lorsqu’il est patent aux yeux de l’opinion publique que son client est coupable.
En cela, une telle déclaration pourrait s’analyser comme une atteinte à la présomption d’innocence, au sens de l’article 6, § 2, de la Convention européenne des droits de l’homme.
Votre point de vue
Nadine Le 8 mars 2018 à 10:51
Quelle pantomine ! Trois p’tits tours et puis s’en vont...
Gisèle Tordoir Le 17 mars 2018 à 22:39
Chère Nadine, Quand je mentionne "piètre prestation" et "grand guignolesque", ce n’est pas pour rien...Ce ne sont pas les marionnettistes qui manquent en Belgique...et en France, non plus d’ailleurs...Si l’adage "Trois petits tours et puis s’en vont..." s’appliquait vraiment, nous pourrions être rassurés. Mais que nenni...C’est plutôt "Trois p’tits tours, et puis s’en reviennent..." au prochain tour (électoral ou autre), c’est-à-dire à la prochaine occasion qui n’est jamais très éloignée dans le temps. Autant j’ai du mal à accepter le principe de la défense d’un assassin et/ou d’un complice d’assassin, autant le fait que l’avocat Sven Mary ait soulevé ce vice de forme aiguise ma curiosité et me le rend intéressant. Il a raison sur ce point.
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